Abraham le chrétien

Par Alexandre Sarranle 21 novembre 2021

Est-ce que vous vous sentez proche des grands personnages de la Bible comme Noé, Abraham, Moïse, le roi David ou encore le prophète Daniel ? Ou bien, quand vous lisez leur histoire, est-ce que vous avez l’impression de n’avoir que très peu de choses en commun avec eux ?

On connaît tous l’histoire de Noé, par exemple. Il a construit un grand bateau pour les animaux et pour lui et sa famille, et comme ça, ils ont échappé à un grand déluge. Ou bien l’histoire de Moïse. Il a délivré les Israélites de l’esclavage en Égypte, et puis ils ont traversé la Mer Rouge qui s’est ouverte devant eux par miracle, alors qu’ils étaient poursuivis par l’armée du pharaon. Ou encore le prophète Daniel : jeté dans la fosse aux lions sous le règne de Darius, le Mède, mais heureusement, Daniel ne se fait pas manger par les lions !

Est-ce que vous vous sentez proche de ces personnages, ou bien est-ce que vous avez l’impression que leur expérience de la foi est à des années-lumière de la vôtre ? Est-ce que vous diriez que ces personnages-là avaient la même foi que les chrétiens aujourd’hui, ou bien est-ce qu’ils vivaient un truc fondamentalement et radicalement différent ?

Je pense qu’il est facile pour nous aujourd’hui de lire ces histoires, et de se dire que ces gens-là—Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, Josué, Gédéon, Samuel, David, Ésaïe, Jérémie, Daniel et tous les autres—de se dire que ces gens-là avaient une relation avec Dieu différente de celle qu’ont les chrétiens aujourd’hui. Une foi différente, une religion fondamentalement, essentiellement, substantiellement différente.

Mais ce qu’on va voir cet après-midi, c’est qu’en réalité, si on est chrétien aujourd’hui, on a beaucoup plus de choses en commun avec ces gens qu’on n’a tendance à le croire. En fait, notre foi ou notre religion est fondamentalement, essentiellement, substantiellement la même que la leur. On est peut-être séparé de plusieurs millénaires ; n’empêche que l’objet de leur foi, leur salut, leur espérance, ce qui est vraiment le plus important, le plus précieux, le plus vital dans leur relation avec Dieu, c’est la même chose que nous, chrétiens du 21ème siècle.

On continue donc aujourd’hui notre étude de la lettre de l’apôtre Paul aux chrétiens de Rome—un texte qui date du premier siècle. La dernière fois, on a vu quelque chose d’extrêmement important, puisque l’apôtre Paul a expliqué de manière très claire comment on pouvait être approuvé par Dieu, pour toujours.

Comment alors ? On l’a vu la dernière fois : sans la loi, en Jésus, par la foi. On n’a pas d’efforts à fournir pour être sauvé, il nous suffit de faire pleinement confiance à Jésus, qui lui, a fourni tous les efforts nécessaires pour qu’on puisse être sauvé. Il est mort et ressuscité pour que tous ceux qui placent leur foi en lui reçoivent le pardon de leurs fautes et qu’ils soient rendus justes aux yeux de Dieu, pour toujours.

Voilà ce que l’apôtre Paul nous a fait comprendre à la fin du chapitre 3 de sa lettre. On peut être sauvé, non pas par des choses qu’on doit faire, mais par les choses que Jésus a faites, et donc pour nous, c’est une affaire de foi (on doit se fier aux promesses de Dieu) et non une affaire d’œuvres (où on devrait accomplir certaines choses pour obtenir la faveur de Dieu).

C’est très important de comprendre ça, pour comprendre la suite, qu’on va lire dans un instant. Parce que maintenant, l’apôtre Paul veut répondre à une objection que ses destinataires pourraient faire, et qui serait la suivante :

« Ah, mais du coup, si on est sauvé par le moyen de la foi et non par les œuvres, ça veut dire que ce n’est pas comme avant ! Avant, au temps de nos ancêtres dont les histoires nous sont rapportées dans les Écrits sacrés, dans ces textes qu’on appelle la loi, il fallait faire des choses pour être sauvé, n’est-ce pas ? Donc Paul, tu nous annonces un truc nouveau, là ! »

Mais Paul conteste vigoureusement cette idée, en disant à la toute fin du chapitre 3, verset 31 :

« Est-ce que nous annulons ainsi la loi par la foi ? Certes non ! Au contraire, nous confirmons la loi. »

Et c’est ça que Paul va chercher à démontrer au chapitre 4.

