Un peuple à part

Par Alexandre Sarranle 1 juillet 2012

Il y a une division profonde qui sépare l’humanité en deux, et ce n’est pas entre les hommes et les femmes, ni entre les droitiers et les gauchers, mais c’est entre les croyants et les non-croyants. Pour le dire autrement, l’humanité aujourd’hui est fondamentalement divisée en deux groupes, et il n’y a pas de division plus radicale que celle-là : d’une part le peuple de Dieu, d’autre part le peuple qui n’est pas de Dieu.

Cette affirmation peut vous paraître un peu choquante. Peut-être en effet que vous êtes un croyant et que vous vous entendez très bien avec des non-croyants (ou avec des gens d’une autre religion), et vous ne voyez pas pourquoi on devrait parler de division entre les deux. Ou bien peut-être que vous êtes un non-croyant, et que vous vous dites que cette affirmation est à côté de la plaque, voire même prétentieuse, voire même hypocrite, parce que quand vous observez les gens qui se disent croyants, bon nombre d’entre eux ont une vie beaucoup plus dissolue que la vôtre, tandis que bon nombre de non-croyants que vous connaissez sont pour vous des exemples de gentillesse et de maturité.

Alors que vous soyez croyant ou non, ce genre d’observation est juste, et la Bible est tout aussi réaliste que vous sur le fait que la distinction entre croyants et non-croyants (ou entre le peuple de Dieu et le peuple qui n’est pas de Dieu) n’est pas évidente à observer dans notre expérience quotidienne. Néanmoins, ce qu’on va voir aujourd’hui, c’est que cette division fondamentale existe bel et bien car elle vient de Dieu ; ce n’est pas une division qui répond à des critères subjectifs (qui dépend de ce que je dis et de ce que je fais), mais qui répond à des critères objectifs (qui dépend de ce que Dieu dit et de ce que Dieu fait).

Autrement dit, ce n’est pas la façon dont les hommes se comportent qui détermine cette division dans l’humanité ; c’est la division que Dieu a instituée dans l’humanité qui doit déterminer la façon dont les hommes se comportent.

On va essayer d’y voir un peu plus clair à travers le texte qu’on est sur le point de lire, mais s’il y a une idée principale que j’aimerais que nous retenions, parce que je crois que c’est la leçon de ce passage, c’est la suivante : Dieu s’est fait un peuple à part, constitué d’hommes, de femmes et d’enfants qui doivent se souvenir de ce que Dieu a fait pour eux, et vivre en conséquence.

On a vu la dernière fois le récit de la dernière plaie d’Égypte (la mort des premiers-nés) et la façon dont cette ultime catastrophe provoque le départ des Israélites, et on a vu la façon dont Moïse avait intégré dans son récit les instructions concernant la commémoration de cet événement, par le moyen d’une fête annuelle. Maintenant, Moïse ajoute comme une annexe à ce récit, où il donne quelques autres précisions concernant la future commémoration de la sortie d’Égypte.

Un peuple que Dieu distingue (12.43-51)

La première chose qu’on découvre dans ce texte, ce sont des instructions concernant la Pâque. On sait déjà que la fête de la Pâque (le sacrifice et la consommation d’un agneau par famille) est censée commémorer la sortie d’Égypte. Maintenant, on découvre que la Pâque est une fête particulièrement sacrée, exclusivement réservée aux personnes circoncises. Et nous savons que la circoncision était le signe de l’alliance entre Dieu et Abraham ainsi que ses descendants, une alliance en vertu de laquelle « je serai ton Dieu et celui de tes descendants après toi » (Gn 17.7, 11).

Donc ce que le texte est en train de nous dire ici, c’est que la Pâque est une fête destinée seulement aux gens qui font partie de cette alliance avec Dieu, à savoir les gens qui sont les destinataires de la promesse de Dieu (soit parce qu’ils sont nés dans le peuple de Dieu, soit parce qu’ils ont choisi de faire partie du peuple de Dieu). La Pâque est donc donnée comme le signe perpétuel (annuel) d’une espèce de discrimination entre les hommes, entre ceux qui sont les destinataires des promesses de grâce de Dieu, et les autres.

De nos jours, si vous avez des enfants et que vous voulez recevoir l’allocation de rentrée scolaire, vous devez présenter une attestation de scolarité. En versant l’allocation de rentrée scolaire, l’État opère une espèce de discrimination entre les gens qui sont les destinataires légitimes de cette allocation et les autres, à savoir entre les familles qui ont une attestation de scolarité, et les autres. Dans l’Ancien Testament, la circoncision est un peu comme cette attestation : c’est la signature de Dieu sur sa promesse, c’est le « certificat » que Dieu remet à tous ceux qui sont les destinataires de sa promesse, et qui montre que ces gens sont comptés parmi son peuple. Ce sont ces gens seulement qui peuvent légitimement célébrer la Pâque.

