L'unité, la vraie !

Par Alexandre Sarranle 20 octobre 2019

Depuis plusieurs années j’ai été amené à rencontrer beaucoup de catholiques et à sympathiser avec un certain nombre d’entre eux. Nous avons parfois discuté des différences qu’il y avait entre les catholiques et les protestants. Et le plus grand compliment que les catholiques nous font, apparemment, c’est que les protestants semblent bien connaître la Bible. Le plus grand reproche, par contre, c’est que les protestants sont éclatés en une myriade d’unions d’églises différentes, et qu’il n’y a pas vraiment, chez nous, d’unité.

Et qui peut nier, en effet, que les étiquettes dénominationnelles protestantes sont légion ? Il y a les baptistes, les méthodistes, les luthériens, les réformés, les pentecôtistes, les mennonites, les darbystes, les adventistes, les assemblées de frères, les églises de réveil, les églises indépendantes, les églises chrétiennes missionnaires, les congrégations de l’Armée du Salut, les églises évangéliques arméniennes, etc. ! Et en face, il y a… l’Église catholique romaine.

Les protestants ne donnent pas l’impression d’être de grands spécialistes de l’unité. Pourtant, Jésus lui-même, avant d’être crucifié, a prié pour les chrétiens en ces mots : « [Père, je prie que mes disciples soient un], afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17.21). Pour Jésus, l’unité des chrétiens n’est pas optionnelle : de cette unité dépend même, semble-t-il, l’efficacité du témoignage chrétien !

Et aujourd’hui, je ne sais pas ce que vous pensez de cette question. Peut-être qu’en tant que chrétien, vous avez vraiment à cœur cette parole de Jésus, et vous êtes un militant de l’unité : vous pensez que les différentes dénominations chrétiennes devraient se rapprocher (protestants, catholiques, orthodoxes), et à terme ne former plus qu’une seule institution unifiée. Ou peut-être qu’au contraire, en tant que chrétien, vous avez une extrême méfiance vis-à-vis de cette recherche d’unité à tout prix, et vous avez même une extrême méfiance vis-à-vis des autres unions d’églises, sachant que Jésus a aussi dit qu’il existait des faux chrétiens, des loups dans la bergerie, qui cherchent à éloigner les croyants de la saine doctrine…

Ou peut-être encore que vous êtes un simple observateur : vous vous intéressez un peu à la foi chrétienne, un peu aux protestants, mais franchement, vous avez du mal à accorder votre confiance à un mouvement si éclaté, et donc ce manque apparent d’unité est pour vous un frein, voire un obstacle, à votre engagement dans la foi.

Quoi qu’il en soit, le texte qu’on est sur le point de lire va nous éclairer un peu plus sur la question. C’est un psaume plutôt court, dont l’auteur est le roi David, et dont le message est tout simplement le suivant : Oui à l’unité des chrétiens, mais la vraie ! Ce message, David nous le fait comprendre à travers une exclamation, suivie de deux comparaisons.

L’unité : sa succulence (v. 1)

David commence donc par une exclamation destinée à nous rappeler peut-être une évidence ; c’est que le peuple de Dieu est censé vivre dans l’unité.

Ce premier verset n’est pas compliqué à comprendre. David évoque le caractère succulent de l’unité des croyants (« bon » et « agréable »). Ce qui n’est pas dit explicitement, mais qui est sous-entendu, c’est que cette situation décrite par le roi David n’a pas toujours existé. Pendant le règne de David, il y a eu une période où le pays était vraiment unifié, mais combien de divisions et d’affrontements internes ont précédé cette période ! Rappelez-vous que David  a passé beaucoup de temps comme fugitif, pourchassé par Saül, le premier roi d’Israël, qui était jaloux de lui. Et lorsque Saül est mort et que David est devenu roi, il y a eu une terrible guerre civile qui a opposé David au fils de Saül. Le pays et le peuple étaient déchirés. Mais Dieu a donné la victoire à David, et il a affermi son règne, de sorte qu’une période de paix, de prospérité et de sécurité est advenue pour tout Israël. Et c’est dans ce contexte que David formule son exclamation du verset 1. C’est en contraste avec le passé.

C’est un peu comme si David disait : « Enfin ! Qu’il est bon, qu’il est agréable… ». C’est comme quand on a un bébé et qu’on attend 15 mois, 18 mois, 20 mois avant qu’il lâche la main de papa ou de maman et se mette à marcher tout seul ! Enfin ! Il marche ! Et on applaudit et on pousse des exclamations, parce qu’on a longtemps attendu ce moment, sachant qu’un être humain, c’est censé marcher.

