Un fardeau léger

Par Alexandre Sarranle 10 septembre 2017

Parfois, la vocation chrétienne, ça peut nous sembler assez lourd à porter. Vous êtes peut-être un chrétien cet après-midi, et franchement, des fois, vous en avez un peu marre d’être un chrétien. Soyons honnêtes ! Il y a tellement d’exigences dans la vie chrétienne. Dieu nous a appelés pour qu’on le serve. Et on est censé le servir en témoignant autour de nous, en évitant le péché, en montrant un bon exemple à notre prochain… En tant que chrétien, il est possible que les gens se moquent de nous, ou nous méprisent ; dans certains pays, c’est même la persécution. Et puis certains ont conscience qu’il y a un combat spirituel aussi, parfois féroce.

Ou bien, vous n’êtes peut-être pas chrétien cet après-midi, et vous trouvez aussi que la vocation chrétienne n’est pas vraiment attrayante. On est beaucoup plus libre quand on n’est pas chrétien ! Il y a beaucoup moins de pression ! On ne vit pas pour Dieu ou pour les autres, on vit d’abord pour soi.

Alors c’est un chrétien qui vous parle, et je peux vous dire que je vous comprends. La vocation chrétienne, honnêtement, c’est pas facile. C’est d’ailleurs la Bible qui le dit (2 Tm 3.12, par ex.) !

Mais imaginez maintenant que vous êtes un Israélite à l’époque de Moïse. Vous avez été délivré de l’esclavage en Égypte par la main puissante de Dieu. Youhou ! Sauf que maintenant, vous avez un désert à traverser, et un territoire à conquérir, qui est rempli de païens violents et assoiffés de sang, qui n’hésitent pas à offrir leurs propres enfants en sacrifice à des démons. Votre vocation, pour le coup, pourrait vous sembler un peu lourde à porter ! « Finalement, on n’était peut-être pas si mal en Égypte ! » (cf. Nb 14.1-3).

Et le texte qu’on va lire maintenant est adressé par Dieu aux Israélites (par l’intermédiaire de Moïse) justement pour remédier à ce sentiment. Et par ce texte, Dieu veut aussi corriger notre perception de la vocation des croyants. Il veut nous rassurer et nous encourager et nous faire comprendre que la vocation chrétienne, c’est génial, à condition que nous fassions confiance à Dieu ! L’idée principale, c’est la suivante : Dieu s’engage à faire triompher son peuple, sous condition de sa foi.

1. L’engagement de Dieu

La toute première chose qu’on devrait remarquer dans ce texte, ce sont les deux premiers mots : « Moi, je » !

On est ici à la conclusion d’une section du livre de l’Exode qui explique aux Israélites à quoi ça doit ressembler d’être le peuple de Dieu. Et pendant trois chapitres, Dieu dit : « Puisque tu es mon peuple, tu feras ceci, tu feras cela… », et soudain : « Moi, je » ! C’est très frappant ! Dans la relation entre Dieu et son peuple, le peuple est censé faire des choses, OK, mais Dieu aussi s’engage à faire des choses. Et même, ce que Dieu fait prime sur ce que doit faire le peuple, puisque son œuvre encadre historiquement, théologiquement et même littérairement (dans le texte) la vocation du peuple.

Et qu’est-ce que Dieu fait ? Il a délivré les Israélites d’Égypte (Ex 20.2), il leur a parlé depuis le ciel (Ex 20.22), et maintenant il va garder son peuple, le faire arriver à destination (v. 20), combattre les adversaires du peuple (v. 22-23), accorder au peuple nourriture, santé, fertilité et longue vie (v. 25-26), chasser les ennemis pour leur enlever leur pays et le donner aux Israélites (v. 27-30), et établir pour eux une souveraineté territoriale immense (v. 31).

Ce qu’on est censé comprendre (depuis longtemps, en fait), c’est que la vocation des croyants est fondée non pas sur ce que les croyants font pour Dieu, mais sur ce que Dieu fait pour les croyants.

Imaginez que vous soyez au chômage, et qu’un jour, quelqu’un frappe à votre porte. Vous ouvrez, et c’est un homme épuisé qui vous tend un contrat de travail. Le PDG d’une grande entreprise réputée. « J’ai parcouru des milliers de kilomètres, j’ai repoussé des bêtes sauvages en chemin, et combattu des terroristes, pour vous offrir cet emploi de rêve : c’est vous que je veux pour ce CDI. Signez ici, et je mettrai à votre disposition tous les moyens dont vous aurez besoin pour réaliser votre mission : logement, véhicule, secrétaires, gardes du corps, et vous recevrez comme salaire le double de Neymar. » Honnêtement, dans cette situation, j’imagine que vous seriez assez reconnaissant, et heureux de prendre ce travail !