Il va le faire en se concentrant sur un personnage emblématique de la loi, justement (c’est-à-dire de ces textes sacrés pour les croyants de son époque, qui sont l’Ancien Testament pour nous aujourd’hui) : ce personnage emblématique, c’est Abraham. Et il faut savoir que personne n’aurait contesté qu’Abraham, c’est vraiment l’exemple numéro un, le modèle, le père spirituel de tous ceux qui disaient avoir une relation avec Dieu à cette époque.

Et ce que l’apôtre Paul veut démontrer, comme on va le voir, c’est que Abraham lui-même n’avait pas une relation avec Dieu fondamentalement ou essentiellement différente de celle qu’on a, nous aussi, avec Dieu si on est chrétien. Abraham était un chrétien !

Et donc toute la leçon du passage qu’on va lire aujourd’hui, c’est la suivante : en tant que chrétiens, on s’inscrit dans une longue, très longue lignée de gens qui ont tous fondamentalement la même relation avec Dieu. En fait, l’espérance des disciples de Jésus-Christ remonte à bien avant l’époque de Jésus-Christ.

Et si c’est vrai, alors ça doit vraiment avoir des conséquences sur notre perception de la foi chrétienne mais aussi sur certaines de nos pratiques. C’est ce qu’on va voir aujourd’hui.

1/ La justification d’Abraham (v. 1-3)

Donc en tant que chrétiens, on s’inscrit dans une longue, très longue lignée de gens qui ont tous fondamentalement la même relation avec Dieu. Pourquoi est-ce qu’on peut dire ça ? Parce que, nous dit l’apôtre Paul, Abraham lui-même avait fondamentalement la même relation avec Dieu que nous aujourd’hui, si on est chrétien.

Premièrement (v. 1-3), regardez la justification d’Abraham.

Donc Paul demande à ses lecteurs : qu’est-ce que Abraham « a obtenu » ? (v. 1) Et il répond en citant un verset de l’Ancien Testament :

« Abraham crut à Dieu, et cela lui fut compté comme justice. » (v. 3)

Ce que Abraham a obtenu ? La justice. Dans le contexte, on est censé comprendre qu’il s’agit là de la justice dont Paul a déjà longuement parlé, c’est-à-dire la justice que Dieu impute aux croyants.

C’est cette fameuse « justice de Dieu » qui permet à une personne coupable de devenir juste aux yeux de Dieu, alors que Dieu lui-même reste juste. Abraham, nous dit Paul, a été justifié, exactement comme les croyants qui sont « gratuitement justifiés par la grâce de Dieu, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus » (cf. Rm 3.24).

Donc c’est déjà une première chose dans l’argumentation de Paul : c’est que le personnage emblématique de cette partie de la Bible que Paul appelle la loi a lui-même été justifié comme un chrétien. Il a été rendu juste par Dieu aux yeux de Dieu.

Et le terme que Paul emploie pour décrire cette attribution de la justice—ce processus par lequel quelqu’un est rendu juste pour Dieu—c’est un terme très important qui est employé huit fois dans les versets 3 à 11 (8 fois en neuf versets). Ce terme est traduit par « compté » dans ma traduction.

« Cela lui fut compté comme justice. » (v. 3)

Ça veut dire que la justice a été mise à son compte. Ou encore : Abraham a été considéré comme juste, ou estimé juste.

C’est un peu comme quand on fait de la comptabilité. Il y a des dépenses et des recettes, et le travail du trésorier, ou du comptable, c’est d’affecter ces dépenses ou ces recettes à certains postes de dépenses ou de recettes de l’entreprise ou de l’association. Donc imaginez que vous ayez une dette envers cette entreprise—vous lui devez mille euros, disons. Et un jour il y a une entrée d’argent : mille euros ! Et le comptable décide d’affecter cette recette au compte d’Alexandre Sarran qui est justement de mille euros dans le rouge. On peut dire que cette somme d’argent a été mise à mon compte. Elle m’a été imputée, ou attribuée. Désormais je suis considéré ou estimé comme étant quitte de ma dette.

