Allons, enfants de la Patrie !

Par Alexandre Sarranle 20 juin 2021

Il nous est tous déjà arrivé, un jour, de ne pas nous sentir à notre place. « Je suis moins beau que les autres, moins intelligent, moins fort, moins riche, moins drôle, bref, je suis différent et je ne serai peut-être jamais pleinement intégré. » Ça arrive qu’on ressente cela dans bien des contextes différents, mais le comble, bien sûr, c’est quand on ne se sent pas à sa place… dans sa propre famille !

Eh bien il arrive que des gens qui professent la foi en Jésus-Christ ressentent cela dans leur propre église. On peut avoir l’impression d’être quelque peu inférieur aux autres parce qu’on vient d’un arrière-plan très différent, on a un passif compliqué, on n’a pas de très grandes connaissances théologiques, on est timide. Et on finit par se dire qu’on appartient peut-être à une sous-catégorie de chrétiens.

Il se peut même qu’une église locale ressente cela par rapport à son union d’églises, et même qu’une union d’églises ressente cela par rapport à l’ensemble du paysage protestant évangélique de son pays !

Au premier siècle, certains chrétiens de la ville d’Éphèse étaient tentés de croire qu’ils étaient en quelque sorte des « intrus » dans la grande famille de la foi. Pourquoi ? Parce qu’ils ne venaient pas d’un arrière-plan juif. C’étaient des païens convertis. Ils n’avaient pas la même histoire. Ils n’avaient pas la même culture religieuse. Ils sont entrés comme des étrangers dans le peuple de Dieu—on pourrait presque dire comme des réfugiés.

Mais pour l’apôtre Paul, le fait qu’il puisse exister ce genre d’inégalité implicite dans la communauté des chrétiens, c’est un problème, et il veut le corriger. Il veut empêcher qu’il se forme des castes dans l’Église. Il veut que tous les croyants sachent qu’ils ont pleinement leur place dans la famille de Dieu. Il ne veut pas qu’il y ait de complexe ni d’infériorité, ni de supériorité entre les chrétiens.

C’est une des raisons pour lesquelles l’apôtre Paul a écrit sa lettre aux Éphésiens. Et notamment à la fin du chapitre 3, il souligne l’importance pour eux de prendre pleinement conscience du statut qu’ils ont obtenu par la foi en Christ. C’est aussi ce que ce texte veut nous dire aujourd’hui : si nous sommes attachés à Jésus par la foi, nous devons maintenant grandir dans notre compréhension de la dignité que nous avons en tant que membres à part entière de la famille de Dieu.

1/ Des enfants voulus (v. 13)

Tout d’abord, le texte nous enseigne que toute personne qui a une foi authentique est voulue par Dieu dans sa famille—dans la famille de Dieu.

Notre passage commence au verset 13, où l’apôtre Paul fait une remarque concernant les tribulations qu’il a endurées pour que l’église d’Éphèse puisse exister. Paul s’est désigné lui-même au début de ce chapitre comme étant « le prisonnier du Christ-Jésus pour vous, les païens » (v. 1). C’est-à-dire que le prix de l’évangélisation des païens, et donc d’un certain nombre de croyants dans l’église d’Éphèse, a été l’emprisonnement de Paul.

Paul leur dit qu’ils ne devraient pas être démoralisés par ce prix qui a été payé pour qu’ils fassent partie de la communauté des chrétiens. Au contraire, c’est leur « gloire », ils devraient être encouragés par cela ! Pourquoi ? Parce que c’est le signe de la grande détermination qui a été déployée pour qu’ils soient intégrés dans la famille de Dieu. Ça devrait, en quelque sorte, leur montrer (surtout aux païens convertis) qu’ils sont « importants » aux yeux de Dieu.

Parfois, lorsque quelqu’un ne semble pas apprécier quelque chose à sa juste valeur, on a envie de lui rappeler le prix de cette chose. « Ce tableau, suspendu dans mon salon, a coûté 1000 euros, il mérite que tu lui accordes un peu d’attention ! » Ou bien, si la valeur intrinsèque de l’objet n’est pas très importante, peut-être que c’est son histoire qui lui donne de la valeur. « Mon arrière-grand-père portait sur lui cette photo de mon arrière-grand-mère, quand il est mort dans une tranchée en 1914. »

De la même façon, l’apôtre Paul dit aux chrétiens d’Éphèse, et particulièrement aux païens convertis : « Je suis en prison pour vous. Tel est le prix qui a été payé pour que vous soyez des chrétiens aujourd’hui. C’est votre gloire. Arrêtez de vous dévaloriser ! »

Paul cherche donc à persuader ses destinataires que toute personne qui a une foi authentique est voulue par Dieu dans sa famille. Aucun croyant n’a une place accidentelle dans la famille de Dieu. Si nous sommes attachés à Christ par la foi, nous ne devons jamais nous imaginer que nous ne sommes peut-être pas désirés par Dieu dans son Église.