Et de la même façon dans notre texte, David sait que le peuple de Dieu, c’est censé vivre dans l’unité. Et c’est cela qu’il veut nous faire comprendre à travers cette exclamation introductive.

Peut-être que l’unité des chrétiens n’a jamais vraiment été pour vous une préoccupation. Ce texte vous dit que ça devrait l’être ! La communion des croyants, c’est quelque chose de succulent. C’est comme le caviar : si vous avez bon goût, vous devriez l’aimer. Et par conséquent, vous devriez rechercher, entretenir et protéger les liens fraternels que vous pouvez avoir avec les autres croyants (si toutefois vous êtes croyant vous-même), à commencer par les croyants que vous fréquentez dans notre église.

Il ne fait donc aucun doute que l’unité du peuple de Dieu est un objectif capital. David nous le fait comprendre ici, et Jésus nous le dit lui-même, comme on l’a vu en introduction. Mais de quoi parle-t-on quand on parle de l’unité des chrétiens, et pourquoi cette unité est-elle si importante ? À ces deux questions, la suite du texte nous apporte des éléments de réponse.

L’unité : sa référence (v. 2)

Dans un deuxième temps, donc, David propose deux comparaisons. Et je ne sais pas ce que vous avez pensé au moment où nous avons lu le texte, mais ces comparaisons sont complètement improbables ! L’unité des chrétiens, c’est super important, c’est comme… de l’huile qui coule sur la barbe, et de la rosée qui se dépose sur les montagnes. Ah. Mais en y regardant de plus près, on va comprendre ce que David veut dire. Et la première comparaison est destinée à nous faire comprendre que l’unité du peuple de Dieu est indissociable de l’unicité du culte de Dieu.

Il est intéressant de noter que la première image qui vient à l’esprit de David en parlant de l’unité des croyants, c’est une image cérémonielle : celle de l’onction d’Aaron, qui représente historiquement le tout premier des souverains sacrificateurs (le souverain sacrificateur était le chef des prêtres). Ce détail révèle que David ne peut pas concevoir l’unité d’Israël indépendamment du culte d’Israël. Autrement dit, ce qui unifie le peuple de Dieu, pour David, c’est la relation du peuple avec Dieu. L’unité du peuple de Dieu a donc une référence, et c’est une référence objective, puisque cette relation entre le peuple et Dieu, c’est Dieu lui-même qui en a fixé les conditions. Le peuple de Dieu n’est pas uni en raison de lui-même mais en raison de sa relation avec Dieu.

Imaginez que David ne parle pas ici du peuple de Dieu mais d’une association de supporters de foot. Il pourrait dire : « Voici qu’il est bon, qu’il est agréable pour des supporters de foot de regarder un match ensemble ! C’est aussi beau que les couleurs du maillot de l’OL, c’est comme la rosée qui descend sur le gazon du Groupama Stadium ». Question à un million d’euros : quelle est la référence qui unifie cette association particulière de supporters ? L’équipe de Lyon, bien sûr. Est-ce que par l’expression « supporters de foot », on est amené à imaginer un groupe de personnes qui inclurait des supporters de Saint-Étienne ? Pas du tout. L’unité de cette association de supporters est indissociable de l’unicité (caractère unique) de l’objet de leur admiration. Ces supporters ne sont pas unis en raison d’eux-mêmes mais en raison de leur relation au club de foot qu’ils soutiennent.

C’est un peu irrévérencieux comme comparaison, mais c’est exactement le même raisonnement dans le texte qui nous intéresse. Oui, dit le texte, l’unité des croyants est super importante. Mais cette unité a une référence objective, et donc elle est objectivement délimitée. Le terme de « frères » doit être compris en référence non pas à nous-mêmes (« on est tous des frères parce qu’on est tous des êtres humains, ou parce qu’on s’aime bien ») mais en référence à Dieu qui a rendu possible une relation avec lui (« on est des frères parce qu’on a une relation commune à Dieu comme à un Père »).

Et en attirant notre attention sur Aaron et sur la fonction de souverain sacrificateur (grand prêtre), David attire notre attention sur l’élément essentiel, indispensable, qui rend possible la relation entre les hommes et Dieu. Cet élément, c’est la présence et le rôle d’un grand prêtre qui fait la médiation entre les hommes et Dieu par le moyen d’un sacrifice d’expiation, afin que les hommes qui ont confiance en Dieu puissent être débarrassés de leurs péchés et réconciliés avec Dieu. En l’absence d’expiation des péchés, il n’y a pas de relation possible avec Dieu.