Et de la même façon, quand on est justifié par Dieu, c’est qu’on est devenu quitte de notre dette envers Dieu, parce que la justice requise par Dieu nous a été imputée. Elle a été mise à notre compte. Voilà ce qui est arrivé à Abraham, et voilà ce qui arrive à tous les gens que Dieu sauve. Tous, sans exception, sont justifiés, ils sont rendus justes pour Dieu, ce qui veut dire qu’ils sont approuvés par Dieu pour toujours.

Donc c’est la première chose. Aucun être humain (à part Jésus) n’a jamais pu aller au paradis sans passer par ce processus qui consiste à être justifié. On a tous besoin d’être rendu juste aux yeux de Dieu pour pouvoir entrer dans sa présence et être en communion avec lui pour toujours : vous, moi, Abraham, Paul, mais aussi Noé, Moïse, le roi David, et aussi le Dalaï-Lama, John Lennon, le pape François, Emmanuel Macron—on est tous par nature fautif, on a le mal qui habite en nous et ça nous rend par nature coupable, et ça nous sépare de Dieu, et on a besoin que Dieu lui-même nous rende juste à ses yeux.

On a besoin que Dieu nous impute la justice, qu’il mette la justice à notre compte. Et c’est ce qu’il a fait pour Abraham, et c’est ce qu’il fait pour tous les humains de toute l’histoire, qu’on rencontrera au paradis—là où on ira si, à nous aussi, cette justice est comptée.

2/ La foi d’Abraham (v. 4-5)

Mais comment est-ce qu’on reçoit cette justice ? Eh bien pour Abraham comme pour nous, comme pour n’importe qui d’autre qui sera sauvé dans l’éternité, c’est par le moyen de la foi. C’est le deuxième point : regardez la foi d’Abraham, nous dit l’apôtre Paul (v. 4-5).

Ce que Paul veut vraiment montrer à ses destinataires, ici, c’est qu’Abraham n’a absolument pas été sauvé par le moyen de ses bonnes œuvres. L’histoire d’Abraham ne dit pas du tout qu’Abraham a fait deux ou trois bonnes actions par jour, et cela lui fut compté comme justice ! Non, pas du tout. Qu’est-ce qu’il a fait, Abraham ? Il a cru à Dieu, ou en Dieu. Il s’est fié totalement à Dieu. Il a eu confiance en Dieu.

Et donc Paul est en train de dire : « Vous voyez ? Non seulement Abraham a été justifié tout comme nous, les chrétiens, mais en plus, il a été justifié par la foi, tout comme nous, les chrétiens ! Donc même notre ancêtre Abraham à nous les Juifs, notre père spirituel, ce croyant modèle qu’on a dans la loi—même lui, n’a pas été rendu juste sur la base de ses propres efforts, de ses propres performances, ou de ses propres mérites ! »

Ce qu’Abraham a obtenu, ce n’était pas un salaire, mais une grâce, dit Paul (v. 4). Le salaire, c’est quelque chose qu’on obtient parce qu’on l’a mérité. On travaille pour obtenir quelque chose, et à la fin on l’a parce qu’on a travaillé pour l’obtenir. Le salaire, c’est le fruit de son travail, c’est le fruit des efforts qu’on a fournis.

Par exemple, si vous voulez habiter dans une jolie maison, vous pouvez vous retrousser les manches et la construire vous-même, ce qui va nécessiter beaucoup de temps et d’efforts. À la fin, vous allez emménager dans votre maison, qui vous revient de droit parce que c’est le fruit de votre travail. Mais admettons que vous soyez incapable de construire une maison, et que vous n’ayez pas l’argent pour payer quelqu’un pour le faire pour vous. Mais voilà que quelqu’un qui vous aime va la construire quand même, à ses propres frais, et un jour vous êtes convoqué chez le notaire pour recevoir un titre de propriété. La maison a été construite et on vous propose de vous l’attribuer, ou de vous l’imputer—de la mettre à votre compte.

