Ce jour sera pour vous un souvenir

Par Alexandre Sarranle 17 juin 2012

Ma femme et moi nous ne nous disputons pas très souvent. Mais il y a un sujet sur lequel nous avons beaucoup de mal à nous mettre d’accord : c’est de savoir combien d’argent nous allons dépenser sur les cadeaux de nos enfants, quand c’est Noël ou leur anniversaire.

Suzanne a toujours le désir d’offrir à nos enfants quelque chose qui va vraiment leur faire plaisir, et donc elle regarde à la qualité du cadeau en premier, et à la dépense ensuite. Tandis que moi, qui suis écossais par ma mère, c’est exactement l’inverse. Je me dis : « Si on leur achète ça, ils seront sûrement contents au début, mais au bout de deux semaines ce sera sûrement cassé, ou alors ils vont s’intéresser à autre chose. À quoi bon dépenser tant d’argent sur un cadeau dont ils ne vont pas vraiment mesurer la valeur, en fin de compte ? ».

Et vous, est-ce qu’il ne vous arrive pas, parfois, d’offrir un cadeau et d’avoir envie de laisser l’étiquette du prix dessus, parce qu’au fond, vous avez envie que la personne prenne vraiment conscience de la valeur de ce que vous lui offrez, et par conséquent qu’elle accorde à ce cadeau tout le soin et l’attention qu’il mérite ? Eh bien ça ne se fait pas, bien sûr, de laisser l’étiquette du prix sur un cadeau ! Pourtant, dans ce texte, c’est exactement ce que Dieu fait.

C’est un texte connu, où Moïse raconte la façon dont Dieu a fait en sorte que les Hébreux sortent d’Égypte, mais à travers ce texte, Dieu présente à son peuple « l’étiquette du prix » de cette libération. Pourquoi ? Pour que le peuple d’Israël puisse prendre conscience, et avoir perpétuellement conscience, de la valeur de cette délivrance. Dieu a offert à son peuple quelque chose d’extraordinaire, d’une qualité exceptionnelle, et il n’a pas regardé à la dépense ; mais il veut que son peuple en mesure la valeur et qu’il accorde à ce cadeau tout le soin et l’attention qu’il mérite.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi donc de vous poser une question : comment évaluez-vous votre relation à Dieu aujourd’hui ? Entre l’indifférence totale et l’enthousiasme total, où vous situez-vous, et dans quelle direction évoluez-vous ?

Il va sans dire que Dieu veut que nous grandissions dans notre relation avec lui, et pour corriger l’indifférence qui s’installe si facilement dans notre vie, il nous présente dans ce texte un remède, et c’est l’idée principale que j’aimerais que nous retenions : Dieu veut que nous nous souvenions des conditions dans lesquelles il a acquis notre salut.

Nous avons déjà pu voir que le récit de l’exode avait une portée pédagogique très importante, et les théologiens parlent même de cette histoire comme étant, dans l’Ancien Testament, le « paradigme » de la rédemption que Dieu opère, c’est-à-dire un genre de modèle historique du salut qui est offert par Dieu aux hommes. Alors nous allons voir que ce texte nous fait considérer cinq choses qui sont censées rappeler à notre souvenir les conditions dans lesquelles Dieu a acquis notre salut.

Le fil de l’histoire (11.1-10)

Dans quelles conditions Dieu a-t-il acquis notre salut ? Premièrement, dans le cadre d’un plan souverain qui concerne toute l’humanité. C’est ce que Moïse nous fait comprendre en attirant notre attention sur le fil de l’histoire (ch. 11).

Dieu annonce d’avance ce qui va se passer (la mort des premiers-nés et la distinction entre l’Égypte et Israël, v. 4-8), mais cette annonce est prise en sandwich entre deux paragraphes qui récapitulent la trajectoire du récit (v. 1-3 ; 9-10). Moïse veut que le lecteur comprenne que ce qui est sur le point de se passer s’inscrit dans le récit plus général des dix plaies d’Égypte, qui s’inscrit dans le récit plus général de l’exode, qui s’inscrit dans le récit de l’histoire d’Israël, qui s’inscrit dans le récit de l’histoire de l’humanité et du monde. Il y a une direction à l’histoire. Dieu a un plan, qu’il accomplit souverainement, et Dieu a acquis notre salut dans le cadre de ce plan.

