La chance de se savoir pécheur

Par Alexandre Sarranle 31 octobre 2021

Bonjour à tous, bande de pécheurs. J’espère que vous allez bien, ou plutôt, j’espère que vous êtes vraiment tristes et humiliés par l’état de votre vie et de votre cœur, par les choses que vous faites, dites, pensez, ressentez et désirez, qui vous blessent, qui blessent les autres et qui blessent l’honneur de Dieu. Parce que c’est en passant par cette contrition-là, cette affliction intérieure, que vous irez vraiment bien, en fait.

Alors vous ne le savez peut-être pas encore, mais vous devriez vraiment être reconnaissants que je vous appelle comme ça : des pécheurs ! Un pécheur, dans la Bible, ce n’est pas quelqu’un qui attrape des poissons, mais c’est quelqu’un qui a quelque chose de mauvais dans son cœur, et parce qu’il a ce truc mauvais dans son cœur, il va régulièrement avoir un comportement mauvais. Un comportement mauvais selon les normes de la justice de Dieu.

D’après la Bible, tous les humains sont des pécheurs (à l’exception de Jésus-Christ). Et vous devriez être reconnaissants que je vous appelle comme ça, parce que cette compréhension de notre condition en tant que pécheurs, c’est vraiment une chance, un privilège même, d’après le texte qu’on va lire dans un instant. C’est une chance de se savoir pécheur ! Alors ça vous plaît, que je vous appelle des pécheurs ? Ça va vous plaire, avant la fin de cette prédication !

Mais avant d’y venir, je vous rappelle qu’on est en train d’étudier une lettre que l’apôtre Paul a écrite à une communauté chrétienne de son époque, qui se trouvait à Rome, au premier siècle. On a vu que dans cette lettre, l’apôtre Paul voulait leur exposer un truc qu’il appelle « l’évangile ». Littéralement, ça veut dire une « bonne nouvelle », et cette bonne nouvelle, ça concerne ce que Dieu a fait pour sauver des gens—des gens comme vous et moi, qui sont des pécheurs et qui méritent d’être punis pour leurs péchés. Mais Dieu a fait quelque chose pour qu’on puisse échapper à cette punition et entrer au paradis à la place. C’est ça la bonne nouvelle, « l’évangile » que Paul veut nous expliquer dans sa lettre.

Et on est encore vers le début de cette lettre, dans la première partie pourrait-on dire, où Paul veut nous convaincre qu’on a besoin d’entendre la suite—et pour ça, il veut nous convaincre, il veut nous démontrer même, qu’on est des pécheurs, et que parce qu’on est des pécheurs, on est perdu, et que parce qu’on est perdu, on a besoin d’être sauvé. Vous suivez ?

Et Paul vient juste de dire quelque chose, là où on s’était arrêté la dernière fois, c’est que même les gens les plus religieux du monde sont des pécheurs, et que ce n’est pas par la pratique extérieure de la religion qu’on peut être sauvé, mais seulement par un changement intérieur : ce que Paul a appelé « la circoncision du cœur », c’est-à-dire un changement radical d’attitude envers Dieu, une docilité fondamentale devant lui, quelque chose d’intérieur, donc, que seul Dieu peut opérer en nous. Vous vous rappelez ?

Mais voici l’objection que les gens très religieux vont opposer à Paul : « Ah, mais si la pratique extérieure de notre religion ne peut pas nous sauver, même nous qui sommes des Juifs—donc des spécialistes de la vraie religion voulue par Dieu—et si tout ce qui compte c’est un changement intérieur, alors ça veut dire que les signes extérieurs d’adhésion à notre religion, ça ne sert strictement à rien ? Ça veut dire que ça ne change vraiment rien qu’on soit juif ou non-juif, qu’on soit circoncis ou incirconcis, qu’on fasse partie ou non, visiblement, du peuple de Dieu, qu’on pratique ou non les rites de notre religion ? Tout ce qui est extérieur ne sert à rien, puisque ce qui compte vraiment, c’est ce qui est intérieur ? Vraiment, Paul ? »

Et peut-être que la dernière fois, vous aussi vous avez pu penser la même chose. Si ce qui compte vraiment à la fin, c’est de rencontrer Dieu dans son cœur, alors à quoi ça sert, tout ce qu’on ajoute à ça ? À quoi ça sert d’aller à l’église, d’écouter la prédication, de chanter, de recevoir le baptême en tant qu’adulte, ou d’administrer le baptême à nos enfants, et de prendre la sainte-cène, et de participer au groupe de maison en semaine ? Bref, à quoi ça sert de prendre part extérieurement à la vie de l’église, si ce qui compte vraiment à la fin c’est la réalité intérieure de notre conversion à Dieu ?

