Vous avez certainement entendu parler de Zeena et de Zainab cette semaine. Ces deux sœurs, l’une âgée de 4 ans, l’autre de 7 ans, ont survécu à la tuerie de Chevaline, en Haute-Savoie, où leurs parents ainsi que deux autres personnes ont été assassinées pour des raisons encore inconnues. En pensant à ces deux jeunes filles, je me dis que dorénavant, leur vie ne va plus être la même. Leur personnalité, leurs aspirations, leur vision du monde et de l’avenir, tout cela est maintenant conditionné par le traumatisme extrême qu’elles ont subi il y a quelques jours.
Et la question que je vous pose aujourd’hui, c’est la suivante : quels sont les événements qui vous définissent, et qui ont conditionné vos aspirations, et votre vision du monde et de l’avenir ? Vous n’avez peut-être pas subi un traumatisme de la même ampleur que Zeena et Zainab, mais il y a certainement eu des choses dans votre vie qui ont laissé des traces importantes dans votre personnalité et dans la façon dont vous pensez et vous comportez aujourd’hui : un échec, une trahison, un décès, une maladie, une agression, un accident…
Est-ce que ce sont ces choses qui sont censées conditionner notre vie, en tant que croyants, telle est la question qui est soulevée par le texte que nous venons de lire.
Depuis le début du livre de l’Exode, Moïse nous a raconté l’oppression des Israélites en Égypte, et la confrontation spectaculaire qui a opposé l’Éternel au Pharaon. Il y a eu une tension croissante, et beaucoup de suspense jusqu’à l’intervention finale de Dieu contre l’armée égyptienne lors de la traversée de la Mer Rouge, une intervention qui a consisté en un jugement inéluctable, parfait et définitif. Et voici qu’au chapitre suivant, quelque chose d’inédit se passe : Moïse et le peuple se mettent à chanter un cantique !
C’est exactement comme lorsque vous regardez un film et qu’après deux heures de suspense, vous assistez au dénouement spectaculaire de l’histoire, et qu’à ce moment-là, le réalisateur décide de lancer une musique triomphale, qui est destinée à quoi, sinon à vous faire comprendre que vous venez d’assister à la scène la plus importante de tout le film ! Et normalement, à ce moment-là, vous êtes rempli d’émotion, vous êtes galvanisé, peut-être que vous avez envie de pleurer ou de vous lever de votre siège et de pousser un cri de victoire !
C’est ce qui est en train de se passer dans notre texte. Nous sommes censés comprendre que nous venons d’assister à l’événement le plus important du récit, et nous sommes censés être remplis d’émotion et d’enthousiasme. Dans un sens, cet événement est l’événement le plus important de tout l’Ancien Testament, celui qui est censé conditionner pour les Israélites leur identité, leur culte, et leur vision du monde et de l’avenir.
Et c’est justement là la leçon que nous allons voir aujourd’hui, à savoir que notre vision du monde et de l’avenir ne doit être fondée sur rien d’autre que sur ce que Dieu a fait pour nous racheter. Moïse va nous faire comprendre cela en développant dans ce cantique, qu’on pourrait qualifier d’hymne national du peuple de Dieu, trois points qui sont intimement liés entre eux : ce que Dieu a fait, ce que Dieu est, et ce que Dieu fera.
La première chose que je veux que vous remarquiez, dans ce passage, c’est le rappel persistant de ce que Dieu vient de faire : v. 4-5, 8-10, 12. Comme si cela ne suffisait pas, le verset 19 en remet une couche (on ne sait pas si ce verset est un rappel sous forme de prose ou si c’est une partie de la chanson). Et comme si cela ne suffisait pas, il y a le refrain de la chanson que l’on découvre au début (v. 1), et à la fin dans la bouche de Myriam : « L’Éternel a jeté dans la mer le cheval et son cavalier ». Il est vraisemblable que ce refrain ait été répété plusieurs fois au fil de la chanson.
Ce que Moïse veut que nous comprenions, c’est que cette victoire définitive de Dieu sur l’Égypte est un événement déterminant. C’est « le clou du spectacle », le point culminant de l’histoire du peuple. Et de la même façon que c’est cet événement qui provoque et qui alimente ce cantique, cet événement doit occuper la mémoire des Israélites et conditionner toute leur façon de penser et d’agir.
