Un honneur et un danger

Par Alexandre Sarranle 11 septembre 2022

Les gens qui ne me connaissent pas très bien peuvent avoir du mal à comprendre mon sens de l’humour, alors ne prenez pas mal ce que je vais dire dans un instant. Je vais vous poser une question, mais ne répondez pas à voix haute. Combien d’entre vous pensez qu’on est ici dans la meilleure église évangélique de Lyon ?

Forcément, si vous êtes des habitués du culte ici, si vous revenez dimanche après dimanche, et si moi-même, je n’ai pas envie d’aller ailleurs pour être le pasteur d’une autre Église, c’est parce qu’on aime bien ce qui se passe ici, à l’Église Lyon Gerland.

Ici, c’est du sérieux ! On a une bonne confession de foi. On a un culte bien organisé. On a un enseignement pertinent. On a des positions claires au niveau de l’éthique. On est les héritiers directs, au niveau historique et théologique, de Guillaume Farel, Jean Calvin, Théodore de Bèze et John Knox, qui sont les quatre figures de la réforme protestante (au XVIe siècle) représentées en statue au Mur des Réformateurs à Genève. Il n’y a pas d’autre Église à Lyon qui peut en dire autant. Quel héritage, et quelle fierté !

Non seulement ça, mais la musique est pas mal, les gens sont sympas, le baptême et la sainte-cène sont administrés fidèlement, on essaie de présenter le message de l’Évangile le plus souvent et le plus clairement possible, et on est accessible en métro.

Eh bien, mes amis, on peut se féliciter, parce qu’on est en position idéale… pour connaître une véritable tragédie. Cette tragédie, ça consisterait à avoir toutes ces bonnes choses sous les yeux, dans les oreilles, à portée de main, et à s’en réjouir, et à en faire usage, et à en tirer satisfaction, mais en même temps… à ne quand même pas connaître Dieu.

Et le passage qu’on est sur le point de lire est là, justement, pour nous mettre en garde contre le danger d’avoir une assurance mal fondée. C’est-à-dire de penser que Dieu nous est favorable, mais pas en basant cette conviction sur la bonne chose.

On va regarder la suite d’un texte qu’on a commencé à regarder avant l’été : il s’agit d’une lettre que l’apôtre Paul a écrite à une communauté de chrétiens de son époque, au Ier siècle, qui se trouvait à Rome (d’où le titre : « Épître aux Romains »). Et la dernière fois, on était à la fin du chapitre 8, et là, l’apôtre Paul il a dit quelque chose de très, très fort : il a dit que quand Dieu s’engage en faveur de quelqu’un, il n’y a absolument rien qui peut venir annuler ou contrecarrer ce bon projet de Dieu (Rm 8.31-39).

Mais en disant ça, l’apôtre Paul sait très bien qu’il y a eu dans l’histoire des gens qui ont été visés par les promesses de Dieu, qui ont même été incroyablement privilégiés par rapport à la plupart des autres gens sur la terre parce qu’ils avaient en leur possession les textes sacrés écrits par Moïse, ils avaient le temple unique où on célébrait un culte à Dieu, et ils ont vu passer dans leur histoire plein de prophètes, de prêtres, et de rois qui ont fait de grandes choses au service de Dieu, conformément au bon projet de Dieu pour eux—et malgré tout ça, beaucoup de ces gens-là n’ont quand même pas connu Dieu.

Ces gens-là, ce sont les Israélites. Et c’est vrai qu’à l’époque où l’apôtre Paul écrit, en effet, beaucoup d’Israélites ont rejeté la grâce de Dieu, à commencer par les autorités religieuses elles-mêmes qui ont même persécuté les croyants fidèles.

Donc il y a une sorte d’objection que certains pourraient faire à ce que Paul vient de dire. « Paul, tu as dit que si Dieu voulait sauver des gens, il n’y a rien qui pouvait contrecarrer son projet ; or, Dieu a dit qu’il voulait sauver les Israélites—comment ça se fait alors que plein d’Israélites ne sont pas sauvés ? »

Et c’est donc à cette remarque, ou objection possible, que Paul veut répondre à partir de là où on va lire, et ça va provoquer un développement qui va durer, en fait, jusqu’à la fin du chapitre 11. On va prendre ça étape par étape au fil des prochaines semaines. Mais pour aujourd’hui, ce qu’on va surtout voir, c’est Paul qui explique comment ça se fait qu’on peut être apparemment en position idéale pour connaître Dieu, et quand même ne pas le connaître. Comment ça se fait qu’on peut sembler être appelé par Dieu, mais quand même ne pas être appelé efficacement à Dieu.

Paul va donc expliquer ce qu’il s’est passé par rapport aux Israélites, et cette explication va servir aussi d’avertissement pour les chrétiens à qui il s’adresse, et pour nous par la même occasion. Et si je me permets de tirer une application pour nous chrétiens de ces choses que Paul dit concernant les Israélites, c’est parce que Paul lui-même le dit—à la fin de son développement—que c’est son intention : il veut que nous, chrétiens, on tire instruction de la manière dont Dieu a agi par rapport aux Israélites, parce que nous aussi, aujourd’hui, on est dans une situation très similaire à la leur (Rm 11.20-21).

