La gloire de sa grâce

Par Alexandre Sarranle 28 janvier 2018

Si vous êtes croyant, vous vous posez peut-être la question suivante : Dieu est-il toujours disposé à me pardonner ? Ça fait tellement de fois, et si longtemps, que je retombe dans les mêmes péchés. Je me suis encore énervé contre mon conjoint. J’ai encore menti à mes parents. Je me suis encore livré à l’immoralité sur mon smartphone. J’ai encore tapé ma petite sœur. J’ai encore eu honte de Jésus à l’école ou au travail. J’ai encore été jaloux de la réussite de ce collègue, et j’ai parlé mal de lui dans son dos. J’ai encore été égoïste et paresseux à la maison. J’ai encore montré un mauvais exemple à mes enfants. Encore.

Et je me demande si j’ai épuisé le pardon de Dieu. Je ne me tourne plus vers lui dans la prière et la repentance comme je le faisais au début. Parce que je me sens bête, au fond. Je suis quasiment sûr que je vais recommencer, et Dieu le sait très bien. C’est comme si ces différents péchés dans ma vie avaient gagné leur place ; comme s’ils l’avaient emporté, finalement, face au pardon de Dieu. La gentillesse de Dieu a bien ses limites, non ? J’ai du mal à croire que Dieu soit toujours disposé à me pardonner. Alors c’est pas grave. Je me suis résigné à vivre avec ces péchés, Dieu est au courant, il comprend, et je suppose que ça ne m’empêchera pas d’être sauvé à la fin…

Est-ce que vous fonctionnez parfois sur ce mode de pensée ? Il me semble que nous sommes tous enclins à sous-estimer la disponibilité du pardon de Dieu face à la force envahissante du péché. Croyants ou non-croyants. Parce que beaucoup de non-croyants aussi supposent que le Dieu de la Bible est un dieu, disons, intransigeant, un dieu sévère qui n’attend qu’une chose, c’est de pouvoir nous faire des reproches. Un père fouettard. Et beaucoup de non-croyants supposent qu’ils se sont disqualifiés à jamais d’avoir une relation avec Dieu, si toutefois Dieu existe ; ou alors, c’est qu’ils ne veulent tout simplement rien avoir à faire avec un tel dieu impatient et colérique.

Alors écoutez bien. Le texte qu’on va lire a pour but de nous convaincre au contraire que Dieu est toujours disposé à nous pardonner. Il nous présente inlassablement et infailliblement son pardon. Ce texte veut nous faire comprendre que le péché dans la vie des croyants ne peut pas épuiser le pardon de Dieu. Et à tous ceux qui seraient tentés de croire qu’il pourrait arriver un point où Dieu ne serait plus disposé à pardonner, le texte dit non ! Dieu pardonne, parce qu’il est comme ça !

Je vous rappelle que dans le texte, les Israélites viennent de commettre un péché très grave, et que Dieu a consenti à pardonner aux Israélites en vertu de Moïse. Maintenant, Moïse va demander à Dieu de lui confirmer pour sûr ce pardon, en se manifestant à lui de manière tangible.

1. Une grâce souveraine (33.18-23)

Pour commencer, Dieu veut nous montrer ici que rien ni personne ne peut s’opposer à son pouvoir de pardonner. Ce qui se passe dans le texte, c’est que Dieu accepte d’établir la certitude de la promesse de son pardon, en accordant à Moïse quelque chose d’exceptionnel : une manifestation de sa gloire. C’est comme si Dieu disait : « Oui, je fais grâce à qui je fais grâce, j’ai ce pouvoir, et pour t’en assurer, je vais me montrer à toi. Je vais t’accorder ce gage de ma capacité souveraine, irrésistible, de pardonner ». Et Dieu explique à Moïse qu’il va se passer quelque chose de tout-à-fait exceptionnel.

Et donc ce petit échange est là dans un premier temps pour nous montrer que Dieu tient vraiment à ce que nous sachions qu’il est tout-puissant pour pardonner. C’est comme si Moïse disait à Dieu : « Je te remercie pour ce que tu m’as dit, mais je voudrais que tu me le dises en face. Que tu me regardes dans les yeux et que tu me dises que oui, tu es vraiment disposé à pardonner à ton peuple. J’ai besoin que tu me le dises en personne ». Et Dieu dit OK. Dieu est d’accord avec la requête de Moïse. Je suis sûr qu’il vous est déjà arrivé qu’on vous annonce une bonne nouvelle, mais que vous n’osiez pas y croire tant qu’on ne vous avait pas donné un gage de la réalité de cette bonne nouvelle.