Et donc l’apôtre Paul va répondre à ça. Et voici ce qu’il va dire : « Non, ça ne sert pas à rien, mais ça ne sert peut-être pas à ce que vous croyez. Vous qui êtes attachés à vos pratiques extérieures, ces pratiques sont utiles, Dieu les a instituées ! Mais si elles sont utiles, ce n’est pas pour que vous en tiriez une quelconque fierté, c’est au contraire pour que vous en tiriez de l’humilité. Vous les Juifs, votre participation extérieure à la vie du peuple de Dieu ne vous parle pas de votre supériorité, mais de la supériorité de Dieu, et de votre misère. Et il est là votre privilège, en fait, vous les spécialistes de la religion voulue par Dieu ! Vous avez le privilège de savoir, mieux que quiconque, que vous êtes des pécheurs. »

Et donc voici toute la leçon de ce texte pour nous aujourd’hui : c’est une chance de pouvoir être sensibilisé à notre état de pécheur, et on y est sensibilisé notamment par notre participation assidue à la vie de l’Église.

Alors ne le prenez pas mal, si en venant ici, on vous appelle un pécheur ! Prenez-le bien, parce que c’est une chance, comme on va le voir, je l’espère, dans ce texte. Je vais le lire, et je reconnais que le raisonnement de Paul n’est pas forcément évident à suivre. Mais je crois que Paul veut qu’on fasse trois choses, avec gratitude, qui vont nous amener—si j’ose dire—à apprécier la réalité qu’on est vraiment des pécheurs : reconnaître l’alliance de Dieu, respecter la justice de Dieu, et recevoir le verdict de Dieu. Voyons voir comment Paul en parle.

1/ Reconnaître l’alliance de Dieu (v. 1-4)

Donc c’est une chance de pouvoir être sensibilisé à notre état de pécheur, et on y est sensibilisé notamment par notre participation assidue à la vie de l’Église.

Premièrement, on doit reconnaître avec gratitude l’alliance de Dieu. Qu’est-ce que ça veut dire et quel est le rapport avec notre sujet ? Regardons le texte (v. 1-4).

L’apôtre Paul dit très clairement qu’il y a un privilège à être juif, et que la circoncision est utile. Ces choses ne sont pas insignifiantes et elles ne valent pas rien. Non, dit Paul, le privilège du Juif et l’utilité de la circoncision sont « considérables » (v. 2). Donc non, Paul n’est pas en train de dire que « tout ça, ça ne compte pas, puisque tout ce qui compte, c’est la réalité intérieure d’un cœur transformé par Dieu ». Non, ce n’est pas ce qu’il dit.

Alors il faut bien comprendre, aujourd’hui, ce que ça représentait, à l’époque, d’être juif et d’être circoncis. Paul est tout simplement en train de désigner la dimension extérieure (ou visible) de la relation que Dieu avait établie avec son peuple, en tout cas jusqu’à l’époque de Jésus. Je ne vais pas entrer dans tous les détails, mais ce que nous, on a surtout besoin de comprendre, c’est que la circoncision, ça représente vraiment l’emblème historique, externe, visible, de l’appartenance au peuple de Dieu (le signe extérieur de cette appartenance).

Quand vous signez un contrat, par exemple pour l’achat d’une maison, vous partez de chez le notaire avec un papier dans la main, et pas avec une maison dans la main. Le papier, c’est la réalité visible (à ce moment-là). La maison, c’est la réalité invisible. Et le cachet du notaire sur le papier, c’est la circoncision. Donc Dieu établit une relation avec des gens, et il entérine cette relation par des signes extérieurs et visibles. Dans notre passage, la circoncision est, historiquement, le signe extérieur et visible (le cachet) de l’appartenance d’une personne au peuple de Dieu.