Je suis sûr qu’il y a eu dans votre vie des moments où vous avez été particulièrement ému, de façon positive ou négative. Il s’est passé quelque chose et vous ne pouvez pas vous empêcher d’y penser toute la journée, ni d’en rêver pendant votre sommeil ; peut-être que cela nuit à votre appétit ou à votre concentration. Et si vous êtes comme moi et que vous avez un brin de verve poétique, c’est à ces moments-là que vous vous sentez le plus inspiré pour composer une chanson, écrire un poème, ou peindre un tableau.
Nos émotions ont une drôle de capacité à vouloir s’exprimer à travers l’art, n’est-ce pas ? De la même façon, ce texte nous invite à mesurer l’émotion irrépressible qui a été suscitée par la traversée de la Mer Rouge et qui s’exprime dans ce cantique. C’est un événement digne d’émouvoir à ce point les Israélites, et digne d’occuper constamment leurs pensées, plus que tout autre événement.
Moïse veut donc, tout simplement, que les Israélites se remémorent constamment et perpétuellement ce que Dieu a fait pour les racheter. Alors si vous êtes croyant, je vous pose deux questions : 1. Qu’est-ce que Dieu a fait pour vous racheter ? et 2. Est-ce que vous y pensez souvent ?
Si vous êtes croyant, vous savez que pour vous racheter, Dieu s’est fait homme, qu’il a marché sur la terre en la personne de Jésus, qu’il a porté vos péchés sur la croix où il est mort, et qu’il est ressuscité le troisième jour en gage de son triomphe sur le mal. Êtes-vous ému par cet événement, au point qu’il soit devenu l’objet principal de vos pensées ? Est-ce que vous prenez tout simplement le temps de vous remémorer ce que Dieu a fait ?
Nous sommes persuadés, dans notre église, que l’Évangile n’est pas un message à entendre qu’une seule fois, une histoire à lire un jour et à ranger dans sa bibliothèque, mais c’est « une promesse et une personne » (cf. Rm 1.1-4) qui doivent occuper nos pensées et conditionner tout ce que nous faisons. C’est pour cette raison que dans notre église, vous entendrez parler de la venue, de la mort et de la résurrection de Jésus tous les dimanches, dans nos prédications, dans nos prières et dans nos chants, vous en entendrez parler les jeudis à l’étude biblique, les samedis aux réunions du groupe de jeunes adultes et les vendredis aux soirées AVDV, et j’espère que nous ne nous lasserons jamais d’en parler ni d’en entendre parler !
Pourquoi est-ce si important de se remémorer ce que Dieu a fait pour nous racheter ? Parce que ce qu’a fait Dieu révèle qui est Dieu. Dans le texte en effet, la deuxième chose que je voudrais vous faire remarquer, c’est le va-et-vient entre la célébration de ce que Dieu a fait et la célébration de qui est Dieu. Comme si le fait de méditer sur ce que Dieu a fait en intervenant pour anéantir l’armée égyptienne et libérer son peuple pousse irrésistiblement Moïse à méditer sur le caractère et les attributs de Dieu.
Et voici tout ce que Moïse se dit au sujet de Dieu, à cause de ce que Dieu vient de faire : « L’Éternel est ma force, l’objet de mes cantiques, mon salut, mon Dieu, le Dieu de mon père (v. 2) ; il est un guerrier, il est l’Éternel, le Dieu de l’alliance qui tient ses promesses (v. 3) ; il est puissant et magnifique (v. 6) ; sa majesté est grande, si grande que personne ne peut lui résister, il est le juge souverain et sa colère est sainte (v. 7) ; il n’y a personne comme lui, personne qui soit magnifique en sainteté, redoutable et digne de louanges, capable d’opérer de tels miracles (v. 11) ».