Et c’est un peu ce qui se passe dans le texte. Moïse veut un gage du pardon de Dieu, et Dieu dit d’accord, parce que c’est non seulement important pour Moïse, mais c’est important pour Dieu. Il veut nous montrer que rien ni personne ne peut s’opposer à son pouvoir de pardonner. Ça fait partie de ses prérogatives. C’est un peu comme la grâce présidentielle. Oui, le président de la République a ce pouvoir, de remettre la peine à quelqu’un qui a été condamné. Ce n’est pas un pouvoir qui appartient à n’importe qui. Il appartient au président (article 17 de la constitution de la 5ème République). De la même façon, Dieu a le pouvoir de pardonner ce qu’il veut à qui il veut. C’est un pouvoir illimité et irrésistible.

C’est donc le premier point. Mais c’est déjà extrêmement important. Parce que ça veut dire que le mal, la culpabilité, l’endurcissement du cœur, la rébellion, la dépravation, l’embourbement dans le péché, ne sont jamais trop forts pour Dieu. Si tu penses que ton péché qui s’est répété dix mille fois l’a emporté face à la capacité de Dieu de pardonner, c’est faux ; c’est un mensonge du diable. Si tu penses que telle personne de ton entourage qui semble complètement endurcie contre Dieu n’a aucun espoir de se convertir à Dieu un jour, c’est faux, comme le rappelle l’apôtre Paul :

« Car il dit à Moïse : Je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde, et j’aurai compassion de qui j’aurai compassion. Ainsi donc, cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » (Rm 9.15-16)

Et si tu penses que tu t’es disqualifié à jamais d’avoir une relation avec Dieu, c’est faux. Rien ni personne ne peut s’opposer à son pouvoir de pardonner.

2. Une grâce essentielle (34.1-4)

Ensuite, deuxièmement, Dieu veut nous montrer que la capacité de Dieu de pardonner doit conditionner toute notre religion. Avant la « théophanie », Dieu dit qu’il faut que de nouvelles tables de la loi doivent être gravées. Ce qui est en train de se passer ici, c’est que Dieu met en avant ces objets (qui seront déposés et conservés dans le coffre de l’alliance) pour que dans l’esprit des Israélites, ces objets soient à jamais accompagnés du souvenir de l’événement qui est sur le point de se produire. Dieu veut que Moïse apporte ces nouvelles tables pour qu’elles soient comme des « objets témoins » de ce qui va se passer, sachant que ces tables vont avoir une place extrêmement importante dans la religion d’Israël.

On peut dire que les tables de la loi constituent le « noyau matériel » (l’emblème par excellence) de la relation de Dieu avec les Israélites. Les Dix Commandements y auront été gravés par Dieu lui-même. Elles seront conservées dans le coffre de l’alliance, au cœur du Tabernacle, puis du Temple, à perpétuité. C’est pour ça qu’Indiana Jones, dans Les Aventuriers de l’arche perdue, se donne autant de mal pour retrouver le coffre de l’alliance ! Ce sont peut-être les deux objets les plus précieux de l’histoire d’Israël.

C’est comme cet objet « fétiche » que vous conservez chez vous parce qu’il est très, très significatif pour vous. La bague de fiançailles de votre grand-mère résistante assassinée par les SS. Le journal de bord de votre grand-oncle capitaine d’un navire qui a participé au débarquement en Normandie. Le psautier original de votre ancêtre huguenot qu’il a gardé avec lui en fuyant les persécutions. Chez moi, j’ai un objet un peu comme ça : c’est une cloche qui appartenait à mon grand-père, fabriquée avec le métal fondu d’un avion allemand abattu au-dessus de la Grande-Bretagne pendant la 2ème guerre mondiale. Un objet témoin de quelque chose d’important qui s’est passé dans l’histoire !

Et Dieu veut que les tables de la loi aient à peu près la même fonction. Dieu va manifester sa gloire, en gage de son pouvoir de pardonner, et il veut que Moïse vienne à ce rendez-vous avec les tables de pierre dans la main. Parce que Dieu veut que les Israélites aient un souvenir matériel de ce qui va se passer. Il veut que sa loi, et son alliance, ne soient jamais dissociées de son pouvoir de pardonner. Ce n’est pas que Dieu, exceptionnellement, peut pardonner ; mais le reste du temps, il gouverne son peuple par l’application intransigeante de sa loi. Ce n’est pas que le gage que Dieu va donner à Moïse est un événement qui fait exception, comme si Dieu disait : « Bon d’accord Moïse, je vais te faire plaisir, mais c’est bien parce que c’est toi. Il ne faut pas croire que je suis comme ça d’habitude. » Non : Dieu veut clairement qu’on associe les deux réalités : le don de sa loi d’un côté (qui symbolise l’alliance, la relation qu’il veut avoir avec nous), et de l’autre côté la capacité souveraine de Dieu de pardonner.