C’est une grâce et non un salaire, vous comprenez ? Ce n’est pas le fruit de votre travail ou de vos mérites. Et la « foi » dans cette situation, ça va consister à croire et à accepter cette proposition, si bien que vous allez emménager dans cette maison, qui est totalement la vôtre, mais pas parce que vous l’avez achetée, méritée, ou gagnée par vos efforts.

C’est la même chose avec la justice que Dieu propose de nous imputer. Dieu nous présente cette transaction possible. Il nous dit : « Regarde, j’ai prévu un moyen pour que toi qui es coupable à mes yeux, tu puisses devenir juste à mes yeux. J’ai prévu un moyen pour que tes péchés soient punis, mais pour que ce ne soit pas toi qui en portes le prix. Ça t’intéresse ? Fais-moi confiance, je peux le faire ! Est-ce que tu vas me croire ? Est-ce que tu vas t’en remettre à moi et me laisser faire ? Est-ce que tu vas ‘emménager’ dans cette maison ? »

Et Abraham a dit : « Oui ! » L’apôtre Paul nous dit qu’Abraham a cru « en celui qui justifie l’impie » (v. 5), et ainsi sa foi lui a été comptée comme justice. Et nous aujourd’hui, bien sûr, on sait plus précisément que c’est Jésus-Christ « que Dieu a destiné comme moyen d’expiation—ou comme propitiatoire—pour ceux qui auraient la foi en son sang. » (Rm 3.25) Jésus se substitue volontairement aux croyants pour que nos péchés lui soient imputés, et pour que sa justice—la justice de Dieu—nous soit imputée en échange.

Abraham ne connaissait pas le nom de Jésus. Mais il connaissait Jésus, puisqu’il connaissait le Dieu de la grâce, le Dieu unique et vivant qui s’est fait homme en Jésus. Et il a cru en ses promesses. Bref, Abraham a été justifié par grâce, par le moyen de la foi, exactement comme vous et moi, si nous aussi, on a placé notre confiance « en celui qui justifie l’impie ».

Est-ce que c’est votre cas cet après-midi ? Est-ce que vous avez vraiment placé toute votre confiance en Dieu, au point d’avoir « emménagé dans la maison » qu’il vous présente en Jésus—si j’ose dire—c’est-à-dire sans essayer de gagner des bons points avec Dieu, mais en lâchant tout, en lâchant votre fierté, vos désirs de performance, tous vos efforts qui vous épuisent, et en déposant tout ça, sans rien retenir, aux pieds de Jésus, pour recevoir de la part de Dieu son pardon total et sa pleine et entière approbation pour toujours ?

3/ Le bonheur d’Abraham (v. 6-8)

Quel repos et quel bonheur d’être ainsi réconcilié avec Dieu ! Et c’est ce qui nous amène au troisième point. Regardez maintenant le bonheur d’Abraham (v. 6-8).

Alors ce que fait l’apôtre Paul maintenant, c’est qu’il va faire référence à un autre personnage emblématique de l’Ancien Testament : le roi David. Alors oui, Paul est en train de parler de l’espérance d’Abraham dans ce chapitre, mais il veut montrer que cette espérance était partagée par tous les croyants de l’Ancien Testament.

Donc il est en train de dire : « Regardez Abraham, comment il a été rendu juste, par grâce, par le moyen de la foi, sans les œuvres ! Et regardez : ce bonheur d’Abraham, c’était aussi le bonheur du grand roi David, comme il l’a exprimé lui-même dans les psaumes, par exemple au Psaume 32 : Heureux l’homme à qui le Seigneur ne compte pas son péché ! »

Et c’est astucieux, ce que fait Paul ici, parce qu’en citant le roi David qui dit dans les psaumes essentiellement la même chose que ce qui est dit au sujet d’Abraham dans le livre de la Genèse, eh bien Paul amène des arguments convergents qui viennent de deux époques et de deux contextes très différents dans la grande histoire de l’Ancien Testament. Abraham et David étaient séparés historiquement d’à peu près 800 ans ! Abraham c’était 400 ans avant Moïse et la loi de Moïse et le tabernacle et les sacrifices ; David c’était 400 ans après Moïse et après que toutes ces choses ont été établies.

Où est-ce que Paul veut en venir ? Il veut nous montrer que dans toute l’histoire de la relation entre Dieu et les hommes, le bonheur des croyants était toujours le même. C’était toujours « le bonheur de l’homme au compte de qui Dieu met la justice, sans œuvres » (v. 6).