Et de façon similaire, dans le texte ici, il y a comme un contrat entre Dieu et son peuple, mais ce qui devrait surtout retenir l’attention, par-dessus tout le reste, c’est ce que Dieu a fait pour son peuple, et ce qu’il compte faire pour son peuple. Les Israélites étaient dans une situation pire qu’au chômage ; ils étaient esclaves en Égypte. Mais Dieu les a délivrés. Il a repoussé les troupes du Pharaon. Dieu a combattu Amalec (ch. 17). Dieu a nourri et abreuvé le peuple dans le désert. Dieu lui a accordé la protection de la colonne de nuée. Dieu a parlé au peuple depuis le Mont Sinaï. « Signez ici », dit Dieu, « et je vais vous accompagner jusqu’au bout dans votre vocation, et vous faire triompher ».

Et en fait, ça c’est un motif qu’on voit dans toute la Bible. C’est vrai qu’on peut trouver la vocation chrétienne assez contraignante… mais dans un premier temps, ce texte nous invite à nous rappeler que la vocation des croyants n’est pas fondée sur ce qu’on doit faire pour Dieu ; elle est fondée sur ce que Dieu fait pour nous.

Est-ce que, quand vous pensez à la foi biblique, au christianisme, vous pensez d’abord en termes de ce que vous devez faire ? Bien sûr que ça a l’air lourd, dans ce cas ! Mais il faut arrêter de penser comme ça. D’ailleurs, il faudrait s’interdire de penser à ce qu’on pourrait faire pour Dieu tant qu’on n’est pas complètement imprégné, ému, bouleversé par ce que Dieu a fait et compte faire pour nous.

2. La condition de la foi

Mais il y a une deuxième chose qu’on doit remarquer dans ce passage. C’est que le texte mentionne quand même des choses qu’on doit faire, dans le cadre de notre relation avec Dieu. Dieu a un projet pour le peuple, mais ce projet que Dieu compte réaliser suppose la confiance du peuple. Une véritable confiance, qui est une confiance active, pratique, visible. Ou pour le dire autrement, la réussite du peuple dans sa vocation est conditionnée à sa foi en Dieu.

Vous avez remarqué les exhortations de ce passage. Dieu est en train de décrire, par ses fruits, la foi qu’il attend de son peuple : « Tiens-toi sur tes gardes, obéis, ne pèche pas, ne pratique pas l’idolâtrie, sers l’Éternel, ne t’allie pas avec les ennemis de Dieu… ». C’est par le moyen de cette foi en Dieu, que Dieu réalisera son projet pour le peuple.

Le problème, c’est qu’on lit ces choses, et on se dit spontanément : « Donc il faut faire des choses pour Dieu, pour que Dieu nous bénisse ». Mais c’est prendre les choses complètement hors contexte et à l’envers ! Encore une fois, ce qui doit nous frapper avant tout, c’est l’œuvre de Dieu en faveur du peuple.

Imaginez que vous êtes un alpiniste, et vous partez, seul, à la conquête des Grandes Jorasses (4208 m), dans le massif du Mont Blanc. Vous êtes un peu imprudent, et vous ne dites à personne où vous allez. Vous tombez dans une crevasse, et vous vous retrouvez coincé au fond de ce trou, et personne ne sait où vous êtes. Vous allez mourir. Or par miracle, un secouriste parti à votre recherche vous découvre, et avec son équipe, ils vont déployer toute leur énergie et leur savoir-faire pour vous délivrer. Ils vont prendre des risques, ils vont appeler un hélicoptère, ils ne vont à aucun moment renoncer. Seulement, vous devez suivre leurs instructions : « Passez la corde comme ceci, tenez-vous comme cela, lâchez votre piolet, accrochez-vous ici, faites-nous confiance… ». Cette confiance active, pratique, visible, que les secouristes attendent de vous, vous n’allez pas la percevoir comme une contrainte, ou comme un prix à payer pour recevoir votre salut en retour. On pourrait dire au contraire, que vous allez obtempérer très volontiers, consciencieusement, avec reconnaissance, et même avec soulagement et joie !