Je dis « visible », non pas parce que les gens se baladaient tout nus, mais je le dis par opposition à une réalité qui serait intérieure et spirituelle (donc physiquement invisible).

Donc suivez bien : ce que Paul est en train de rappeler, ici, c’est que la relation que Dieu a établie avec son peuple a une dimension extérieure, c’est-à-dire qu’il y a des rites à pratiquer, il y a un peuple qu’on peut identifier, il y a une religion visible que Dieu a voulu instituer.

Cette relation formelle que Dieu a établie avec le peuple qui porte son nom est appelée dans la Bible une « alliance », et cette alliance, depuis qu’elle existe, a une dimension extérieure et visible, et une dimension intérieure et spirituelle. C’est très important de le comprendre.

Parce que les Juifs dont parle Paul dans notre passage, ce sont des gens qui sont très attachés à cet héritage, très attachés à l’expression extérieure de l’alliance. Dans l’Église de Rome au premier siècle, eh bien ces gens-là, ce sont certainement ceux qui connaissent le mieux les saintes Écritures (ces fameux oracles qui ont été confiés aux Juifs). Ce sont les gens qui ont fréquenté la synagogue depuis toujours, ils sont sûrement déjà allés à Jérusalem en pèlerinage, ils connaissent les règles alimentaires et les différents rites de purification, et leurs enfants ont été circoncis et ont été élevés dans la foi au Dieu d’Israël.

Mais comme Paul vient de soulever l’hypothèse qu’un non-Juif puisse, spirituellement, accomplir la loi des Juifs plus fidèlement qu’un Juif (cf. Rm 2.25-29), eh bien forcément il y a des gens dans l’église de Rome qui sont en train de se demander si Paul est en train de dire que l’alliance, finalement, ça ne compte pour rien !

Et Paul est en train de dire : « Non, ce n’est pas ce que je dis. L’alliance est utile et importante. Même si ce n’est pas l’appartenance extérieure à l’alliance qui compte le plus, ça compte quand même. Et même si les gens qui appartiennent extérieurement à l’alliance sont infidèles, ça n’annule quand même pas l’alliance. L’alliance est quand même importante. »

Mais voici la subtilité, et surtout, voici le rapport avec notre sujet aujourd’hui. C’est que si l’alliance est importante, ce n’est pas pour mettre les hommes en valeur, mais plutôt pour mettre Dieu en valeur par rapport à notre indignité.

Les Juifs dont parle Paul, ce sont des gens qui auraient eu tendance à penser que si l’alliance était si importante, c’était parce qu’ils se disaient que par l’accomplissement des rites de l’alliance, ils pouvaient obtenir ce qui était promis dans l’alliance. Donc ! Soit c’est possible d’y arriver, et donc ça donne aux gens qui y arrivent une certaine importance ; soit Paul a raison quand il dit que ce n’est pas possible d’y arriver, et donc l’alliance ne sert à rien ! Vous suivez ? Voilà le faux dilemme auquel Paul veut répondre dans notre passage.

C’est un faux dilemme, parce qu’en réalité, l’alliance ne sert pas à donner de l’importance aux gens ; elle sert à donner de l’importance à Dieu et à ses promesses, à sa fiabilité, à sa fidélité et à sa justice. Et en fait, tout ça est d’autant plus mis en valeur que les hommes, eux, sont menteurs, infidèles et injustes, à commencer par les hommes avec qui Dieu a fait alliance.

Je sais que tout ça est un peu technique et compliqué. Je suis vraiment désolé, j’espère que vous vous accrochez quand même. Permettez-moi de vous donner une illustration, et ensuite je vais essayer de souligner ce qui est vraiment important dans ce premier point.

Imaginez un employeur qui embaucherait quelqu’un dont il sait déjà, pour sûr, à l’avance, que cette personne ne va pas faire un bon travail. On se dirait : il est bête cet employeur. Mais imaginez maintenant que cet employé fasse vraiment un mauvais travail, et que l’employeur le garde quand même. L’employeur va passer du temps à lui expliquer comment faire son travail, il va l’informer, l’avertir, peut-être le gronder… Mais l’employé va continuer de mal faire son travail. Imaginez maintenant que l’employeur décide de faire le travail de l’employé à sa place et de quand même lui donner son salaire ! L’employeur aurait pu résilier le contrat à cause de l’infidélité de l’employé, mais il ne le fait pas. Alors : est-ce que cette histoire nous parle plus de la valeur de l’employé, ou de la valeur de l’employeur ?

