Est-ce que vous avez conscience de la valeur exceptionnelle de votre prochain en tant qu’être humain ? Est-ce que vous avez conscience de la valeur exceptionnelle de votre prochain lorsque, depuis le bord du terrain de foot, vous poussez des cris de rage contre l’arbitre qui n’a pas sifflé la faute commise sur votre fils ? Est-ce que vous avez conscience de la valeur de votre prochain lorsque, au volant de votre voiture, vous prenez cette route champêtre à 120 km/h, ou lorsque vous faites un dépassement presque à l’aveugle, ou lorsque vous traversez l’intersection malgré le feu qui vient juste de tourner au rouge ?
Est-ce que tu as conscience de la valeur de ton prochain lorsque tu te disputes avec ton frère ou ta sœur pour un jouet ou pour une place sur le canapé ou pour un arôme de yaourt, au point de l’insulter, de lui crier dessus, et de le taper ? Est-ce que vous avez conscience de la valeur de votre prochain lorsque vous recevez de jeunes enfants chez vous sans protéger l’accès à la piscine, ou lorsque vous fumez sous le nez d’une femme enceinte, ou lorsque vous sortez des toilettes sans vous laver les mains ?
Votre prochain, en tant qu’être humain, a une valeur exceptionnelle, et le texte qu’on va lire et étudier cet après-midi veut nous en convaincre, et peut-être nous en refaire prendre conscience.
Je vous rappelle que nous sommes dans le livre de l’Exode, un livre qui raconte comment Dieu s’est acquis un peuple dans l’histoire, et comment il a confié à ce peuple une vocation extrêmement solennelle qui consiste à le connaître et à le faire connaître. Et nous sommes dans une section de ce livre, où Dieu est en train de montrer à son peuple ce qui est censé les distinguer en tant que peuple de Dieu, au niveau de leurs valeurs et de leur conduite.
La semaine dernière, on a vu que Dieu s’attendait à ce que son peuple (les croyants) défende l’intérêt des plus vulnérables. Et on a remarqué, notamment, que pour Dieu tous les êtres humains ont une dignité exceptionnelle car ils sont tous créés à l’image de Dieu, qu’il s’agisse des hommes ou des femmes, des adultes ou des enfants, et même des maîtres ou des esclaves.
Le texte qu’on va lire poursuit sur ce thème de la valeur de l’humain, pour nous parler non pas seulement des êtres humains les plus vulnérables, mais des êtres humains en général. Le but, vous allez le voir, est de nous inciter à faire attention à notre prochain, c’est-à-dire à prendre d’infinies précautions dans notre rapport avec les autres êtres humains, dans le but de préserver leur intégrité, et cela en raison de leur valeur exceptionnelle.
La première chose qu’on est censé remarquer, dans ce texte, c’est la façon dont ce passage souligne le caractère extrêmement précieux de toute vie humaine.
La vie humaine est tellement précieuse qu’elle est protégée en principe par la peine capitale, la peine ultime, c’est-à-dire la peine de mort. Mais il est aussi question de toutes sortes d’autres dommages causés à l’humain : les coups, les blessures, les malédictions, le rapt, l’esclavagisme… On voit que dans la loi de Dieu, toucher à l’humain c’est tout sauf anodin. C’est toujours grave. Et c’est grave quelle que soit la catégorie sociale de la victime : les hommes, les femmes (v. 15, 17), les garçons, les filles (v. 31), les esclaves masculins, les esclaves féminins (v. 20, 27, 32), et même les enfants qui ne sont pas encore nés (v. 22-25).
L’humain a une place à part dans la loi de Dieu. Quand on étudie les dispositions de la loi de Dieu, on se rend compte que Dieu se soucie de plein de choses différentes. Mais il se soucie particulièrement de l’être humain. Imaginons que la loi de Dieu, ce soit comme un musée, et on parcourt ce musée, et on découvre plein de choses intéressantes ; mais il y a une pièce maîtresse dans ce musée, et on reconnaît cette pièce maîtresse en raison de sa mise en valeur par rapport au reste. Cette pièce maîtresse, c’est la vie humaine.
Lorsque nous étions en Crète il y a quelques semaines, nous avons pu visiter un musée archéologique rempli d’objet vieux de 4000 ou 5000 ans. Mais à un moment donné, nous sommes arrivés dans une pièce particulière, et au centre de cette pièce il y avait un caisson en verre, légèrement surélevé, et dans la caisse, il y avait un disque de 20 cm de diamètre environ, avec plein de hiéroglyphes gravés dessus, en spirale, de chaque côté. C’était la pièce maîtresse du musée. Elle était donc entourée de verre haute sécurité relié à une alarme, et posée sur une sorte de plateforme qui, en cas de tremblement de terre, s’ouvrirait instantanément pour laisser tomber l’objet dans un coffre-fort sécurisé. On pouvait clairement prendre conscience de la valeur de cet objet.