À l’inverse, nous ne devons jamais laisser entendre à qui que ce soit qui s’attache à Christ par la foi qu’il, ou elle, appartiendrait à une sous-catégorie de chrétiens, et qu’il, ou elle, pourrait certes s’approcher de Dieu, mais plus difficilement que les autres !

2/ Des enfants qui grandissent (v. 14-17)

Deuxièmement, le texte nous enseigne que la cohésion de la famille de Dieu va augmenter au fur et à mesure que chacun de ses membres grandit dans la foi.

Dans les versets 14 à 17, l’apôtre Paul commence à formuler une prière pour les chrétiens d’Éphèse. Bien sûr, quand on dit aux gens qu’on prie pour eux, et qu’on leur partage le contenu de notre prière, c’est pour leur faire passer un message ! Quand on dit à quelqu’un : « Je prie pour toi, afin que ceci se passe dans ta vie », ça veut dire qu’on estime que « ceci » est souhaitable pour la vie de cette personne. Il est sous-entendu que cette personne devrait aussi trouver que « ceci » est souhaitable pour sa vie.

Qu’est-ce qui est souhaitable pour les chrétiens d’Éphèse, d’après l’apôtre Paul ? Qu’ils grandissent chacun, individuellement, dans la foi. Dans ces versets, Paul formule sa prière de manière à nous faire comprendre qu’il espère un exaucement dans la vie des personnes individuelles et pas simplement de manière générale dans la vie de la communauté.

« L’homme intérieur » (v. 16), c’est la dimension immatérielle d’un individu : ses pensées à lui (ou elle), ses émotions, ses motivations. Paul demande par ailleurs que le Christ habite « dans vos cœurs » (v. 17) : il utilise le pluriel pour montrer que chaque personne est visée.

Paul souhaite donc que chaque chrétien dans l’Église devienne plus mûr et plus solide intérieurement et individuellement. Que chacun soit « perfectionné », comme il le dira un peu plus loin (Ép 4.12), sous l’effet de la puissance généreuse du Père, déployée par le Saint-Esprit dans la vie intérieure des croyants, par le moyen de la foi en Jésus-Christ. Vous avez bien noté dans ces versets la participation des trois personnes de la Trinité !

Mais ce qui est intéressant, c’est aussi la remarque que fait Paul au début de sa prière, en disant qu’il s’adresse au Père, « de qui toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom » (v. 15). Il y a bien sûr un lien étymologique en grec entre le mot « Père » et le mot « famille » dans cette phrase (pater et patria).

Il semble que ce que Paul veut dire, c’est que dans un certain sens—au sens de la grâce commune—, les païens étaient déjà redevables à Dieu le Père de leur existence en tant que diverses « patries », avant de devenir des chrétiens, et donc qu’ils n’étaient pas si étrangers que cela au projet de Dieu, un projet qui se matérialise maintenant avec le développement de l’Église chrétienne où se trouvent des gens issus de toutes les patries humaines.

Autrement dit : il y avait déjà une forme d’universalité dans le rapport de Dieu au monde avant la venue du Christ, mais maintenant, cette universalité est rendue tout-à-fait manifeste dans l’Église chrétienne. L’inclusion des païens n’est pas un accident, mais bel et bien le projet magnifique de Dieu.

En Christ, des croyants de toute origine constituent maintenant la famille de Dieu, et la prière de Paul, c’est que la cohésion de cette famille augmente au fur et à mesure que chacun de ses membres grandit dans la foi.

Alors est-ce que nous souhaitons… ce qui nous est souhaitable d’après ce texte ? Est-ce que nous soignons notre vie intérieure en faisant bon usage des moyens de grâce que Dieu nous a donnés ? Est-ce que nous cherchons perpétuellement à mieux connaître Christ afin qu’il habite véritablement dans nos cœurs, étant nous-mêmes enracinés et fondés dans l’amour ?