Le texte nous fait comprendre, à ce stade, que le salut qui nous est offert par Dieu ne résulte pas d’une improvisation. Nous avons tous en tête ces histoire rocambolesques d’un héros pris au piège par des méchants, quelque part, et qui arrive à se sortir de la situation en utilisant les lacets de ses chaussures ou un vieux trombone qu’il retrouve au fond de sa poche. Voilà un champion de l’improvisation ! Mais ce n’est pas ainsi que Dieu a acquis notre salut. Dieu a tout prévu et orchestré depuis le départ.

Dieu n’a jamais perdu et ne perdra jamais le contrôle de la situation, dans l’histoire, depuis le commencement jusqu’à la fin. C’est cette perspective que ce texte nous invite à avoir, dans un premier temps, sur le salut qui nous est offert par Dieu. Il a acquis ce salut dans le cadre d’un dessein souverain qui consiste à réparer le monde à travers une descendance bénie et un peuple racheté.

Voilà pourquoi, dans ce texte, Dieu « fait une différence » entre les uns et les autres : il réalise souverainement cette division dans l’humanité, selon le conseil de sa volonté et en fonction de son plan. Moïse nous invite donc à considérer le fil de l’histoire, à observer le monde dans lequel nous vivons, et à nous souvenir que Dieu en est le créateur souverain, le régisseur souverain, le juge souverain et le sauveur souverain. Ce genre de considération doit inspirer en nous une grande crainte (au sens solennel du terme).

La foi des sauvés (12.1-13)

Dans quelles conditions Dieu a-t-il acquis notre salut ? Premièrement, donc, dans le cadre d’un plan souverain qui concerne toute l’humanité. Mais deuxièmement, en pourvoyant lui-même à ce salut et en appelant simplement les hommes à une vraie confiance. C’est ce que Moïse nous fait comprendre en attirant notre attention cette fois sur la foi des sauvés.

Dieu a annoncé ce qu’il allait faire (ch. 11) et maintenant, il explique à Moïse par quel moyen les Israélites seront sauvés du « fléau destructeur ». Comment seront-ils sauvés ? Ils le seront si, par la foi, ils mettent du sang d’un agneau sans défaut sur leur maison. Dieu pourvoit le salut et le moyen du salut. Aux Israélites maintenant de se fier à Dieu. Ceux qui seront sauvés sont ceux qui auront fait véritablement confiance à Dieu au point de suivre cette instruction toute simple, quoiqu’un peu étrange !

Quand j’étais plus jeune, j’avais beaucoup d’acné sur le visage. J’ai consulté un dermatologue, en m’attendant à ce qu’il me prescrive une pommade. Mais à la place d’une pommade, il m’a prescrit des gélules très bizarres. Elles étaient transparentes et remplies de petites billes de couleur verte. Il m’a dit : « Prenez ça tous les jours, et vous aurez beaucoup moins de boutons ». Incroyable. J’avais un problème, un professionnel m’a dit quoi faire pour le résoudre, la sécurité sociale a payé pour le remède, et il ne me restait plus qu’une chose à faire : me fier à ce qu’on m’avait prescrit et donné, et prendre ces gélules par la foi !

La semaine dernière, j’ai parlé à quelqu’un qui estimait que toutes les religions se valaient puisque, à ses yeux, toutes les religions présentent aux hommes certaines exigences morales (généralement assez semblables) que les hommes sont censés remplir pour plaire à Dieu ou atteindre le paradis. Cette personne a été très surprise d’apprendre que la Bible ne présente pas du tout les choses de cette manière. Ce qui distingue justement le Christianisme authentique de toutes les autres religions du monde, c’est que d’après le Christianisme, c’est Dieu qui pourvoit pleinement au salut des hommes, par pur amour et par pure grâce, et si les hommes reçoivent ce salut, ce n’est pas par le moyen d’actes méritoires, mais par le moyen de la foi, c’est-à-dire d’une pleine et entière confiance en Dieu.

La fête de la libération (12.14-20)

Dans quelles conditions Dieu a-t-il acquis notre salut ? Premièrement, nous l’avons dit, dans le cadre d’un plan souverain qui concerne toute l’humanité. Deuxièmement, on vient de le voir, en pourvoyant lui-même à ce salut et en appelant simplement les hommes à une vraie confiance. Troisièmement, il a acquis notre salut par des moyens efficaces qui doivent être commémorés. C’est ce que Moïse nous fait comprendre en attirant notre attention cette fois sur la fête de la libération.