Ça nous parle de la valeur de l’employeur dans le contexte de l’incompétence de l’employé. De la même façon, l’alliance nous parle de la valeur de Dieu dans le contexte de l’incompétence des hommes avec qui Dieu a fait alliance. Ce qui est vraiment important à comprendre pour nous, c’est que les pratiques religieuses que Dieu a instituées pour nous sont utiles, mais non pas pour nous donner de l’importance ; elles sont utiles pour mettre en valeur la fidélité de Dieu en contraste avec notre infidélité.

En tant que communauté chrétienne, on est la continuité du peuple de Dieu, qui est en alliance avec Dieu. Et cette alliance comporte encore une dimension extérieure et visible. On pratique les rites que Dieu a institués. On baptise les membres du peuple visible de Dieu (adultes et enfants). On célèbre la sainte-cène. On se réunit visiblement pour rendre un culte à Dieu. Et surtout, on étudie et on fait connaître les oracles de Dieu qui nous ont été confiés. Ce sont des choses que Dieu nous demande de faire.

Et donc on doit reconnaître avec gratitude l’alliance de Dieu, y compris dans sa dimension extérieure et visible, parce que tout ça, ça nous parle de la fidélité de Dieu en contraste avec notre infidélité.

Ça nous parle de Dieu qui a conçu un projet pour le salut des hommes, et qui a fait connaître sa parole à travers les prophètes, et qui, finalement, s’est approché de nous par Jésus-Christ, et qui a vécu dans l’obéissance et qui est mort et qui est ressuscité, pour satisfaire aux exigences de l’alliance à notre place (c’est-à-dire pour faire le travail à la place des employés), pour que nous, si on place notre confiance en lui, on reçoive ce qui est promis dans le contrat (ou plutôt promis dans l’alliance), et qu’on le reçoive par la grâce de Dieu, par le moyen de la foi.

Oui, l’alliance de Dieu, y compris dans sa dimension extérieure et visible, nous parle de la fidélité de Dieu en contraste avec notre infidélité. Oui, si on reconnaît avec gratitude l’alliance de Dieu, si on prend part avec gratitude aux pratiques que Dieu a instituées, en participant assidûment à la vie de l’Église, on va être amené à apprécier la réalité qu’on est vraiment des pécheurs, et ainsi à apprécier d’autant plus la fidélité et la grâce de Dieu. C’est une chance !

2/ Respecter la justice de Dieu (v. 5-8)

Et ça nous amène au deuxième point. Deuxièmement, non seulement on doit reconnaître avec gratitude l’alliance de Dieu, mais on doit aussi respecter avec gratitude la justice de Dieu. Revenons au texte (v. 5-8).

Maintenant, l’apôtre Paul va ouvrir une parenthèse en fait, pour répondre à une objection qui pourrait être soulevée à cause de ce qu’il vient de dire. Il vient de dire que dans le cadre de l’alliance, l’infidélité du peuple de Dieu servait à souligner encore plus la fidélité de Dieu.

Et donc l’objection que certaines personnes pourraient soulever, c’est : « Ah ! Mais si mon infidélité contribue à glorifier Dieu en soulignant sa fidélité, alors Dieu devrait me remercier pour mon infidélité, non ? Il ne devrait pas me punir ! Non seulement ça, mais en plus, je devrais logiquement essayer de pécher le plus possible pour que ça puisse souligner encore plus la fidélité de Dieu en contraste avec mon infidélité ! »

Je pense que la plupart d’entre nous, en entendant cette objection, on perçoit assez intuitivement l’insolence incroyable qu’il y a derrière. C’est une objection qui n’est pas normalement soulevée par quelqu’un qui serait vraiment attristé par l’état de son propre cœur et par la réalité du péché dans sa vie, et par son infidélité à l’alliance.

Ça procède d’un tel cynisme, et d’une telle mauvaise foi, et c’est tellement grotesque, que l’apôtre Paul ne va même pas s’abaisser à ce niveau pour argumenter. Il va répondre en disant simplement deux choses, et ensuite il va refermer la parenthèse.