Vous voyez ? La capacité de Dieu de pardonner doit conditionner toute notre religion. C’est aussi un point extrêmement important ! Parce que le but de Dieu en nous révélant, dans toute la Bible, les conditions de notre relation avec lui, ce n’est pas de nous éloigner de lui sous l’effet de la peur ou du désespoir, mais c’est de nous attirer à lui sous l’effet de sa grâce. Dieu ne veut pas nous gouverner par sa loi ; mais il veut nous gouverner par sa loi et par son pardon. Et cette réalité va en fait apparaître très clairement dans la suite et la fin du passage.

3. Une grâce caractéristique (34.5-9)

Troisièmement et dernièrement, Dieu veut nous montrer qu’il est glorifié par le pardon qu’il nous donne. On arrive enfin, dans le texte, au moment où Dieu va manifester sa gloire à Moïse, pour lui donner ce gage de son pouvoir de pardonner. Mais quelle est la manifestation de sa gloire, ici ? C’est la proclamation solennelle de sa grâce. Ce qui se passe dans le texte, c’est que Dieu équivaut en partie sa gloire à sa grâce. Moïse pouvait s’attendre à quelque chose d’autre : un prodige spectaculaire, un véritable feu d’artifice accompagné d’une doxologie comme on en trouve ailleurs dans la Bible (cf. És 6.1-5). Ce qu’on a à la place, c’est Dieu qui insiste sur sa bonté, par une déclaration pleine de redondance.

Dieu nous fait comprendre que sa grâce est comme inscrite dans son caractère, si bien qu’on peut vraiment être sûr que Dieu fait grâce, sinon… il ne serait pas fidèle à lui-même ! Vous savez, des fois on parle de quelqu’un qui se comporte d’une certaine manière, parce que, dit-on, « c’est inscrit dans ses gènes ». Il paraît que la sociabilité du chien est inscrite dans ses gènes. Il paraît que les chats fuguent parce que c’est inscrit dans leurs gènes. L’homme aussi, paraît-il, est un voyageur, parce que c’est inscrit dans ses gènes. Et ici, on pourrait dire que Dieu « pardonne la faute, le crime et le péché », parce que c’est « inscrit dans ses gènes ». Ça fait partie de ses attributs, et par conséquent, ça caractérise sa gloire !

Il paraît que la tradition juive identifie 13 attributs différents de Dieu, relatifs à sa grâce, dans ces deux versets. Notre propre confession de foi, dans son premier paragraphe sur « Dieu, la sainte Trinité », rappelle que la grâce de Dieu caractérise en partie sa gloire :

« Il n’est qu’un seul, vivant et vrai Dieu, infini en son être et en sa perfection […]. Il est amour, grâce, miséricorde et patience. Il abonde en bonté et en vérité. Il pardonne l’iniquité, la transgression et le péché. » (Westminster, II.1)

Vous voyez que Dieu, dans le texte, donne bien à Moïse le gage de son intention de pardonner : ce gage, c’est qu’il est lui-même, de par ses attributs, un Dieu de grâce. Il est glorifié par le pardon qu’il nous donne ! Et vous pensez que Dieu pourrait agir en contradiction avec son caractère et sa gloire ?

Mais notez bien ce qu’il dit en même temps. Il pardonne le péché… mais il ne fait pas semblant qu’il n’y a pas eu de péché (34.7). Cette précision est très importante, parce qu’elle permet de caractériser le pardon de Dieu, qui n’est pas un effacement magique du mal et de ses conséquences. La portée de cette précision, en fait, est de nous faire comprendre que le mal ne cesse pas d’exister juste parce qu’il a été pardonné.

Le texte dit littéralement que Dieu « ne tient pas le coupable pour innocent, visitant les conséquences des fautes des pères sur les fils et sur les petits-fils… ». On comprend ce que ça veut dire lorsqu’un peu plus tard, l’histoire nous apprend que les Israélites se sont rebellés de nouveau contre Dieu, et que Moïse s’est appuyé sur ces paroles dans son intercession pour le peuple (Nb 14.18). Et Dieu dit qu’il pardonne au peuple, mais que les Israélites vont devoir errer dans le désert quarante ans (Nb 14.33). Ils sont pardonnés, mais ça ne veut pas dire que le mal n’a pas eu de conséquences, comme s’il n’y avait pas eu de péché. Imaginez que vous tuiez quelqu’un : vous pourriez être pardonné, mais ce n’est pas comme si on pouvait rembobiner le film !