C’est un point très, très important pour nous aujourd’hui, si on veut bien comprendre la Bible. Écoutez bien : quand on lit la Bible, on voit que Dieu veut réparer la relation qui a été brisée entre les hommes et lui. Et pour ça, Dieu se fait connaître aux hommes et il leur propose d’entrer en relation avec lui par le moyen d’un truc qu’on appelle une alliance. C’est-à-dire un genre de contrat. « Voici ce que moi, Dieu, je fais pour vous, et voici ce que vous, les hommes, je vous demande de faire en retour. » C’est un contrat, un accord, un traité.

Et plusieurs fois au fil de l’histoire, on voit que Dieu conclut des alliances comme ça avec les gens qu’il appelle à lui, pour faire de ces gens son peuple. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces alliances différentes, qui se succèdent, c’est comme des contrats qui auraient des dispositions un peu différentes, mais dont l’objet essentiel reste toujours le même.

Imaginez qu’un jour, je vous propose un contrat où je vous dis : « J’ai envie de te donner ma maison, tu as juste à me faire confiance. » Vous répondez : « OK ! » C’est un contrat, c’est un accord. Alors je vous dis : « Eh bien on va mettre ça par écrit. » Et je vous gribouille ma promesse sur un bout de papier brouillon. Vous êtes content ! Mais un peu plus tard, je vous dis : « Non, ce n’est pas suffisant. Je vais mettre ça au propre en le tapant à l’ordinateur, et je voudrais que tu signes toi aussi. » Et un peu plus tard : « Non attends, on va laisser tomber l’ancien document, on va faire ça devant un notaire, OK, avec le cachet officiel et tout et tout. » Et un peu plus tard encore : « Non, attends, ce qu’on va faire, c’est qu’on va ajouter au dossier un descriptif complet de la maison, et je vais verser un chèque de caution pour vraiment garantir ma promesse, et on va préciser la date et les modalités de remise des clefs. »

Vous voyez, on a des contrats différents qui se succèdent, qui se complètent, qui s’enrichissent et qui parfois se modifient (un peu comme si on faisait des avenants au contrat)—mais l’objet du contrat est toujours le même. « J’ai envie de te donner ma maison, tu as juste à me faire confiance. »

Et c’est la même chose dans la relation de Dieu avec les hommes. L’objet du contrat est toujours le même. La substance de la promesse est toujours la même. Dieu dit : « Je vais rendre juste celui qui me fait confiance, sans qu’il n’ait aucun effort à fournir pour obtenir cette justice. »

C’est le bonheur de David, c’est le bonheur d’Abraham, et c’est le bonheur de tout croyant authentique dans toute l’histoire de l’humanité, depuis Adam jusqu’à aujourd’hui, et jusqu’à la fin du monde. Jamais personne n’a été sauvé, n’est sauvé, ni ne sera sauvé autrement que de cette manière, c’est-à-dire par la grâce de Dieu, en vertu de l’œuvre de Jésus, et par le moyen de la foi. C’est pourquoi en théologie on a un terme pour désigner ce grand accord unique que Dieu a conclu avec les hommes depuis le début de l’histoire, par lequel on peut être sauvé—non par les œuvres, mais par la foi. On l’appelle « l’alliance de grâce. »

Voici ce qu’on peut lire dans notre confession de foi, dans un article qui compare l’époque d’avant Jésus avec l’époque d’après Jésus.

« Cette Alliance de grâce a été diversement administrée au temps de la Loi et à celui de l’Évangile. Sous la Loi, elle a eu comme dispositions : des promesses, des prophéties, des sacrifices, la circoncision, l’agneau pascal et autres types et ordonnances donnés au peuple juif pour signifier à l’avance le Christ à venir. […] Sous l’Évangile, depuis que le Christ, la substance, s’est montré, les dispositions selon lesquelles l’Alliance est administrée sont : la prédication de la Parole et la célébration du baptême et de la sainte cène. […] Ainsi il n’y a pas deux Alliances de grâce dont la substance serait différente, mais une seule et même Alliance avec des dispositions diverses. » (Westminster, VII.5-6)

Vous comprenez ? Les dispositions changent, mais l’objet du contrat reste le même. C’est pourquoi le bonheur d’Abraham, c’est aussi le bonheur de David, et c’est le bonheur de tout croyant authentique hier, aujourd’hui et demain.