De même, Dieu ne dit pas à son peuple : « Qu’est-ce que tu veux que je fasse pour toi ? Commence par m’obéir et on verra après ! ». Il dit plutôt : « Tu peux voir, par mes œuvres et mon projet en ta faveur, combien je t’aime. Fais-moi confiance, et mon projet s’accomplira jusqu’au bout, pour ton plus grand bonheur ». Étant donné ce que Dieu fait pour les croyants, les croyants devraient recevoir très volontiers les instructions de Dieu, avec reconnaissance, soulagement et joie. « Dieu nous a délivrés d’Égypte et il veut nous donner un territoire et nous protéger, et nous accorder la nourriture, la santé, la fertilité et une longue vie… bien sûr qu’on a envie de le suivre et de faire ce qu’il nous dit ! »

Et donc c’est vrai que la vocation chrétienne, ça implique des choses qu’on est censé faire en tant que croyants. Mais Dieu ne nous dit pas : « Fais tout ça pour être en bons termes avec moi et pour espérer recevoir quelque chose en retour ! ». Il nous dit plutôt : « Regarde comme je t’aime. Lis la Bible, pour voir comme je t’aime. J’ai un projet formidable pour toi. Regarde ce que j’ai fait pour te sauver ; regarde ce que je compte faire pour te conduire jusque dans le paradis. Fais-moi confiance. Écoute mes instructions. Sois attentif à ce que je te dis dans la Bible. Ne va pas suivre des faux dieux, des idoles qui vont te faire du mal. Ne conforme pas ta vie aux valeurs des gens qui ne m’aiment pas. » Ce sont d’horribles contraintes ? Non !

3. La fonction de l’ange

Mais il reste une question à laquelle on n’a pas encore répondu. On a parlé de l’œuvre de Dieu qui précède, qui fonde et qui encadre notre vocation. Une œuvre merveilleuse, qui nous est favorable, et qui nous prouve l’amour que Dieu nous porte. Mais c’est quoi, exactement, cette œuvre ? Eh bien regardons encore le texte, parce qu’il y a une troisième chose qui devrait nous frapper, c’est un élément assez curieux.

Dieu dit qu’il va envoyer « un ange » auprès des Israélites, et que c’est par l’intermédiaire de cet ange que Dieu va faire des choses en faveur du peuple. Cet ange a un rôle très important : il est gardien, conducteur et conquérant. Il est l’envoyé de Dieu et son représentant, si bien que lui et Dieu, dans le texte, semblent se confondre au niveau de leurs actes, de leurs paroles et de leurs prérogatives. Le texte avait déjà mentionné l’ange de l’Éternel, qui était dans le buisson ardent (Ex 3.2) et à la Mer Rouge (Ex 14.19). L’ange de l’Éternel, c’est une figure qui représente l’implication personnelle de Dieu dans l’histoire et le salut de son peuple.

Quand Dieu dit qu’il va envoyer un ange, il est donc en train de faire comprendre à son peuple qu’il va vraiment s’impliquer personnellement dans leur histoire. Il habitue son peuple, en quelque sorte, et le prépare à accueillir un messager de la part de Dieu, et à le respecter et à le suivre en tant que tel.

Effectivement, Josué leur sera donné quelque temps plus tard, et ils devront le suivre et lui faire confiance dans la conquête de la terre promise. Mais il y a quelqu’un d’autre qui s’appelle Josué, qui sera envoyé au peuple pour le conduire et combattre en sa faveur. En grec, son nom se dit « Jésus ». En hébreu, ça veut dire : « Dieu sauve ». Et quand on lit le reste de la Bible, on découvre que c’est Jésus, et nul autre, qui accomplit parfaitement ce motif de « l’ange de l’Éternel ».

Jésus est envoyé de la part de Dieu pour sauver les croyants, pour combattre en leur faveur, pour les protéger et les conduire jusqu’au paradis. Jésus et Dieu semblent même se confondre au niveau de leurs actes, de leurs paroles et de leurs prérogatives, Jésus lui-même ayant dit : « Les paroles que je vous dis ne viennent pas de moi-même ; le Père, qui demeure en moi, accomplit ses œuvres. Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi » (Jn 14.10-11).