La première chose, c’est : quelle absurdité ! Si Dieu existe, il est juge, et s’il est juge, il est juste, et s’il est juste, n’importe quel argument des hommes qui sous-entendrait que Dieu n’est pas juste est un argument foncièrement absurde. Ce n’est pas chez Dieu qu’il faut chercher l’erreur, vous comprenez ! (C’est ce que Paul fait comprendre au verset 6.)

La deuxième chose qu’il dit, c’est : « La condamnation de ces gens est juste. » (v. 8) Autrement dit, ce n’est même pas la peine de discuter avec ces gens, leur cas est désespéré. Ils ont tort, ils sont fautifs, et quoi qu’ils en pensent, leur condamnation est juste !

Et Paul referme la parenthèse. Mais en mentionnant quand même cette objection que certains mauvais esprits pourraient imaginer, Paul nous met quand même en garde contre quelque chose, c’est le danger, justement, de ne pas avoir conscience de notre condition de pécheur, et donc d’en arriver à une telle arrogance qu’on commencerait à argumenter contre Dieu ! Comme si on était en position de réfuter Dieu par notre intelligence et par notre perspicacité ! Comme si on pouvait imaginer être en position de dire à Dieu : « Aha ! J’ai trouvé la faille dans ton plan, il va falloir que tu révises ta copie ! » Quelle absurdité. Quel blasphème.

Je me souviens, il y a pas mal d’années, je participais à une réunion d’évangélisation. J’étais un des orateurs, et il y avait un certain nombre d’étudiants dans une pièce, qui avaient écouté le message de l’évangile, et qui pouvaient poser des questions. Et un jeune homme était vraiment scandalisé par le fait que Dieu, dans son projet, avait décrété l’existence du mal. Je lui ai dit que s’il rejetait Dieu parce que l’existence du mal lui posait problème, c’est qu’il s’élevait logiquement en juge de Dieu. Alors qu’en fait, s’il y a un Dieu, personne n’est habilité à le juger et à lui dire que ce qu’il fait n’est pas bien ; et lui, Dieu, n’a de comptes à rendre à personne. Je ne sais pas si j’ai bien fait, mais je lui ai même dit, à ce jeune homme, que s’il y a un Dieu, eh bien du simple fait qu’il est Dieu, il pourrait faire strictement ce qu’il veut, même créer des gens pour le plaisir de les torturer, s’il le voulait (imaginons, hein !), et on ne pourrait quand même pas en tant que créatures lui dire que ce n’est pas bien, ou refuser de faire ce qu’il nous demande, ou refuser de croire qu’il existe comme si ça pouvait l’empêcher d’exister ! C’est choquant, mais c’est logique. C’est parce qu’il est Dieu, et pas nous. Heureusement, en tout cas, que Dieu n’est pas comme ça !

Mais ce qu’on doit retenir ici, c’est que Dieu est Dieu, et que nous, on est ses créatures, et que c’est à nous de nous laisser instruire par lui, et ce n’est pas l’inverse. Lui, il comprend tout, et nous, on ne comprend pas tout. Et s’il dit que notre infidélité fait ressortir sa fidélité, et qu’en même temps, il est juste quand il condamne notre infidélité, eh bien c’est qu’il a raison. L’option « Dieu se trompe » n’existe pas !

Mais concernant ce paradoxe apparent de Dieu qui utilise notre injustice pour sa gloire, et qui la condamne en même temps, voici quand même l’explication lumineuse de Jean Calvin en ce dimanche 31 octobre, fête de la Réformation :

« Quand par l’injustice des hommes la justice de Dieu est mieux mise en lumière, cela ne vient pas de la nature de l’injustice, mais c’est la bonté de Dieu qui surmonte notre malignité et la convertit à une autre fin qu’elle ne tendait. »

Voilà. Notre injustice met en lumière la justice de Dieu, mais la nature de notre injustice est toujours d’être une injustice. Dieu en transforme le résultat ultime parce que Dieu est incroyablement supérieur dans sa puissance et sa grâce, mais il ne change pas la nature de notre injustice, qui mérite toujours sa condamnation et son châtiment. C’est simple, non ?