3/ Des enfants aimés (v. 18-19)

Troisièmement, le texte nous enseigne, en effet, que c’est en comprenant mieux l’ampleur de l’amour du Christ que la famille de Dieu deviendra ce qu’elle est censée être.

Dans les versets 18 et 19, l’apôtre Paul poursuit sa prière. Ce qu’il souhaite, dit-il, c’est que les croyants d’Éphèse améliorent leur perception de l’amour de Jésus. Cet amour, Paul le décrit en lui donnant une forme tridimensionnelle. Il y a une largeur, une longueur, une profondeur et une hauteur. Ce sont les mesures de quelque chose qu’on peut remplir. Ce que Paul demande à Dieu, c’est que les chrétiens puissent comprendre ensemble, « avec tous les saints », tout ce que cet amour de Christ peut contenir.

C’est une allusion au fait que l’amour de Christ est un amour qui se remplit, qui reçoit, qui accueille. Imaginez des bras qui s’ouvrent. Et dans le contexte de ce texte, qu’est-ce qu’il accueille ? Des Juifs convertis, et des non-Juifs convertis. C’est-à-dire toutes sortes de gens.

Donc l’apôtre Paul est en train de dire que c’est en comprenant mieux la capacité d’inclusion de l’amour de Christ, sa « contenance » en quelque sorte, que l’Église va se « remplir » selon l’intention de Dieu, jusqu’à toute sa plénitude (v. 19). C’est ainsi que l’Église deviendra ce que Dieu veut qu’elle soit.

Imaginez qu’exceptionnellement, le culte de notre église doive se faire dans une salle que nous ne connaissons pas. À cause des restrictions sanitaires, nous devons demander aux gens de s’inscrire au préalable. Mais comme nous ne connaissons pas la capacité de la salle, nous allons nous limiter à un nombre d’inscriptions assez bas, pour ne pas prendre de risque, et une fois ce nombre atteint, nous allons devoir refuser des gens.

Or peut-être que la salle peut accueillir 10 000 personnes, et qu’il n’y a besoin de refuser aucune inscription ! On ne le sait pas. Il faudrait qu’on soit capable de comprendre, avec toutes les personnes concernées, « quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur » de la salle, en sorte que nous soyons « remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu » !

De la même façon, l’apôtre Paul a à cœur que les croyants d’Éphèse comprennent ensemble quelle est la capacité d’accueil de l’amour du Christ dans la famille de Dieu. Un amour si grand qu’il peut contenir des humains de toutes origines, et en très grand nombre !

Un amour si grand que lorsque nous (Juifs ou non-Juifs) étions encore pécheurs et ennemis de Dieu, « Christ est mort pour nous » (Rm 5.8). Paul a dit un peu plus haut dans sa lettre aux Éphésiens : « Dieu est riche en miséricorde et, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts par nos fautes, il nous a rendus à la vie avec le Christ. » (Ép 2.4-5)

Telle est l’ampleur de l’amour du Christ : il a voulu racheter une multitude d’hommes, de femmes et d’enfants, de toute origine, en payant lui-même, de son sang, le prix de leur délivrance. Par la foi en Christ, nous sommes réconciliés à Dieu, puis les uns aux autres.

Les croyants authentiques, qui sont authentiquement attachés à Jésus par la foi, sont réellement réconciliés entre eux, et c’est une œuvre incroyable que Dieu a accomplie. C’est « l’homme nouveau », qui existe dans l’Église (Ép 2.15). C’est le mystère « révélé maintenant par l’Esprit », auquel Paul a fait référence un peu plus haut dans ce chapitre (Ép 3.5-6).

C’est aussi pourquoi Paul dit qu’en priant que les chrétiens comprennent mieux quelle est l’ampleur de l’amour du Christ, il demande qu’ils soient capables, paradoxalement, de connaître quelque chose qui surpasse la connaissance (v. 19). Donc en effet, il faut que ce soit Dieu qui donne cette connaissance surnaturelle !

Mais il nous la donne, et il nous l’augmente, par la prédication inlassable de l’évangile, qui est la prédication de Christ mort pour nos péchés, et ressuscité le troisième jour (1 Co 15.1-4). Cet évangile nous enseigne que tout être humain qui se repent de ses péchés et qui place sa confiance en Christ est accueilli sans réserve dans la famille de Dieu.