Et c’est un genre de paradoxe, n’est-ce pas ? Il est dans les attributs de Dieu de pardonner. Il est aussi dans ses attributs d’être juste, et ce serait injuste d’effacer le péché comme si le mal n’avait jamais été commis. Comment Dieu va-t-il faire pour être fidèle à lui-même, vis-à-vis de son peuple qui est en proie au mal ? La réponse : le messie, auquel tout l’Ancien Testament rend témoignage.

« Il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait sa propre voie ; et l’Éternel a fait retomber sur lui la faute de nous tous. » (És 53.5)

Ce messie, c’est Jésus. Sur la croix, où Jésus paie pour nos péchés, on peut dire que le nom de l’Éternel est proclamé solennellement. « Je veux être sûr que tu pardonnes ! Montre-moi ta gloire ! » – Et Dieu répond : « Voici mon Fils bien-aimé, cloué sur la croix. » La croix est le gage de la capacité de Dieu de pardonner ; plus que cela, elle est le gage que Dieu est toujours disposé à pardonner.

Alors est-ce que vous êtes enclin à sous-estimer la disponibilité du pardon de Dieu face à la force envahissante du péché dans votre vie, ou dans la vie des autres ? Vous pensez peut-être que Dieu a épuisé son pardon… peut-être parce que vous avez un arrière-plan religieux qui vous a présenté un Dieu dur et intransigeant. Peut-être que c’est l’idée que vous vous faites de Dieu, parce que vos parents étaient comme ça, ou le sont encore. Peut-être que c’est la voix subtile du diable qui vous dit que vous avez dépassé les bornes et que vous vous êtes disqualifié à jamais d’avoir une relation personnelle avec Dieu.

Dans une chanson poignante de Metallica, intitulée The Unforgiven, le chanteur James Hetfield médite sur sa propre vie. Il a reçu une éducation chrétienne, mais plus tard son père l’a abandonné, puis sa mère est morte d’un cancer. Il a sombré dans la dépression et l’alcoolisme. Et dans le refrain de cette chanson, il dit : « Je n’ai jamais laissé transparaître ce que j’ai ressenti, ce que j’ai connu. Je ne suis pas libre, je ne suis pas moi-même, et je me surnomme the Unforgiven [celui qui n’a pas été pardonné] ». James Hetfield, si tu m’écoutes, et tous ceux qui sont tentés de croire que le mal et ses conséquences peuvent être trop forts pour Dieu : c’est faux !

C’est vrai que cette section du livre de l’Exode nous a parlé de l’horreur du péché, pour que nous soyons nous-mêmes horrifiés par l’état de notre cœur et par le mal qui est en nous (Ex 32.1-29). Le récit nous a ensuite parlé du pardon merveilleux de Dieu, pour que nous ne pensions pas que le pardon de Dieu, ça va de soi, que c’est normal, et facile à obtenir (Ex 32.30-33.17). Non, le pardon n’est pas une évidence, parce qu’il coûte cher à Dieu ! Mais justement. Si Dieu a payé si cher le pardon qu’il nous présente en son Fils Jésus-Christ, ne pensez-vous pas qu’il l’offrira assurément à tous ceux qui placent leur confiance en lui ? Si la gloire-même de Dieu est en partie caractérisée par sa grâce, ne pensez-vous pas qu’il sera fidèle à lui-même pour nous manifester encore et toujours sa patience, sa miséricorde et sa bonté ? Comme le dit l’apôtre Paul :

« Si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même. » (2 Tm 2.13)

Bref, Dieu pardonne, parce qu’il est comme ça ! Et ce n’est pas un hasard si ce passage que nous avons vu aujourd’hui est cité à plein d’endroits dans le reste de l’Ancien Testament : dans l’histoire d’Israël, dans les psaumes et chez les prophètes, comme un refrain, comme ce gage certain—indissociable de sa loi, indissociable de son alliance—le gage certain que Dieu est toujours disposé à pardonner à tous ceux qui se confient en lui. C’est sûr. Parce que cette grâce, c’est sa gloire ; et nous-mêmes, avec tous les croyants, il nous a sauvés par Jésus-Christ, et pris pour lui, « selon le dessein bienveillant de sa volonté, pour célébrer la gloire de sa grâce qu’il nous a accordée en son bien-aimé » (Ép 1.6).

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