Pour les Israélites, cette fête s’appelle la « Fête des pains sans levain », et Moïse insère les instructions relatives à cette fête au milieu du récit qui raconte l’origine de la fête. Ce qui caractérise cette fête de sept jours, c’est l’absence de levain dans le pain et même dans les maisons. Pourquoi ? Pour commémorer le fait que les Israélites ont dû manger du pain non levé avec l’agneau sacrifié, et c’était du pain non levé parce qu’ils ont dû manger « à la hâte » (cf. 12.11), et ils ont dû manger hâtivement parce qu’ils devaient se tenir prêts à quitter hâtivement l’Égypte, tellement la dixième plaie allait être efficace pour provoquer leur libération. Autrement dit : la fête des pains sans levain était censée commémorer l’efficacité de la grâce de Dieu !

On dit d’une chose qu’elle est efficace quand elle produit l’effet escompté. Il est arrivé, par exemple, à chacun de nos enfants de se retrouver, au moins un jour dans sa vie, devant un bol de soupe qu’il (elle) était déterminé à ne pas manger. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé, physiquement, de forcer un enfant à manger quelque chose qu’il n’avait pas envie de manger, mais c’est impossible. Par contre, si vous lui dites qu’il ne pourra pas avoir de dessert ou qu’il ne pourra pas faire son activité favorite avant d’avoir terminé sa soupe, tout d’un coup la soupe devient mangeable et elle finit par disparaître assez rapidement ! C’est un moyen « efficace » de faire plier la volonté d’un enfant…

De façon similaire dans le texte, Dieu met en œuvre un moyen efficace de faire plier la volonté du Pharaon et de provoquer la libération des Israélites. C’est un moyen tellement efficace, que le moment venu, les Israélites n’ont même plus le choix que de partir ! Voilà le sens de la fête des pains sans levain. Quand Dieu sauve, il le fait efficacement ou irrésistiblement.

Pour le salut de son peuple, Dieu a fini par envoyer son propre Fils, Dieu fait homme, dont le sang infiniment précieux qui a coulé à la croix expie efficacement ou irrésistiblement les péchés des croyants. Quel moyen efficace, n’est-ce pas ? Non seulement Jésus, qui est appelé l’Agneau de Dieu, a-t-il été offert pour notre délivrance, mais il est ressuscité en vainqueur, il est monté auprès du Père, il intercède pour les croyants, de sorte que l’auteur de l’Épître aux Hébreux à son tour déclare :

« C’est pour cela qu’il peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui. » (Hé 7.25)

Voilà pourquoi nous parlons, en théologie, de « grâce efficace » ou de « grâce irrésistible ». Dieu sauve efficacement, ou irrésistiblement, ses élus. Pour cela, il a mis en œuvre les grands moyens, à savoir Jésus-Christ, mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification. Et la Sainte-Cène, comme la Fête des pains sans levain, commémore l’efficacité de ces moyens.

Les fils des croyants (12.21-28)

Alors dans quelles conditions Dieu a-t-il acquis notre salut ? Premièrement, dans le cadre d’un plan souverain qui concerne toute l’humanité. Deuxièmement, en pourvoyant lui-même à ce salut et en appelant simplement les hommes à une vraie confiance. Troisièmement, par des moyens efficaces qui doivent être commémorés. Et quatrièmement, il a acquis notre salut par une grâce précieuse et coûteuse, dont la valeur doit être transmise aux générations futures. C’est ce que Moïse nous fait comprendre en attirant notre attention cette fois sur les fils des croyants.

Moïse transmet aux Israélites les instructions concernant le sang de l’agneau, et il leur en explique la portée propitiatoire, puis il les enjoint d’en expliquer à leur tour le sens à leurs enfants de génération en génération. On voit que pour Dieu, il ne suffit pas que les Israélites enseignent à leurs enfants que Dieu les a libérés d’Égypte ; il faut aussi qu’ils racontent à leurs enfants par quel moyen et à quel prix il l’a fait.

Il ne nous est pas difficile de voir la grâce de Dieu comme quelque chose de précieux. Comme les Israélites qui ont été libérés de l’esclavage d’Égypte, nous avons aussi été libérés de l’esclavage du péché pour marcher en nouveauté de vie. Nous avons été réconciliés avec Dieu, rendus justes à ses yeux, nous avons reçu l’Esprit-Saint et nous sommes destinés à vivre éternellement avec lui. C’est une grâce précieuse !

Mais c’est aussi une grâce coûteuse. Elle a coûté cher, cette grâce. Les Israélites ont été libérés au prix de la mort de nombreux premiers-nés en Égypte, et de la même façon, les croyants sont libérés du mal et de la mort au prix de la mort du premier-né de Dieu, son Fils éternel Jésus-Christ.