4/ L’indignité d’Abraham (v. 9-10)

Mais est-ce que ce bonheur est accessible à tout le monde ? C’est le quatrième point. Paul nous invite maintenant (v. 9-10) à regarder l’indignité d’Abraham, qui nous prouve que si lui a été sauvé, alors n’importe qui peut être sauvé.

L’apôtre Paul a l’intention de nous montrer, ici, que le caractère universel de l’offre de Dieu qui consiste à être justifié par grâce par le moyen de la foi—le caractère universel de cette offre, donc—ça aussi, c’était déjà dans « la loi », c’est-à-dire dans l’Ancien Testament. Pour preuve ? Abraham, le grand patriarche, le modèle, le père spirituel… était un incirconcis quand Dieu l’a rendu juste !

Il faut bien comprendre que les Juifs de l’époque de Paul accordaient tellement d’importance à la circoncision, que c’était un truc dans leur esprit qui était pratiquement indissociable du salut. « Tu veux te rapprocher de Dieu ? Commence par te faire circoncire, déjà, c’est la base ! » Mais l’apôtre Paul rappelle une évidence dans notre texte, c’est que ça s’est passé complètement dans l’autre sens pour Abraham.

Dieu a appelé Abraham à lui, et l’a sauvé en le justifiant par grâce, par le moyen de la foi, indépendamment de toute question de circoncision. La circoncision, c’est venu après. Ce n’est pas parce que Abraham a été circoncis qu’il a été sauvé, c’est parce qu’il a été sauvé qu’il a été (plus tard) circoncis.

C’est comme si vous vous teniez devant l’entrée de notre église un dimanche, c’est la première fois que vous venez, et vous regardez à l’intérieur à travers les portes vitrées, et vous voyez que tout le monde porte un masque. Et vous vous dites : « Mince, il faut porter un masque pour être un chrétien. Je n’ai pas de masque, je ne peux pas être un chrétien. »

Alors que le masque, en fait, c’est purement accessoire. Si vous n’avez pas de masque, vous pouvez quand même venir, vous pouvez entrer, même, et on vous en donnera un ! Et avoir ou non un masque, ça ne va strictement rien changer au fait de pouvoir avoir ou non une relation avec Dieu. Mais les apparences peuvent être trompeuses, n’est-ce pas ?

Et dans le texte, c’est un peu ça. La circoncision c’était quelque chose de tellement important dans la religion des Juifs, quelque chose qu’on pratiquait effectivement depuis l’époque d’Abraham (depuis 1800 ans !), qu’on se disait naturellement que ça devait être une condition indispensable à remplir pour pouvoir être sauvé. C’était un peu comme une petite partie du chemin qu’on devait faire soi-même pour s’approcher de Dieu, non ?

Mais Paul remet les pendules à l’heure. Pas du tout, dit-il. Certes, la circoncision c’est un truc important dans l’histoire de la relation de Dieu avec les hommes (on va y revenir), mais ce n’est pas du tout quelque chose qui rapproche les hommes de Dieu.

Abraham, notre exemple, notre modèle, a été sauvé sans la circoncision. Et même, Paul semble sous-entendre au verset 5 qu’Abraham était un impie avant d’être justifié par Dieu c’est-à-dire quelqu’un qui s’en fichait de Dieu, qui ne connaissait pratiquement rien sur lui, et qui vivait sa vie en suivant ses passions et ses convoitises.

Bref, Abraham était indigne quand Dieu l’a sauvé. Et si Dieu sauve des gens indignes comme Abraham, il peut sauver n’importe qui. Ça a toujours été comme ça avec Dieu. Abraham est l’exemple suprême de quelqu’un qui n’était pas juif, pas circoncis, pas dans l’alliance, et qui a été justifié par la grâce de Dieu, par le moyen de la foi.

Mes amis, le bonheur du salut n’est pas que pour les gens qui savent déjà des choses sur Dieu et qui ont déjà de l’expérience dans la religion et qui pratiquent déjà certaines cérémonies.