Ce que la Bible nous explique, c’est qu’il y a eu, depuis Aaron, beaucoup de prêtres et de grands prêtres, et par conséquent beaucoup de sacrifices. Mais tout cela pointait en avant vers l’avènement d’un grand prêtre ultime, qui offrirait un sacrifice ultime. C’est Jésus qui est venu assumer cette fonction de manière parfaite et définitive : il s’est offert lui-même en sacrifice pour nos péchés, il est ressuscité en vainqueur sur nos péchés, et il plaide perpétuellement en notre faveur auprès de Dieu, en tant que grand prêtre éternel, de sorte que nous n’avons plus besoin de prêtres ou de temple ou de sacrifice sur terre ; mais surtout, si nous lui faisons confiance, nous pouvons être réconciliés avec Dieu, et même adoptés par Dieu.

C’est cette relation à Dieu, rendue possible par le sacrifice de Jésus, qui fait des croyants des « frères » au sens le plus fort du terme.

Voilà pourquoi je disais que dans ce texte, ce qui unifiait le peuple de Dieu, c’était la relation du peuple avec Dieu. Voilà pourquoi la vraie unité chrétienne est de nature spirituelle avant d’être de nature institutionnelle. Voilà ce que nous disons croire lorsque nous affirmons avec le Symbole des Apôtres (le crédo) que nous croyons à « la sainte Église universelle et la communion des saints ».

Et donc dans notre recherche d’unité entre les chrétiens, nous devons d’abord reconnaître que cette unité ne peut pas exister indépendamment d’une reconnaissance commune de la personne et de l’œuvre de Jésus telles qu’elles nous sont présentées dans les Saintes Écritures (ce qui signifie qu’il y a des personnes ou des institutions qui se disent chrétiennes mais avec lesquelles nous ne pourrons ni de devrons jamais connaître l’unité). Mais avec tous ceux qui confessent Jésus comme Seigneur, Sauveur et Dieu, il y a une unité spirituelle que nous devons reconnaître et manifester, malgré les différences qu’il peut y avoir par ailleurs sur des points seconds (des points qui, en fait, justifient l’existence d’unions d’églises différentes).

Et si l’apparente absence d’unité entre les chrétiens constitue pour vous un obstacle à votre engagement dans la foi, sachez que ce n’est pas votre relation à l’Église qui compte, mais votre relation à Jésus. L’Église est imparfaite, et de toute façon elle ne peut rien pour vous. Mais Jésus est parfait, c’est lui qui unifie spirituellement tous les croyants quelle que soit leur appartenance ecclésiastique, et comme le dit la Bible : « il peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui » (Hé 7.25). Donc il faut que vous transfériez votre attention de l’Église-institution ou de l’Église-dénomination, à Jésus, chef suprême de l’Église universelle. Si vous lui faites confiance, si vous vous attachez à lui par la foi, vous allez vous rendre compte que les chrétiens (les vrais) sont peut-être plus unis qu’ils ne le paraissent, parce que leur chef commun n’est pas le pape, ni un président d’union, ni un pasteur quelconque, mais le seul et unique Jésus-Christ. L’unité du peuple de Dieu est donc indissociable de l’unicité du culte de Dieu.

L’unité : sa conséquence (v. 3)

Mais il y a un dernier élément que nous devons voir avant de conclure. C’est la deuxième comparaison que propose David, et qui est destinée à nous faire comprendre, en conclusion de ce petit psaume, que la bénédiction de Dieu sur son peuple est intimement liée à l’unité de celui-ci.

David compare cette fois l’unité des croyants à une rosée abondante (« rosée de l’Hermon ») qui descend sur le lieu où sont centralisés tous les emblèmes de l’alliance, c’est-à-dire de la relation entre Dieu et son peuple. Ce lieu, c’est « Sion », où est construite Jérusalem, la capitale d’Israël, et où se trouvent le palais du roi, et le lieu de culte de l’Éternel. En comparant l’unité des croyants à une rosée abondante qui descend sur ce lieu, David veut dire que cette unité est une bénédiction de Dieu, et constitue en même temps le contexte idéal pour toute bénédiction de Dieu, la bénédiction suprême étant la vie éternelle. Autrement dit, et tout simplement : si le peuple de Dieu veut connaître les bénédictions de Dieu, il vaut mieux que le peuple de Dieu soit uni.