Et la loi de Dieu présente la vie humaine—toute vie humaine—dans des conditions similaires. La vie humaine est protégée, parce qu’elle est extrêmement précieuse. Et on doit peut-être reprendre conscience de ça aujourd’hui. Je ne vais pas répéter tout ce que j’ai dit la semaine dernière, mais pour Dieu, l’être humain est la partie la plus précieuse de sa création. Ça veut dire, par exemple, que jeter un cocktail Molotov sur un policier, c’est pire que maltraiter des animaux dans un abattoir ; euthanasier un humain malade ou aider un dépressif à se suicider, c’est pire que détruire une forêt ou contribuer au réchauffement climatique ; et provoquer délibérément la mort d’un bébé à naître, c’est pire que tuer un rhinocéros pour lui piquer ses cornes. Bien sûr, la question n’est pas de choisir entre les deux, mais de préserver une échelle de valeurs qui reflète celle de Dieu.
Donc toute vie humaine est extrêmement précieuse pour Dieu. Mais la deuxième chose qu’on peut remarquer dans ce texte, c’est la façon dont ce passage nous montre aussi qu’on ne peut pas toucher à l’humain impunément.
Dans ce texte, à chaque fois que l’on porte atteinte à l’humain, il y a une peine proportionnée. Certaines offenses, les plus graves, entraînent la peine de mort : le meurtre prémédité, la violence physique ou morale envers ses parents, le trafic d’êtres humains, et la violence qui entraîne la mort, même des esclaves et des bébés à naître. Même la négligence aggravée peut faire encourir la peine de mort si cette négligence a provoqué la mort d’autrui. D’autres offenses n’entraînent pas la mort, mais entraînent quand même une peine équivalente à la gravité de la faute. C’est la fameuse loi du « Talion », d’après laquelle tout dommage provoqué à l’humain doit être rétribué proportionnellement à sa gravité (cf. v. 26-27). L’idée générale, c’est que les dommages provoqués à l’humain entraînent une dette morale proportionnée, mais importante.
Pourquoi ? Parce que quand on abîme l’humain, on abîme quelque chose de très précieux. Imaginez que vous soyez un critique d’art et que vous vous rendiez à l’exposition d’un nouvel artiste pour préparer un article. Vous parcourez l’exposition, et parce que vous êtes de mauvaise humeur ce jour-là, vous écrivez un article extrêmement négatif, assez horrible en fait, sur le travail de ce peintre. Vous vous défoulez sur lui, vous déversez toute votre mauvaise foi et votre déprime du moment dans cet article. Bien sûr, quand l’artiste va découvrir cet article, il va être blessé ; il va peut-être même y avoir des conséquences sur sa réputation et sur sa carrière. Mais si vous regrettez, le lendemain, d’avoir écrit cet article, vous pourrez toujours le rétracter, en écrire un nouveau, faire amende honorable, et réparer les dégâts. Mais imaginez que le jour de votre visite de l’expo, vous étiez de si mauvaise humeur que vous avez sorti un cutter et que vous avez déchiqueté plusieurs tableaux dans votre indignation contre le travail de cet artiste. Maintenant, comment faire pour réparer les dégâts ?
Et quand on abîme l’humain, c’est un peu comme quand on abîme l’œuvre d’art d’un artiste. C’est particulièrement grave, parce qu’on ne peut pas juste réparer l’offense. La dette morale est importante. Il y a quelques années, un jeune homme fréquentait notre église, et le jour où il est venu la première fois, il avait un bandage à la main. Il venait de perdre trois doigts dans un accident qui était survenu au travail. Il travaillait pour une grande enseigne de distribution, au rayon boucherie, et le dysfonctionnement d’une machine a provoqué la perte irréversible de l’index, du majeur et de l’annulaire. Quelque temps plus tard, à l’issue d’un procès, il a été établi que l’employeur n’avait pas fait procéder correctement à l’entretien de la machine, ce qui avait contribué au dysfonctionnement en question. Notre ami a reçu ensuite un dédommagement financier assez important, « pour prix de ses doigts ». Parce que dire pardon, et corriger le fonctionnement de la machine pour l’avenir, et proposer d’embaucher la victime en CDI, ce n’est pas suffisant !