Vous voyez qu’il est important de se remémorer ce que Dieu a fait, car ce que Dieu a fait nous en dit long sur qui il est, ou comment il est. Imaginez qu’un jour, vous entendiez le nom de Klaus Barbie, et vous ne savez pas qui c’est. Il a le même prénom que votre petit cousin qui a trois ans et demi et qui est très mignon, et son nom de famille vous fait penser aux poupées Barbie, à des maisons toutes roses et à des histoires d’amour. Donc Klaus Barbie, a priori, vous semble être quelqu’un de bien. Mais pour savoir comment il est vraiment, vous décidez de consulter sa biographie et de découvrir ce qu’il a fait dans sa vie. Et bien entendu, vous ne tardez pas à découvrir que Klaus Barbie était en fait le chef de la Gestapo à Lyon, sous l’occupation allemande, et qu’il a fait déporter, torturer et exécuter de nombreuses personnes, y compris des femmes et des enfants, ce qui lui a valu le surnom de « boucher de Lyon ».
Comment était Klaus Barbie ? Vous pouvez vous en faire une bonne idée à partir de ce qu’il a fait. Comment est Dieu ? Vous pouvez aussi vous en faire une bonne idée à partir de ce qu’il a fait.
Aujourd’hui, il est possible que vous vous fassiez une idée de Dieu qui n’est pas conforme à qui il est. Peut-être parce que les notions de « Dieu », d’« Éternel », de « Père » sont associées dans votre esprit à des choses ou à des événements qui n’ont rien à voir avec le Dieu de la Bible. Votre Dieu n’est peut-être pas très aimable, ou pas très puissant, ou pas très saint, ou pas très juste, ou pas très fiable… C’est pourquoi il est indispensable que nous nous remémorions constamment et perpétuellement ce que Dieu a fait pour nous racheter.
Alors regardons ce qu’il a fait pour sauver les croyants : il a manifesté son amour en venant nous secourir en personne ; sa miséricorde en ne nous rétribuant pas selon nos péchés ; sa grâce en portant à notre place nos péchés sur la croix ; sa justice en déversant sa colère sur Jésus qui a été fait péché pour nous ; sa puissance et sa capacité à sauver parfaitement en ressuscitant Jésus le troisième jour et en le faisant asseoir à sa droite dans le ciel !
Ce que Dieu a fait pour nous racheter doit occuper nos pensées, car c’est cela aussi qui conditionne l’idée que nous avons de Dieu, et par conséquent notre louange, notre adoration, et la façon dont nous vivons sous son regard. Comme le dit le refrain de ce cantique : « Je chanterai à l’Éternel, car il a montré sa souveraineté ; [et comment a-t-il montré sa souveraineté ?] il a jeté dans la mer le cheval et son cavalier » !
Nous avons vu jusqu’ici que ce qu’a fait Dieu révèle qui est Dieu, et que Moïse passe de l’un à l’autre au fil de ce cantique pour montrer aux Israélites que l’événement de l’exode (la libération d’Égypte et la traversée de la Mer Rouge) est l’événement le plus important et le plus déterminant de leur histoire, qui doit conditionner tout ce qu’ils sont et ce qu’ils vont faire dorénavant.
Et justement, dans la dernière partie du cantique, Moïse introduit un troisième élément, concernant cette fois l’avenir. C’est la troisième et dernière chose que je veux vous faire remarquer : à savoir la conviction inébranlable qui apparaît à la fin de ce cantique en ce qui concerne l’accomplissement futur des promesses de Dieu.
Moïse analyse ce qui s’est passé (v. 13 : Dieu a racheté son peuple et le dirige par sa puissance), il constate ce qui en a résulté (v. 14-15 : les ennemis de Dieu et de son peuple connaissent la puissance de Dieu et savent qu’ils ne peuvent pas rivaliser), et il en tire une leçon (v. 16-18 : la victoire finale est assurée, les ennemis ont été « comme une pierre » et il seront « comme une pierre », le peuple pourra prendre possession de la terre promise, et Dieu habitera au milieu d’eux, conformément à ses promesses).
Vous voyez que la conviction de Moïse en ce qui concerne l’avenir est fondée sur le passé. Ce que Dieu a fait pour racheter les Israélites annonce et garantit ce qu’il fera pour parfaire leur salut.