Donc vous voyez que Dieu distingue son peuple par des signes objectifs, qui sont (dans l’Ancien Testament) la circoncision et la Pâque. Dans le Nouveau Testament, ces signes sont le baptême et la sainte-cène (il y a un genre de corrélation). Je me permets de faire une précision : ces signes ont une validité objective, mais ils n’ont pas de pouvoir salvifique. Autrement dit : ces signes témoignent objectivement de ce que Dieu promet et à qui il le promet ; mais ce que Dieu promet, on ne le reçoit que par le moyen de la foi.

Je vais y revenir, mais pour l’heure, je voudrais juste tirer une application de ce premier point par rapport à la sainte-cène. La sainte-cène est destinée au peuple de Dieu. C’est la commémoration perpétuelle de ce que Dieu a fait, par la venue, la mort et la résurrection de Jésus, pour délivrer son peuple de ses péchés et lui offrir la vie éternelle.

Prendre la sainte-cène sans faire partie du peuple de Dieu, c’est comme recevoir l’allocation de rentrée scolaire alors qu’on n’a pas d’enfants. C’est pas pour vous. C’est indigne et hypocrite (cf. 1 Co 11). Si vous êtes baptisé, assurez-vous que le fait de prendre la sainte-cène procède bien d’une démarche de foi personnelle. Si vous n’êtes pas baptisé mais que vous voulez prendre la sainte-cène parce que vous comprenez ce que cela représente et vous voulez entrer au bénéfice de la grâce de Dieu par le moyen de la foi, rien ne vous empêche d’être baptisé assez rapidement : il vous suffit de venir m’en parler (ou à un autre responsable de l’église).

Un peuple que Dieu délivre (13.1-10)

Premier point, donc : le peuple de Dieu est un peuple à part, car c’est un peuple que Dieu distingue objectivement du reste du monde. Cette distinction ne repose pas sur ce que nous avons dit ou fait, mais sur ce que Dieu a dit et fait. Ce n’est pas une discrimination basée sur la race mais sur la grâce !

Et c’est ce qui nous amène au deuxième point. Ici, Moïse va s’attacher particulièrement à un aspect de la fête de la Pâque, le fait que l’on ne devait pas manger de pain levé pendant sept jours. On l’a dit la dernière fois : la fête des pains sans levain était une commémoration de l’efficacité de la grâce de Dieu, et c’est ce que Moïse nous rappelle en encadrant ces instructions d’un petit refrain (v. 3 et 9) qui parle de la puissance de la main de l’Éternel qui a fait sortir les Israélites d’Égypte.

Ce qui est intéressant et nouveau ici, c’est que Moïse attire l’attention des lecteurs sur le pays vers lequel les Israélites se dirigent (v. 5). Moïse fait donc contempler à ses lecteurs le départ (l’Égypte, la maison de servitude) et l’arrivée (Canaan, le pays découlant de lait et de miel). Moïse veut que la fête des pains sans levain soit associée à cette formidable transition opérée puissamment par Dieu. Le peuple de Dieu, c’est le peuple que Dieu délivre avec puissance.

Imaginez que vous soyez en train de vous noyer dans la mer, suite au naufrage de votre navire. Vous essayez de garder la tête hors de l’eau, mais vous êtes à bout de forces. Mais tout d’un coup, au milieu de la tempête, un bateau apparaît et un homme se jette à l’eau pour vous secourir au péril de sa vie. Tant bien que mal on vous hisse sur le pont du bateau, on vous amène à l’hôpital, et quelques mois plus tard, vous pouvez reprendre le cours normal de votre vie. Ah bon ? Le cours normal de votre vie ? Après avoir été sauvé de la mort grâce à l’héroïsme et l’abnégation d’un inconnu ? Votre vie ne serait-elle pas désormais, et pour toujours, conditionnée par cette expérience ?

De la même façon, Dieu veut que la vie de son peuple soit conditionnée par la délivrance que Dieu a opérée pour lui. Ce n’est pas seulement un peuple élu (cf. premier point), c’est aussi un peuple sauvé. C’est le peuple de la grâce. C’est le peuple héritier de la promesse faite à Abraham, et qui voit cette promesse se réaliser dans son histoire. À cette promesse, ils doivent répondre par la foi. Et de cette foi (ou confiance) doit découler l’obéissance du peuple. C’est pour cette raison que Moïse associe le souvenir perpétuel de la grâce de Dieu à la loi de Dieu qui est censée demeurer « dans la bouche » des croyants (v. 9).

Je vous avais dit que je reviendrais à la question du rapport entre la promesse de Dieu et la foi des croyants. Eh bien l’Église, dans le Nouveau Testament, c’est la continuité du peuple de Dieu dans l’Ancien Testament. Si nous sommes baptisés, nous faisons partie, nous aussi, du peuple de la grâce, nous sommes les héritiers de la promesse faite à Abraham, et nous pouvons constater dans l’histoire la façon dont Dieu a réalisé cette promesse, non seulement en libérant les Israélites d’Égypte, mais de façon suprême en envoyant son Fils Jésus dans le monde, mourir sur la croix en rançon pour son peuple, et triompher du mal et de la mort, par sa résurrection. Quiconque croit en lui sera sauvé : voilà la promesse dont l’Église est héritière, et dont le baptême et la sainte-cène sont des signes.