Je reviens à ma première illustration où je vous parlais de la façon dont on se réjouit naturellement quand un bébé se met à marcher, après de nombreux mois d’attente et de frustration. C’est formidable, parce qu’un être humain, c’est censé marcher ! Marcher, pour un être humain, c’est un signe de santé et de maturité. Et donc marcher, c’est déjà un bienfait extraordinaire en soi. Mais c’est aussi un moyen d’accéder à d’autres bienfaits : parce qu’on marche, on peut se déplacer plus facilement et plus rapidement pour aller chercher des jouets dans la chambre, pour venir à table quand c’est l’heure de manger, et plus tard, pour se promener dans les montagnes, faire du sport, travailler pour gagner sa vie, aller à l'église, etc. Marcher, c’est à la fois une bénédiction, et un moyen de bénédiction.

Et de même dans le texte, l’unité des chrétiens est à la fois une bénédiction de Dieu et le contexte idéal de toute bénédiction de Dieu. C’est exactement la raison pour laquelle Jésus a prié pour l’unité des chrétiens, sachant qu’en recherchant, en entretenant et en protégeant leur unité, les chrétiens allaient connaître une situation particulièrement précieuse et belle, « bonne et agréable », semblable à l’unité qui existe au sein de la Trinité elle-même (cf. Jn 17.20-23). C’est déjà une bénédiction. Mais Jésus ajoute que l’unité des chrétiens va servir aussi à convaincre le monde que Jésus a bien été envoyé par Dieu pour sauver des pécheurs (Jn 17.21). L’apôtre Paul à son tour nous dit de nous efforcer de « conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix », parce que c’est dans cette condition que les croyants vont croître dans la foi et persévérer dans leur vocation. L’unité des chrétiens est donc à la fois une bénédiction en soi, et aussi un moyen de bénédiction.

Le texte nous dit donc, tout simplement, à travers cette deuxième comparaison, que la bénédiction de Dieu sur son peuple est intimement liée à l’unité de celui-ci. Le but, c’est tout simplement que nous nous rendions compte que l’unité des croyants c’est quelque chose qui mérite d’être recherché, entretenu et protégé. Parce que les enjeux sont énormes, pour nous et pour le monde qui nous observe.

Alors pour récapituler : on a vu que le message central de ce texte, c’était le suivant : Oui à l’unité des chrétiens, mais la vraie !

Et on a vu que ce message nous était adressé en trois points. Tout d’abord (v. 1), une leçon toute simple sous la forme d’une exclamation : le peuple de Dieu est censé vivre dans l’unité. L’unité entre les croyants, ça fait partie de notre appel. On ne peut pas s’en passer, et on ne peut que se réjouir quand on fait l’expérience de cette unité. Mais deuxièmement (v. 2), l’unité du peuple de Dieu est indissociable de l’unicité du culte de Dieu. Par cette première comparaison, le texte nous incite à fonder notre unité sur une référence objective et commune, à savoir sur la personne et l’œuvre de Jésus. Et troisièmement (v. 3), la bénédiction de Dieu sur son peuple est intimement liée à l’unité de celui-ci. Par cette deuxième comparaison, le texte nous montre que les enjeux de l’unité des croyants, la vraie, sont très importants.

Que devons-nous faire par conséquent ? D’abord reconnaître que l’unité des croyants est une vraie préoccupation de Dieu. Nous devons nous aussi avoir cette préoccupation. Mais en même temps, nous devons reconnaître que l’unité ne doit pas être recherchée à n’importe quel prix. L’unité des chrétiens est définie et délimitée par la relation des chrétiens à Dieu, rendue possible par Jésus. Lorsque cette réalité est compromise, même par des gens qui se disent « chrétiens », l’unité, la vraie, n’est pas possible. Lorsque nous voyons des personnes ou des organismes militer pour l’unité, nous devons nous demander quelle est la nature et la base de cette unité.

Mais nous devons quand même manifester une réelle unité, l’unité de l’Esprit, avec tous les chrétiens qui professent la vraie foi en Jésus. Cette unité, la vraie, peut tout-à-fait être à la base de certaines relations œcuméniques et inter-dénominationnelles. C’est une bénédiction, et il en découle des bénédictions. Cette unité, la vraie, doit être manifestée par excellence dans le cadre de notre petite église, par des relations fraternelles authentiques, paisibles, patientes, humbles et charitables.

Les croyants sont unis, non pas en raison d’eux-mêmes, mais en raison de Dieu qui les a adoptés comme ses enfants. Jésus est notre chef commun, et j’espère de tout cœur que vous tous, vous le connaissez personnellement comme votre Seigneur, votre Sauveur et votre Dieu.

Copyright ©2024 Église Lyon Gerland.