Vous avez tous, sans doute, déjà entendu parler de la notion de « grâce à bon marché » dont a parlé le pasteur Dietrich Bonhoeffer qui est mort en 1945 à l’âge de 39 ans dans un camp de concentration, et qui a dit :

« La grâce à bon marché, l’ennemi mortel de notre Église, c’est la grâce sans la croix. »

Comme les Israélites dans ce texte, nous devons nous aussi nous souvenir de la valeur de la grâce, et transmettre la valeur de la grâce à travers notre enseignement et notre évangélisation, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église, et cette valeur on la découvre au pied de la croix ensanglantée du sang du Fils de Dieu.

La fin de l’esclavage (12.29-42)

Je récapitule encore une fois. Dans quelles conditions Dieu a-t-il acquis notre salut ? Premièrement, dans le cadre d’un plan souverain qui concerne toute l’humanité. Deuxièmement, en pourvoyant lui-même à ce salut et en appelant simplement les hommes à une vraie confiance. Troisièmement, par des moyens efficaces qui doivent être commémorés. Quatrièmement, par une grâce précieuse et coûteuse, dont la valeur doit être transmise aux générations futures. Et cinquièmement, comme on va le voir pour terminer, dans des conditions d’une grande gravité, qui interdisent la légèreté ou le triomphalisme. C’est ce que Moïse nous fait comprendre en attirant notre attention sur le dénouement de cette histoire, à savoir sur le moment où l’esclavage des Israélites prend fin.

Ce qu’il faut remarquer ici, c’est la grande sobriété du récit. Un commentaire que j’ai consulté décrit cette partie du texte comme étant une série de sept dépêches succinctes destinées simplement à nous informer, sobrement, du dénouement de cette affaire.

C’est un peu comme si vous étiez allé, à l’époque, sur le site internet de l’Agence France Presse (ou l’Agence Télégraphique Suisse), et que minute après minute, les informations tombent : mort des premiers-nés dans tout le pays d’Égypte ; ordre adressé aux Israélites de quitter le pays ; départ hâtif des Israélites ; générosité des Égyptiens envers les Israélites au moment de leur départ ; etc.

Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas de triomphalisme dans le récit. Les événements nous sont relatés avec gravité, et pour cause : ce qui vient de se passer est effroyable. Il ne faut pas non plus imaginer que les Israélites pillent les Égyptiens avant de partir. Le texte dit que ce sont des dons volontaires, et ajoute même qu’il y a une partie de la population égyptienne qui se joint au peuple d’Israël.

L’épisode finit avec ces mots remplis d’une grande solennité, concernant la future commémoration de ces événements :

« C’est une nuit de veille en l’honneur de l’Éternel pour tous les Israélites dans chaque génération. » (v. 42)

Aujourd’hui encore, nous devons faire attention, en songeant au salut que Dieu nous offre, et en commémorant ce salut dimanche après dimanche, de ne pas tomber dans la légèreté ou le triomphalisme qui sont totalement déplacés quand on considère l’agonie de Jésus-Christ à la croix. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné », s’est-il écrié au moment où il a été fait péché pour nous, et où toute la sainte colère de Dieu normalement dirigée contre nos péchés a été déversée sur lui, pour prix de notre salut.

J’espère que vous voyez que toute la leçon de ce passage, c’est que Dieu veut que nous nous souvenions des conditions dans lesquelles il a acquis notre salut.

J’ai conscience qu’il y a eu beaucoup de matière aujourd’hui, et croyez-moi, en fait, nous avons à peine gratté la surface de tout ce qu’il y a dans ce texte ! Mais puissions-nous au moins retenir cette idée : nos pensées doivent être occupées, bien sûr, par la substance du salut qui nous est offert en Jésus (c’est-à-dire ce qu’il est, ce salut). Mais il faut aussi, comme on l’a vu aujourd’hui, que nous prenions soin de nous souvenir du pourquoi et du comment (c’est-à-dire d’où il vient, ce salut).

Et je suis persuadé que la méditation des conditions dans lesquelles Dieu a acquis notre salut peut transformer le regard que nous portons sur le culte, conditionner la façon dont nous faisons de l’évangélisation, enrichir notre vie de piété, nous maintenir dans la joie et l’humilité qui conviennent à notre relation avec Dieu, et nous motiver à vivre une vie d’obéissance.

Pierre le dit lui-même : celui qui ne porte pas de fruit dans sa marche chrétienne, c’est quelqu’un qui a « mis en oubli la purification de ses anciens péchés », et il ajoute :

« Voilà pourquoi je vais toujours vous rappeler ces choses. »

Et aussi :

« J’aurai soin qu’après mon départ, vous puissiez en toute occasion vous en souvenir. » (2 Pi 1.9, 12, 15)

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