C’est en comprenant mieux l’ampleur de l’amour du Christ que la famille de Dieu deviendra ce qu’elle est censée être : une famille nombreuse, diverse, et surnaturellement unie.

4/ Des enfants appelés (v. 20-21)

Et justement : quatrièmement et dernièrement, ce texte nous enseigne que l’Église en tant que famille de Dieu a une vocation absolument prodigieuse.

En conclusion de sa prière, aux versets 20 et 21, l’apôtre Paul prononce une doxologie (une parole de louange au sujet de Dieu). En prononçant cette parole, il veut souligner la portée incroyable du projet de Dieu qui concerne les croyants. Dieu a déployé sa puissance dans la vie des personnes qui sont attachées à Christ par la foi, de sorte qu’il va réaliser quelque chose qui dépasse même « infiniment » ce qu’on peut demander ou penser, et qui va aboutir à sa propre gloire dans l’éternité ! Cette gloire est appelée à se manifester « dans l’Église et en Christ-Jésus » (v. 21), les deux étant organiquement liés.

Pour l’apôtre Paul, donc, l’Église va glorifier Dieu en assumant le statut dont Paul a parlé longuement aux chapitres précédents, et auquel il pensait dans sa prière, à savoir, le statut de famille de Dieu, d’humanité réconciliée, unifiée par le Saint-Esprit, composée de toutes sortes de gens qui sont attachés à Jésus par la foi (cf. Ép 2.17-22).

C’est comme si un grand artiste-peintre était en train de réaliser un tableau. Imaginez Rembrandt, par exemple, à qui on a commandé un tableau en 1638, qu’il devait peindre sur une toile de 4m sur 5m environ. Il lui a fallu près de quatre ans pour réaliser cette œuvre qui s’appelle La Ronde de nuit. Pendant quatre ans, donc, le tableau était inachevé mais en cours de réalisation. La beauté du tableau ne serait pleinement visible qu’à la fin.

Entre-temps, on pouvait quand même dire que ce tableau inachevé avait une vocation : manifester le talent du peintre. On pouvait même dire que ce tableau inachevé existait déjà dans la pensée de l’artiste. Il avait une intention et un but pour cette toile. On pouvait respecter et valoriser son travail, et même l’admirer par anticipation, alors que le produit fini était encore loin.

De la même façon, l’Église est un projet extraordinaire, que Dieu a conçu. Ce projet existait dans sa pensée depuis toute l’éternité. Il est aujourd’hui en train de le réaliser, pour sa propre gloire « aux siècles des siècles » (v. 21).

L’Église est la partie visible, aujourd’hui, du projet cosmique de Dieu, que Paul a décrit de la manière suivante au tout début de sa lettre aux Éphésiens : « réunir sous un seul chef, le Christ, tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. » (Ép 1.10) Si l’Église est aujourd’hui les prémisses de ce tableau, alors vous voyez que l’Église en tant que famille de Dieu a une vocation absolument prodigieuse !

Il est tellement important que nous prenions mieux la mesure de cette réalité. Si nous plaçons sans réserve notre foi en Jésus, nous sommes des enfants de la famille de Dieu : des enfants voulus par Dieu, des enfants qui désirent grandir dans la foi, des enfants qui découvrent de plus en plus l’ampleur de l’amour du Christ, des enfants élevés à un statut extraordinaire.

Il n’y a pas d’inégalité en Christ. Pas de caste en Christ. Pas de sous-catégories en Christ. Pas de complexe d’infériorité, ni de supériorité à avoir en Christ, par rapport aux autres croyants, ou aux autres églises, ou aux autres unions d’églises.

Vous connaissez certainement le conte d’Andersen intitulé : « Le Vilain Petit Canard ». Ce petit caneton n’est pas comme les autres. Il ne se sent pas à sa place. Il ne s’intègre pas. Il est rejeté et il finit par se dévaloriser lui-même. Jusqu’au jour où il découvre qu’en réalité, il est un cygne. Un superbe cygne !

Dans ce texte aussi, aujourd’hui, Dieu veut qu’on découvre qu’il n’y a pas de vilain petit canard dans sa famille. Si nous sommes attachés à Jésus par la foi, nous devons grandir dans notre compréhension de la dignité que nous avons en tant que membres à part entière de la famille de Dieu. C’est comme cela que chaque croyant, et chaque église, se sentira pleinement à sa place : aimé, entouré, estimé, et solidaire des autres, à la gloire de Dieu !

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