Aujourd’hui, vous avez peut-être l’impression d’être indigne. Vous regardez autour de vous et vous voyez tous ces beaux chrétiens étincelants, bien habillés, bien éduqués, des gens qui connaissent la Bible et qui savent prier (et qui portent le masque !), et vous vous dites que vous avez tellement de chemin à faire pour vous approcher de Dieu, et ça vous décourage !

Stop ! C’est Dieu qui s’approche de nous, et on n’a pas de conditions préalables à remplir pour ça. Dieu n’attend pas qu’on fasse nos preuves. Si vous vous sentez indigne, c’est très bien en fait, et vous êtes en bonne compagnie, avec Abraham et avec tous les gens de toute l’histoire, Juifs et non-juifs, qui ont été sauvés par Dieu sans qu’ils aient pu contribuer quoi que ce soit à leur salut.

5/ L’héritage d’Abraham (v. 11-12)

Alors du coup, ça veut dire quoi ? Que la circoncision qui a été pratiquée pendant 1800 ans, ça ne servait strictement à rien ? Ce n’est pas du tout vrai. (Allez, restez avec moi encore un peu, et vous allez voir que tout ça, ça a des répercussions pour nous quand même !)

Regardez la fin du texte (v. 11-12). C’est notre dernier point : l’héritage d’Abraham.

Paul veut rappeler quelle était la véritable fonction de ce truc qui était devenu peut-être démesurément important dans l’esprit des Juifs, à savoir : la circoncision. À quoi ça servait, alors, la circoncision, si ce n’était pas un truc qui permettait de contribuer au moins un petit peu à son salut ?

Paul est très, très clair au verset 11 : la circoncision était un « signe » et un « sceau de la justice de la foi, étant dans l’incirconcision ». Autrement dit, la circoncision ce n’était pas quelque chose à accomplir pour pouvoir s’approcher de Dieu, au contraire ! C’était un truc à accomplir pour se rappeler que Dieu justifie par la foi des gens indignes, justement, des gens qui ne peuvent rien faire pour s’approcher de Dieu, à part lui faire confiance.

La circoncision, en fait, ce n’était pas un truc qui permettait aux gens d’être sauvés, mais attention, ce n’était pas non plus un truc qui prouvait que les gens étaient sauvés. C’était un truc que Dieu avait institué pour confirmer, par le moyen d’un rituel, la nature de sa promesse, qui est de rendre juste des gens indignes, par sa grâce, par le moyen de la foi.

La circoncision n’était pas un signe et un sceau qui nous sauvaient, ni un signe et un sceau qu’on était sauvé, mais c’était un signe et un sceau de l’objet du contrat. C’était le cachet de Dieu sur le traité d’alliance, son tampon qui attestait de la fiabilité des promesses de l’alliance de grâce, signée avec son peuple.

De nos jours, ce concept de « sceau », ça ne nous parle pas trop. Pourtant, la République Française a un sceau officiel qui n’est pas très souvent utilisé, mais qui a été utilisé par exemple pour sceller la constitution de la 5ème République. Et ce sceau, c’est vraiment comme un tampon, mais ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un dessin sur ce sceau, qui représente symboliquement l’histoire et les valeurs de la République.

Et donc si vous tombez sur un document qui est frappé du sceau de la République Française, vous êtes censé comprendre que ce document est fiable, qu’il s’inscrit dans l’histoire de la République et qu’il est conforme aux valeurs de la République.

Et dans l’histoire, Dieu aussi a voulu donner, comme ça, des signes qui pouvaient attester à son peuple que ses engagements étaient fiables, et qui pouvaient leur parler tangiblement de l’histoire et des valeurs de cette grande et unique alliance de grâce. En l’occurrence, la circoncision—encore une fois, selon l’explication de Paul lui-même—la circoncision parlait à Abraham et à sa descendance, et aux Israélites de génération en génération, de la justification qui donne la vie, par le moyen de la foi. Ça parlait de comment Dieu sauve des gens !

« Vous vous circoncirez come signe d’alliance entre vous et moi », avait dit Dieu à Abraham (Gn 17.11). Et donc si on était de sexe masculin, on recevait ce signe au moment où on entrait dans le peuple de Dieu, soit adulte si on décidait de quitter les nations païennes pour rejoindre Israël, soit enfant si on était tout simplement né dedans en tant qu’Israélite. La circoncision était le signe et le sceau, pour le peuple de Dieu, de ce qui était promis dans l’alliance.