Tout au long des pages de l’Ancien Testament, Dieu prépare son peuple à accueillir le messie. C’est comme s’il lui donnait un puzzle dont il manque une pièce, la pièce la plus importante. Et au fil de l’histoire, il y a des personnages qui se présentent et qui agissent à certains égards comme le messie, mais ils n’accomplissent pas complètement sa fonction. Ce sont comme des pièces qui semblent avoir à peu près la forme de la pièce manquante, mais ça ne rentre pas vraiment. Il y a Moïse, Aaron, Josué, les juges, les rois, beaucoup de prêtres et de prophètes… Mais toutes ces pièces ne complètent pas le puzzle. Et puis vient Jésus, et là, aucun doute. La pièce manquante entre parfaitement dans l’espace qui était préparé !

Conformément à ce que dit le texte ici, donc, Dieu s’implique personnellement dans l’histoire et le salut de son peuple, en venant lui-même par Jésus-Christ, accomplir l’expiation de nos péchés par sa mort sur la croix, pour nous délivrer de notre servitude au péché et à la mort, et pour triompher de toute puissance qui nous serait hostile, par sa résurrection d’entre les morts. Jésus est vivant aujourd’hui, il est présent dans la vie des croyants par son Esprit, pour nous garder, nous fortifier, nous encourager face aux difficultés et à la tentation, et pour nous conduire jusqu’à la terre promise, qui est la nouvelle création, où nous règneront éternellement avec Dieu.

Alors quelle est cette œuvre merveilleuse de Dieu qui fonde la vocation des croyants ? Qu’est-ce que Dieu a fait, et que fait-il, et que compte-t-il faire, qui nous prouve son amour envers nous ? Eh bien c’est ça.

« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jn 3.16)

Si en tant que croyant ou non-croyant, vous trouvez que la vocation chrétienne, c’est quand même lourd et contraignant, rappelez-vous que ce texte (et toute la Bible) nous explique que cette vocation ne repose pas d’abord sur ce qu’on doit faire pour Dieu, mais d’abord sur ce que Dieu a fait, fait, et compte faire pour nous par Jésus-Christ. Vous voyez combien Dieu nous aime !

Oui, comme on l’a dit au début, Dieu s’engage à faire triompher son peuple, certes sous condition de sa foi, mais la confiance qu’il nous invite à avoir en lui n’est pas une contrainte. Suivre Dieu, ce n’est pas une tyrannie, c’est la vraie liberté. C’est pour ça que Jésus nous dit :

« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions […]. Car mon joug est aisé, et mon fardeau léger. » (Mt 11.28-30)

Quand on pense à la vocation chrétienne, on devrait être rempli de reconnaissance : « Merci Seigneur d’être intervenu, dans ta grâce, dans ton amour, pour délivrer les croyants de l’esclavage du péché et de la mort ! Merci d’avoir envoyé Jésus, d’avoir mis mes péchés sur lui, qui à son tour les a portés volontairement sur la croix pour m’en débarrasser ! Merci d’avoir ressuscité Jésus et de m’avoir uni à lui dans sa résurrection. Merci pour ton Esprit-Saint que tu as déversé dans ma vie pour m’attester de ta présence à mes côtés. Merci d’être mon berger, mon conducteur, mon protecteur à chaque instant. Bien sûr, Seigneur, que je veux te suivre et te demeurer fidèle ! Bien sûr que je te fais confiance et que je reconnais que tes instructions sont bonnes, même si je ne les comprends pas toujours. Merci pour ton projet qui consiste à me porter, avec tous les croyants, jusque dans l’éternité. Comment pourrais-je oser penser que j’étais mieux en Égypte ? Ou que je serais mieux à servir d’autres dieux, ou à me servir moi-même ? Comment pourrais-je avoir peur de mes ennemis, des démons ou de la mort ? »

Si vous avez du mal à penser comme ça… rappelez-vous l’Évangile. Quand vous êtes découragé, fatigué, intimidé, quand vous en avez un peu marre d’être un chrétien… ne commencez pas par vous appliquer une couche supplémentaire de discipline. Mais rappelez-vous l’Évangile. C’est Dieu avant tout qui a fait ce qu’il fallait pour qu’on puisse le connaître et lui appartenir ; il nous invite à lui faire confiance (la vraie confiance est active et pratique et visible), et il nous conduira jusque dans l’éternité, pour sa gloire et pour notre plus grand bonheur.

Copyright ©2024 Église Lyon Gerland.