Mais ce n’est pas en fréquentant l’Église, ni en étant baptisé, ni en prenant la sainte-cène que l’on entre au bénéfice de cette promesse ; c’est seulement en y répondant par la foi. On peut donc faire partie du peuple de Dieu ici-bas, sans jamais entrer au bénéfice de sa grâce ! Mais quand on répond à la promesse de Dieu par la foi, le culte et les sacrements, par exemple, deviennent ce « rappel entre nos yeux », qui fait que la loi de Dieu reste près de nous. C’est pourquoi les vrais croyants ne devraient pas ressembler à des non-croyants ! Comme l’aurait dit Calvin :

« On est sauvé par la foi seule, mais la foi qui sauve n’est jamais seule. » (cf. Westminster XI, 2)

Un peuple que Dieu détient (13.11-16)

On a donc vu que le peuple de Dieu était un peuple à part, premièrement, parce que c’est un peuple que Dieu distingue, et deuxièmement, parce que c’est un peuple que Dieu délivre. Mais troisièmement, nous voyons dans la dernière partie de ce passage, que c’est aussi un peuple que Dieu détient, c’est-à-dire qui est la propriété de Dieu.

Dans ces versets, on a des instructions que Moïse n’avait pas encore données jusque là, une prescription perpétuelle qui est directement liée à la commémoration de la sortie d’Égypte. Une fois en terre promise, les Israélites devront d’une part, offrir en sacrifice à Dieu tout premier-né de leur bétail, et d’autre part, racheter tout premier-né de leurs enfants (ainsi que des ânes, car ils étaient indispensables au travail) en offrant à Dieu un sacrifice de substitution.

La raison de cette prescription nous est donnée : c’est parce que c’est au prix de la mort de nombreux premiers-nés en Égypte que le peuple d’Israël a été délivré de la servitude. Les premiers-nés d’Israël (hommes et bêtes) auraient dû mourir eux aussi, mais ils ont été épargnés par Dieu par des moyens que lui-même a pourvus, et par conséquent, ils appartiennent à Dieu. Le fait que les premiers-nés appartiennent à Dieu est emblématique du fait que le peuple entier appartient à Dieu, et donc cette prescription du rachat des premiers-nés a pour but de rappeler au peuple, de génération en génération, que Dieu s’est acquis ce peuple à un grand prix (v. 15-16).

Pour comprendre cette idée, on n’a pas besoin de chercher bien loin. Imaginez un pays de la zone Euro qui fait faillite. Catastrophe. Heureusement, l’Europe vole à son secours et recapitalise le pays avec des fonds publics européens. Le pays en question est sauvé, mais grâce à de l’argent qui n’est pas le sien. Qu’est-ce qui serait donc logique, sinon que ce pays soit placé sous la tutelle de l’Europe qui l’a sauvé ? C’est la même chose quand un État recapitalise une banque en faillite ou une entreprise en faillite avec des fonds publics ; cette banque ou cette entreprise est ainsi, de fait, nationalisée (elle devient contrôlée par l’État).

C’est un peu la même chose dans le texte : un prix considérable a été payé pour la délivrance du peuple d’Israël, et ce n’est pas Israël qui a payé. C’est Dieu qui a opéré cette délivrance et qui a mobilisé tous les moyens nécessaires. Et comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la mort des premiers-nés de l’Égypte comme prix de la délivrance des Israélites préfigure la mort du premier-né de Dieu, à savoir Jésus, comme prix de la délivrance ultime de tous les croyants.

Dieu sauve donc son peuple à un prix considérable, ce qui fait que ce peuple appartient inévitablement à Dieu. Dieu détient son peuple, et son peuple doit vivre en conséquence, comme le dit l’apôtre Paul :

« Vous n’êtes pas à vous-mêmes. Car vous avez été rachetés à grand prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui appartiennent à Dieu. » (1 Co 6.19-20)

Vous avez donc vu ce qui se passe dans ce texte : Dieu communique à son peuple des instructions qui concernent la future commémoration de la sortie d’Égypte. Ces différentes prescriptions sont très importantes car elles rappellent au peuple que Dieu le distingue, le délivre et le détient. Tout cela pour souligner une idée principale, qui nous concerne aujourd’hui, et qui est que Dieu s’est fait un peuple à part, constitué d’hommes, de femmes et d’enfants qui doivent se souvenir de ce que Dieu a fait pour eux, et vivre en conséquence.

L’humanité aujourd’hui est effectivement divisée en deux groupes, et il n’y a pas de division plus radicale que celle-là : d’une part le peuple de Dieu, d’autre part le peuple qui n’est pas de Dieu. Si vous vous dites croyant aujourd’hui, vous devez vivre en conséquence. Le monde doit voir que Dieu vous distingue, vous délivre et vous détient. Si vous ne vous dites pas croyant, sachez que vous pouvez faire partie du peuple de Dieu et entrer au bénéfice de sa grâce si vous croyez à ses promesses et placez votre entière confiance en lui.

Copyright ©2024 Église Lyon Gerland.