On ne peut pas toucher à l’humain impunément, et si le texte nous en parle, c’est pour nous dissuader de faire du mal à notre prochain. Il y a des gens qui ont pris le principe du Talion et qui en ont fait un prétexte pour se venger des gens qui leur faisaient du mal. C’est cette attitude-là que Jésus a dénoncée dans le Sermon sur la montagne (Mt 5.38-39). Mais il faut bien comprendre qu’ici, ce texte est à l’attention des malfaiteurs (pour les dissuader) et non des victimes (pour qu’elles se vengent).
Nous devons comprendre que lorsque nous causons des dommages à l’humain, nous nous endettons moralement et de façon particulièrement grave. Et c’est cela dont nous devons prendre conscience dans toutes les situations où nous sommes tentés de mettre en danger la vie ou la santé des autres, dans les situations où nous sommes tentés de percevoir ou d’utiliser les gens comme des objets, dans les situations où nous sentons la violence monter en nous au point de vouloir frapper notre prochain, et de manière générale dans toutes les situations où nous sommes tentés de percevoir l’humain, y compris l’ennemi ou l’étranger ou le pauvre ou l’enfant à naître, comme un produit jetable.
Ce qui nous amène à la troisième et dernière chose qu’on doit remarquer dans ce texte, et qui est la façon dont ce passage nous renvoie, au-delà de nos actes proprement dits, à la disposition-même de notre cœur.
Avez-vous remarqué que le texte ne se préoccupe pas seulement du résultat objectif d’un préjudice, mais aussi des conditions subjectives de ce préjudice. C’est-à-dire pas seulement de ce qui se passe, mais aussi pourquoi ça s’est passé. Par exemple, le texte établit le principe de la peine capitale pour un homicide, mais précise immédiatement après que si l’homicide est dû à un accident, l’auteur du dommage peut trouver refuge dans un endroit particulier (v. 13). Dans les deux cas, il y a mort d’homme, mais la disposition du cœur a une incidence sur le châtiment.
De la même façon, celui dont le bœuf tue quelqu’un par accident est normalement acquitté (même s’il est pénalisé par la mise à mort du bœuf), mais si l’accident arrive à cause de la négligence aggravée du propriétaire, encore une fois il y a mort d’homme dans les deux cas, mais la disposition du cœur a une incidence sur le châtiment (v. 28-32).
Inversement, dans le cas de la violence à l’encontre des parents, de la malédiction prononcée à l’encontre des parents ou de l’esclavagisme, il n’y a pas forcément mort d’homme, mais ce que ces crimes révèlent concernant le cœur de celui qui les commet est suffisamment grave pour que ces actes soient punis de mort (v. 15-17). De même, dans le cas de la femme bousculée qui perd son enfant, le châtiment prévu pour cette situation est conditionné par le fait que les hommes se querellaient (v. 22), et que c’est cette querelle qui a entraîné l’accident. Encore une fois, c’est la condition du cœur qui est pointée.
J’avoue que chez moi, lorsque mes enfants font des bêtises, et lorsque je les reprends, et lorsqu’ils me répondent : « Mais j’ai pas fait exprès », j’ai tendance à leur dire : « Ah oui ? Et qu’est-ce que ça change, que tu n’aies pas fait exprès ? Est-ce que ton frère à moins mal parce que tu l’as tapé sans faire exprès ? ». Et pour bien leur faire comprendre, je leur dis parfois : « Imagine que je renverse un piéton dans la rue avec ma voiture. Est-ce que la personne est moins morte, parce que j’ai pas fait exprès ? ». Évidemment, ce que j’essaie de leur faire comprendre, c’est que l’absence de motivation mauvaise, ça n’efface pas les effets de nos actes, et qu’on ne doit pas juste être animé de bonnes intentions dans la vie, il faut aussi faire preuve de précaution pour éviter autant que possible les accidents. Mais là où ma stratégie parentale n’est pas très bonne, c’est que j’ai tendance à ne pas tenir compte de la disposition de cœur de mes enfants, ce qui est tout l’inverse de ce que Dieu fait avec nous. Mes enfants voudraient sans doute que je tienne compte du fait que, parfois, ils n’ont vraiment pas fait exprès de faire telle ou telle bêtise. En même temps, je ne pense pas que mes enfants voudraient que je sois capable de sonder leur cœur pour voir exactement ce qui les anime dans leurs actes, et que je les punisse en fonction.
Et de la même façon, le fait que Dieu est capable de sonder notre cœur, et de voir exactement ce qui nous anime dans nos actes, et le fait qu’il tienne compte de la disposition de notre cœur dans ses jugements… ce n’est pas une bonne nouvelle pour nous en réalité. Parce que ce qu’on voit dans ce texte, c’est que ce qui entraîne la peine capitale, l’élément déterminant, ce n’est pas le résultat objectif de l’acte, mais bien la condition subjective. L’élément déterminant, dans le jugement de Dieu, ce n’est pas le préjudice subi par la victime, mais le cœur du coupable. Au risque de caricaturer, on pourrait dire que pour Dieu, il est plus grave, moralement, de chercher à tuer quelqu’un et de ne pas y arriver, que de tuer quelqu’un par accident.