Donc ça ne permettait pas aux gens d’être sauvés, et ça ne prouvait pas non plus qu’ils étaient sauvés, mais c’était important quand même. Et Paul dit que si on comprend bien quelle était, du coup, la fonction réelle de la circoncision, ça montre que la chose la plus importante qu’on a héritée d’Abraham, ce n’était pas en fait la circoncision, mais ce vers quoi la circoncision pointait. L’héritage d’Abraham, c’est la promesse que Dieu justifie ceux qui ont la foi.

Et voici le rapport avec nous aujourd’hui : c’est qu’un peu plus loin dans le texte, au chapitre 6, Paul va dire que ce qui représente maintenant « la justification qui donne la vie »—ce qui représente cette promesse à nous, croyants du 21ème siècle après Jésus-Christ, nous qui (pour la plupart) sommes des incirconcis—ce qui nous représente cette promesse de notre justification si on est associé par la foi à la mort et à la résurrection de Jésus, c’est le baptême.

Depuis la venue de Jésus, Dieu nous donne donc un autre signe qui vient sceller sa promesse et c’est encore super important pour nous aujourd’hui. Mais ce n’est pas un truc qu’on doit faire pour être sauvé, et ce n’est pas non plus un truc qui dit qu’on a été sauvé—c’est un truc qui authentifie la promesse de Dieu auprès de ceux qui sont dans son peuple. Et c’est à ce titre qu’on doit être baptisé, si on fait partie de l’Église chrétienne.

Bref, tout ce que ce texte a voulu nous montrer aujourd’hui, c’est qu’en tant que chrétiens, on s’inscrit dans une longue, très longue lignée de gens qui ont tous fondamentalement la même relation avec Dieu. L’espérance des disciples de Jésus-Christ remonte à bien avant l’époque de Jésus-Christ. Le personnage emblématique d’Abraham nous le prouve. On est comme lui, et il est comme nous. Justifié, par la foi. Son bonheur, c’est aussi le nôtre. Il était indigne, mais Dieu l’a sauvé quand même, comme nous. Et la communauté chrétienne, c’est la continuation du peuple de l’alliance, on a hérité d’« Abraham-le-chrétien » cette promesse de la justification par la foi, et il devient proprement notre père spirituel si, en effet, on croit.

Et voici ce que ça change pour nous en pratique.

Premièrement, la bonne nouvelle qu’on peut être rendu juste par Dieu et approuvé par lui pour toujours, par sa grâce, en Jésus, et par le moyen de la foi seule, ce n’est pas une nouveauté, ce n’est pas une invention de l’Église Lyon Gerland, ni des protestants du XVIème siècle, ni même de l’apôtre Paul. Ça remonte à Abraham et même avant. Et en ayant entendu ce message aujourd’hui, vous devez y répondre à votre tour par la foi, si ce n’est déjà fait.

Deuxièmement, on doit lire la Bible en gardant toujours à l’esprit qu’il n’y a jamais eu qu’un seul moyen d’être réconcilié avec Dieu et d’aller au paradis. À l’époque de Noé, d’Abraham, de Moïse, de David—c’est toujours en substance la même foi, le même salut, la même espérance. Et cette réalité doit informer notre interprétation des textes (cf. Hé 11).

Et enfin, troisièmement : nous en tant qu’Église chrétienne on est la continuité de cette longue, très longue lignée de gens qui étaient en alliance avec Dieu. On doit l’assumer, ça ! C’est du sérieux, d’être l’Église du Dieu vivant. Ses oracles nous ont été confiés, et il nous ordonne d’accomplir certains rites pour signifier et sceller de manière tangible les promesses de l’alliance. Et aujourd’hui, on va pouvoir mettre en pratique immédiatement un des enseignements de cette prédication, en administrant le baptême à deux des enfants de notre communauté, qui sont des enfants de l’alliance, des membres de la maisonnée de Dieu !

Puissions-nous vivre ce moment avec joie et reconnaissance, en considérant les promesses de grâce de Dieu, vers lesquelles le baptême chrétien pointe ostensiblement !

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