En tout cas, on n’a pas à discuter avec Dieu. On doit respecter sa justice. Voilà tout ce que Paul veut nous faire comprendre à travers cette parenthèse qu’il ouvre et qu’il referme rapidement (v. 5-8). Et ça contribue à l’idée générale qu’il veut nous communiquer, à savoir, qu’on est tous des pécheurs, et que c’est important et bénéfique de le reconnaître. On a besoin d’être humilié pour pouvoir nous tenir avec gratitude à notre juste place devant notre grand Dieu qui est parfaitement fiable et fidèle et juste.

C’est une chance pour nous d’être dans l’alliance, vous voyez, et d’avoir les oracles de Dieu, qui nous expliquent—à nous, privilégiés !—qui nous expliquent cette réalité du péché dans notre vie et qui nous sensibilisent à notre état de pécheur, à la lumière de sa justice.

3/ Recevoir le verdict de Dieu (v. 9-20)

Et ça nous amène au dernier point. On a vu qu’il nous fallait reconnaître avec gratitude l’alliance de Dieu, et respecter avec gratitude la justice de Dieu. Enfin, troisièmement, il nous faut recevoir avec gratitude le verdict de Dieu. Revenons une dernière fois au texte.

Maintenant, l’apôtre Paul va arriver en quelque sorte au bouquet final de cette première section de sa lettre. On va comprendre très clairement ce qu’il a cherché à nous démontrer depuis le premier chapitre. Mais pour amener cette conclusion, il va faire allusion encore une fois à une objection possible, que des gens pourraient faire à ce qu’il vient de dire. Regardez bien le texte, c’est vraiment intéressant ce qu’il fait.

Première objection que Paul a traitée (v. 1-4), ce sont les gens qui disent : « Ah, mais du coup, Paul, si ce qui compte vraiment c’est la réalité intérieure, alors tous les rites extérieurs que Dieu a institués, ça ne sert à rien ? » Et Paul a répondu : « Mais si, ça sert, mais ça sert à mettre en valeur la fidélité de Dieu en contraste avec notre infidélité. »

Ensuite, deuxième objection (v. 5-8) : « Ah, mais si notre infidélité fait ressortir la fidélité de Dieu, alors il ne devrait pas nous condamner ! Ça ne semble pas logique ! » Et Paul a répondu : « Mais si, c’est logique, parce que Dieu est Dieu, et si tu ne comprends pas, c’est ton problème, ce n’est pas celui de Dieu ! »

Et maintenant, troisième objection (v. 9-20) : « Ah, mais si Dieu est quand même juste, et qu’il est capable de nous utiliser dans l’alliance pour faire ressortir sa fidélité (même si nous on comprend pas), alors ça veut dire que nous qui sommes dans l’alliance, on est quand même un peu supérieur aux autres, non ? » Et Paul répond : « Absolument pas (v. 8). Car nous avons déjà prouvé que tous, Juifs et Grecs sont sous l’empire du péché. » Ou plus littéralement : « Tous, Juifs et Grecs, sont sous le péché. »

Et là, Paul va dégainer la mitrailleuse, et il va citer à la suite 7 passages différents de l’Ancien Testament qui confirment, d’une part, que la domination du péché est universelle, et d’autre part, que la domination du péché est grave.

Quand Paul dit que tous sont sous l’empire du péché, ou sous le péché, il veut dire par là que tout le monde, vous et moi compris, on vit naturellement sous le régime du péché, comme il arrive parfois dans le monde qu’on vive sous la domination d’une puissance hostile. Quand la France était occupée par les nazis, tout le monde en France vivait sous ce régime. Tout le monde était, du coup, visé par les lois de ce régime, et personne ne pouvait s’y soustraire. Ça avait des répercussions importantes dans la vie des gens.

Sous le régime du péché (ou sous l’empire du péché), c’est pareil. Par nature, on est soumis à cette domination. On est visé par la loi du péché, et on doit obéir à ses principes. C’est le péché qui gouverne, et ça a des répercussions importantes dans notre vie. Et c’est particulièrement grave, parce que cette puissance ennemie occupe le trône de notre cœur.

Et ça commence avant même la naissance. Parce que cette condition de pécheur, elle est héréditaire. On est conçu dans le péché, et on est pécheur dans le ventre de notre mère, et ensuite, on naît pécheur. Et c’est parce qu’on est pécheur qu’on se met à pécher. Notre nature de pécheur précède et produit nos actes de pécheur.