Même la loi civile, souvent, encore aujourd’hui, reflète cette réalité. Par exemple, il y a actuellement des auteurs d’homicides qui sont en liberté parce que le caractère purement accidentel de l’homicide a été établi, tandis qu’en même temps, il y a aux États-Unis par exemple le chanteur d’un groupe chrétien qui est en train de purger une peine de neuf ans de prison ferme alors qu’il n’a tué personne. Qu’est-ce qu’il a fait ? Il a avoué s’être renseigné sur les services d’un tueur à gages pour éventuellement éliminer sa femme !
De la même façon, vous avez peut-être vu ce film de science-fiction où la police est capable de prédire les meurtres, et donc elle peut intervenir et placer en détention les meurtriers avant qu’ils ne passent à l’acte. Et donc on a plein de gens en prison qui n’ont rien fait, mais qui sont considérés comme coupables sur la base de leurs intentions.
Ce que je voudrais qu’on retienne, c’est que notre texte aussi nous renvoie à la disposition de notre cœur. Et c’est ce que Jésus lui-même nous fait remarquer lorsqu’il fait l’exégèse, en quelque sorte, de ce texte, et qu’il dit :
« Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, celui qui commet un meurtre sera passible du jugement. Mais moi, je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement. […] Celui qui lui dira : Insensé ! sera passible de la géhenne du feu. » (Mt 5.21-22)
Ce que notre texte veut nous faire comprendre, et ce que Jésus veut nous faire comprendre en interprétant pour nous ce texte, c’est que les accidents, ça arrive, mais que le meurtre, et les autres dommages infligés intentionnellement (ou par négligence aggravée) aux humains, tout cela procède d’une racine commune qui est dans notre cœur ; la même racine qui produit la haine et la querelle et l’égoïsme et l’égocentrisme et l’envie et la jalousie et l’insulte et la rébellion contre l’autorité.
Et donc tout ça pour dire quoi ? C’est que si nous n’avons pas tout-à-fait conscience de la valeur exceptionnelle de notre prochain en tant qu’être humain, et si nous n’agissons pas toujours envers notre prochain de manière à refléter cette réalité, ce n’est pas seulement parce que nous oublions, premièrement, que la Bible établit le caractère extrêmement précieux de toute vie humaine, et donc, deuxièmement, que la Bible nous dissuade de porter préjudice à notre prochain puisqu’on ne peut pas toucher à l’humain impunément. C’est aussi, et surtout, parce que nous avons un problème dans notre cœur. C’est cela qui prend surtout l’attention de Dieu. C’est cela qui nous rend coupables alors qu’on « n’a tué personne ».
Et donc si nous voulons apprendre à faire attention à notre prochain, lorsque nous sommes tentés de nous énerver contre l’arbitre du match de foot de notre enfant, ou lorsque nous sommes tentés de mettre en danger la vie d’autrui par notre comportement sur la route, ou lorsque j’ai envie de me disputer avec mon frère ou ma sœur et de les taper, ou lorsque je suis tenté d’avoir n’importe quel autre comportement qui traduirait un quelconque mépris de mon prochain et de son intégrité et de sa dignité, ce qu’il nous faut, c’est traiter le problème de notre cœur.
Et ce problème se règle à un seul endroit : au pied de la croix de Jésus-Christ. Là, nous voyons que Dieu a tellement voulu nous « respecter », en quelque sorte, c’est-à-dire manifester notre valeur exceptionnelle en tant qu’êtres humains, qu’il a pris lui-même la condition d’un homme, et il est allé porter nos fautes à notre place, par Jésus-Christ, sur la croix, pour nous en délivrer. Par la foi en lui, nous pouvons être pardonnés pour cet orgueil, pour cette indifférence envers notre prochain, pour toute racine d’égoïsme, de violence, de rébellion, de colère, de haine, de jalousie et de querelle.
Dieu peut nous réconcilier avec lui-même avec pour l’éternité, et dès maintenant, il peut changer notre cœur, et nous rendre authentiquement sensibles à la valeur exceptionnelle de notre prochain en tant qu’être humain, et il peut susciter en nous la motivation de mettre en pratique ce que ce texte nous enseigne ici, à savoir le fait de prendre d’infinies précautions dans notre rapport avec les autres êtres humains, dans le but de préserver leur intégrité, et cela en raison de leur valeur exceptionnelle aux yeux de Dieu.