C’est un peu comme si vous vouliez vendre un bien très précieux sur « leboncoin.fr » à un acheteur qui habite à l’autre bout du monde. Il vous contacte et vous dit qu’il veut absolument acheter ce bien, mais qu’il a besoin de trois semaines pour se rendre chez vous pour le récupérer. Alors pour garantir sa venue et son achat, il vous verse des « arrhes ». Autrement dit, s’il renonce finalement à venir, vous gardez quand même cet argent. Disons que le prix que vous demandez est de 10,000 euros et qu’il vous verse la moitié comme acompte. C’est une garantie assez sérieuse de ce que cette personne va faire dans les trois semaines à venir, non ?
De façon similaire, Dieu a prouvé qu’il était déterminé à sauver son peuple. Dieu a mis des moyens colossaux pour faire sortir les Israélites d’Égypte et pour les délivrer une fois pour toutes de leurs oppresseurs. Comment ne veillerait-il pas maintenant sur eux pendant leur périple dans le désert, et comment ne leur permettrait-il pas ensuite de prendre possession de la terre promise ? Dieu a libéré le peuple d’Égypte comme acompte, ou comme arrhes, du salut à venir. Non seulement Dieu a libéré les Israélites d’Égypte au prix du sang des premiers-nés égyptiens, mais encore il a libéré tous les croyants de leurs péchés au prix du sang de son premier-né, le Seigneur Jésus ! Il a ressuscité Jésus comme prémices de la résurrection à venir (1 Co 15.20), il a même juré par sa sainteté que la victoire de Jésus serait suprême et que son règne au profit des croyants n’aurait pas de fin (Ps 89.36-38) !
Vous avez vu ce que Dieu a versé comme « acompte » pour le salut des croyants ? Sa Parole, sa sainteté, et son propre Fils ! Vous pensez que Dieu va faire marche arrière maintenant ?
Alors j’espère que vous voyez en quoi la leçon générale de ce texte, comme on le disait en introduction, c’est que notre vision du monde et de l’avenir ne doit être fondée sur rien d’autre que sur ce que Dieu a fait pour nous racheter.
Il y a certainement eu dans votre vie des événements qui vous ont marqué, et dont la tendance serait de définir ou de conditionner qui vous êtes aujourd’hui. De façon similaire, il y a toujours dans l’histoire d’un pays des événements qui conditionnent la culture et les valeurs de ce pays et qui font que le pays en question est ce qu’il est aujourd’hui. Pour la France, on peut penser par exemple à la Révolution (1789), dont l’influence se voit notamment dans notre hymne national, « La Marseillaise ». Eh bien pour Moïse, c’est ce que Dieu a fait pour nous racheter qui constitue l’événement fondateur, crucial, décisif et déterminant pour les croyants et pour le peuple des croyants, c’est-à-dire l’Église.
Ce cantique apparaît ici dans le récit pour nous enthousiasmer par rapport à ce que Dieu a fait, et influencer notre pensée et notre comportement, exactement comme le ferait peut-être un hymne national. En chantant cette espèce d’hymne national, les croyants et l’Église sont invités à se remémorer perpétuellement ce que Dieu a fait pour racheter son peuple, à célébrer qui Dieu est, et à se réjouir par conséquent de l’accomplissement certain de toutes les promesses de Dieu. Voilà ce qui doit caractériser à la fois notre culte et notre piété personnelle en tant que Chrétiens.
Tout se résume finalement au refrain de ce cantique : « Je chanterai à l’Éternel, car il a montré sa souveraineté ; il a jeté dans la mer le cheval et son cavalier » ! C’est là notre hymne national en tant qu’Église, parce que c’est cela qui doit fonder, conditionner et caractériser qui nous sommes et ce que nous faisons.
Et c’est aussi pour cela que d’après le livre de l’Apocalypse, nous chanterons semble-t-il, ce cantique au ciel :
« [Les croyants] chantent le cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et le cantique de l’Agneau : Tes œuvres sont grandes et admirables, Seigneur Dieu Tout-Puissant ! Tes voies sont justes et véritables, Roi des nations ! Seigneur, qui ne craindrait et ne glorifierait ton nom ? Car seul tu es saint. Et toutes les nations viendront et se prosterneront devant toi, parce que ta justice a été manifestée. » (Ap 15.3-4)