Et même, cette nature de pécheur affecte tout ce qu’on fait. C’est comme une impureté contagieuse, comme un poison qui s’étend à tout ce qu’on touche. Notre confession de foi dit que par nature, les humains sont « entièrement souillés dans toutes les parties et facultés de leur corps et de leur âme. » On est même, par nature, « portés au mal », et de cette corruption « procèdent toutes les transgressions présentes » (Westminster, VI.3-4). Ça veut dire tout simplement que par nature, on est des êtres dangereux, et que tout ce qu’on fait, dit, pense, ressent et désire est susceptible d’être détraqué. On doit se redouter soi-même. Notre cœur est tortueux par-dessus tout (Jr 17.9), on n’est pas fiable. On se trompe et on commet le mal facilement, parce que par nature on n’aime pas Dieu et on se dérobe à sa lumière.

Voilà ce que nous enseignent les Écritures, dit Paul dans notre passage. Du coup, est-ce qu’on est supérieur ? Ouh là là, absolument pas ! Surtout que ce que les Écritures enseignent, elles l’enseignent à ceux qui ont les Écritures, et ceux qui ont les Écritures, c’est justement ceux qui posent la question de savoir si quand même ils ne seraient pas un peu supérieurs aux autres puisqu’ils ont les Écritures ! Vous voyez comment Paul retourne le truc contre ceux qui seraient tentés de s’enorgueillir du fait qu’ils sont dans l’alliance, et qu’ils sont le peuple de Dieu, et qu’ils ont les rites institués par Dieu et les oracles transmis par Dieu ?

« Vous avez de la chance d’avoir la loi, effectivement ! » dit l’apôtre Paul, et par la loi, il veut dire ici la révélation de Dieu dont il vient de donner une série de citations. « Vous avez de la chance d’avoir la loi, puisque c’est par la loi que vient la connaissance du péché. » (v. 20)

« Vous avez de la chance d’avoir la loi, qui fait taire chez vous toute prétention. Vous avez de la chance d’avoir la loi qui vous déclare coupable devant Dieu et qui vous révèle votre condition préoccupante. Vous avez de la chance d’avoir la loi à laquelle vous n’arrivez pas à obéir, et donc par laquelle vous ne pouvez pas être justifié devant Dieu. Vous avez de la chance d’avoir la loi, en effet, quel privilège ! Car par la loi, vous pouvez comprendre à quel point vous êtes pécheur, et à quel point vous avez besoin de Dieu, et de sa fidélité, et de sa grâce pour pouvoir être sauvé. »

Voilà le verdict de Dieu, qui nous est communiqué par sa loi, c’est-à-dire par les saintes Écritures, par ces fameux « oracles de Dieu » qui ont été confiés au peuple de Dieu. Son verdict ? Coupable. Et on doit recevoir ce verdict avec gratitude.

Mes amis, en tant qu’église chrétienne, on est le peuple de Dieu, le peuple de l’alliance. Et oui, on est privilégié, mais non, on n’est pas supérieur. On est privilégié d’être dans cette relation que Dieu a établie avec nous. On est privilégié de pouvoir pratiquer les rites de l’alliance que Dieu a institués pour son peuple, comme par exemple la célébration de ce culte ce matin. Mais notre participation extérieure, visible, à la vie du peuple de Dieu ne nous parle pas de notre supériorité, mais de la supériorité de Dieu, et de notre misère.

Et comme on l’a dit en introduction, il est là notre privilège, en fait, à nous chrétiens, les spécialistes modernes de la religion voulue par Dieu ! Nous avons le privilège de savoir, mieux que quiconque, que nous sommes des pécheurs.

C’est comme les médecins et la maladie. Les médecins savent beaucoup de choses sur la maladie, ils sont capables de diagnostiquer la maladie, ils sont mêmes capables d’administrer les bons traitements pour la maladie—mais pour autant, ils ne sont pas, par nature, moins susceptibles de tomber malades que les autres humains. Ils sont dans un sens privilégiés de pouvoir reconnaître et comprendre la maladie, mais ils ne sont pas supérieurs.

De la même façon, dans le peuple de Dieu, on est privilégié de pouvoir reconnaître et comprendre le péché, parce qu’on a les oracles de Dieu, on a la « loi » de Dieu, on a l’alliance et on est dans l’alliance, mais pour autant, on n’est pas, par nature, supérieur.

Notre privilège est quand même « considérable », et l’utilité des rites de l’alliance, comme le culte, la prédication, le baptême, la sainte-cène, est également « considérable », parce que tout ça, ça nous fait comprendre avec une grande précision non seulement quelle est notre condition de pécheurs, mais aussi ce que Dieu a fait pour nous en délivrer.

Comme on le rappelle ici dimanche après dimanche, non seulement dans les chants, et dans les prédications, et dans les prières, mais aussi dans la sainte-cène et dans les baptêmes (tant les baptêmes d’adultes que les baptêmes d’enfants)—voici ce qu’on rappelle dimanche après dimanche : Dieu a été si fidèle aux promesses de son alliance de grâce, malgré notre infidélité, qu’il s’est approché de nous par Jésus-Christ pour tout accomplir à notre place, à nous qui plaçons notre foi en lui. Si nous plaçons notre foi en Jésus, alors Dieu nous rachète et il nous crédite de la perfection morale de Jésus, c’est-à-dire que nous qui sommes pécheurs, nous sommes recouverts par la justice de Jésus, et donc nous sommes sauvés du châtiment que méritaient nos péchés.

Tout ça nous est communiqué à nous qui sommes en contact avec ces fameux « moyens de grâce » que Dieu a donnés à son Église. Si vous êtes en train d’écouter cette prédication, vous êtes en contact avec un de ces moyens de grâce, et vous êtes en train de faire l’expérience maintenant-même, extérieurement au moins, de la vie du peuple de l’alliance.

Quelle chance ! Quelle chance si vous avez entendu aujourd’hui la parole de Dieu vous qualifier de pécheur. Quelle chance si vous avez entendu que vous ne pouviez pas vous sauvez vous-même, mais que Dieu sauve les pécheurs qui se repentent.

Oui, c’est une chance de pouvoir être sensibilisé à notre état de pécheur, et on y est sensibilisé notamment par notre participation assidue à la vie de l’Église. C’était toute la leçon de ce passage. Je sais que le raisonnement de Paul a été un peu difficile à suivre, et que cette prédication elle-même a pu être un peu compliquée à suivre. Mais retenons cette idée : vous et moi, on est pécheur, et c’est super important qu’on le sache, et qu’on grandisse dans notre compréhension de ce que ça veut dire, et ça, c’est un truc qu’on va apprendre en prenant part à la vie de la communauté de l’Église Lyon Gerland.

Puissions-nous donc reconnaître ici, avec gratitude, l’alliance de Dieu, qui a une dimension extérieure et intérieure, visible et invisible. La pratique extérieure de notre religion n’est pas mauvaise si elle a été instituée par Dieu pour notre bien, pour nous parler de notre péché et de sa grâce. L’expérience extérieure pointe vers la réalité intérieure. Venons à l’église et prenons part activement à la vie du peuple de l’alliance, parce que c’est bon pour nous.

Puissions-nous aussi respecter, ici, avec gratitude, la justice de Dieu. Gardons-nous de nous élever avec arrogance au-dessus de Dieu. Gardons-nous de nous regimber contre les aiguillons de la parole de Dieu qui nous montre notre péché et la culpabilité de nos actes, de nos pensées, de nos paroles, de nos émotions et de nos désirs. Ces aiguillons sont là pour nous abaisser de manière salutaire, et nous maintenir à notre juste place—humbles et dociles—devant Dieu.

Et puissions-nous enfin recevoir, ici, avec gratitude, le verdict de Dieu. « Pécheur. » Pécheur, et suspendu à la grâce de Dieu qui nous est présentée en Jésus-Christ. Ce qui devrait susciter en nous l’attitude que Martin Luther, le réformateur allemand du XVIème siècle, a magnifiquement décrite dans la première de ses 95 thèses dont nous fêtons aujourd’hui l’affichage sur la porte de la cathédrale de Wittenberg le 31 octobre 1517 :

« En disant : Repentez-vous, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence. »

Alors ne le prenez pas mal, bande de pécheurs. Moi aussi, je suis des vôtres, et c’est une chance pour vous et moi de nous savoir pécheurs !

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