Toute la leçon de ce passage pour nous aujourd’hui, finalement, c’est la suivante, et c’est quelque chose qu’on doit impérativement intégrer et ancrer comme conviction au plus profond de nous-mêmes : c’est que Dieu sauve qui il veut, et ça ne dépend d’aucune manière de quoi que ce soit que nous, on pourrait faire.

Lisons sans plus tarder le texte, et vous allez voir que Paul commence par souligner la situation particulièrement tragique des Israélites, qui avaient tant reçu de la part de Dieu, et qui pourtant, pour un grand nombre d’entre eux, n’ont quand même pas été sauvés. Et ensuite, il va expliquer comment ça se fait.

Une possibilité tout-à-fait tragique (v. 1-5)

Alors prenons les choses dans l’ordre. Premièrement, le texte nous fait comprendre que le fait d’être idéalement placé pour connaître Dieu, et de ne quand même pas le connaître, c’est une réelle possibilité, et c’est une possibilité tout-à-fait tragique.

Paul nous fait comprendre ça à travers l’exemple des Israélites. Vous avez vu : il dit qu’il préférerait être lui-même « anathème et séparé du Christ », plutôt que les Israélites qui sont son peuple à lui, et donc pour qui il a de l’affection. (« Anathème », ça veut dire littéralement « exposé à la colère de Dieu », « livré à la malédiction »). Paul est en train de dire tout simplement qu’il préférerait être perdu à la place des Israélites.

Quand il dit ça, Paul, il ne veut pas dire que ce serait possible, pour lui, de se substituer aux Israélites pour que eux, soient sauvés. Il n’est pas en train de demander ça à Dieu (il vient tout juste de dire à la fin du chapitre 8, que rien ne pouvait séparer un croyant authentique de l’amour de Dieu en Christ-Jésus notre Seigneur) ! Paul est simplement en train de nous faire comprendre à quel point il est affecté par cette situation—à quel point il est bouleversé, affligé, terrassé même par cette réalité qui lui fend le cœur.

Oui, c’est profondément choquant, perturbant, horrible à observer, que ces gens qui étaient visés par les promesses de Dieu, et qui avaient historiquement une place vraiment particulière et privilégiée dans le plan de Dieu, n’ont quand même pas connu Dieu. C’est tragique.

C’est tragique, parce que Dieu leur avait donné tellement de choses dans l’histoire. Il appelait le peuple d’Israël son « enfant », il leur avait fait construire un temple où il avait fait résider sa gloire, il a conclu des alliances avec eux, il leur a donné la loi de Moïse, il leur a donné un système pour qu’ils puissent lui rendre un culte qui lui soit agréable, il leur a renouvelé ses promesses au fil du temps à travers les prophètes, il leur a donné des conducteurs et des pères spirituels comme Abraham, Moïse, Josué, David, Salomon, Josias, Néhémie et plein d’autres, et surtout, Dieu a accordé au peuple d’Israël le privilège d’être le peuple qui donnerait naissance au messie, le Sauveur du monde, qui en plus est, lui-même, Dieu incarné !

Que ces gens-là, après tout ça, ne connaissent pas Dieu (en tout cas pour une grande partie d’entre eux), c’est tragique, vous comprenez ? C’est profondément anormal !

Imaginez que vous soyez un grand fan de Cristiano Ronaldo, le célèbre footballer (ou de quelqu’un comme ça). Et donc vous suivez sa page sur Instagram, et un jour, vous recevez une notification : Cristiano Ronaldo s’est abonné à votre page ! Le jour d’après, vous recevez un DM (un message direct) de sa part dans votre boîte à messages, et chose incroyable, il a envie de vous connaître et d’échanger avec vous ! D’abord des messages écrits, et puis ensuite, il se met à vous envoyer des messages vocaux. Et puis voilà qu’un jour, vous recevez chez vous, à votre adresse, une photo dédicacée de sa main. Et le jour de votre anniversaire, un ballon dédicacé. Et pour Noël, un maillot dédicacé. Et même des places gratuites pour des matches de la Ligue des Champions. Et petit à petit vous commencez à accumuler des dizaines de messages et d’objets qui vous manifestent, à vous personnellement, l’intérêt et l’affection de Cristiano Ronaldo ! Quel privilège et quel honneur !

Alors bien sûr, vous commencez à en parler avec fierté sur vos réseaux sociaux, et à publier des extraits de vos échanges, et des photos des objets que vous commencez à collectionner. Et donc voilà qu’il y a de plus en plus de gens qui s’abonnent à votre compte pour suivre cette histoire, et ces gens-là commencent à réagir à vos publications, et à vous envoyer des messages, et bientôt, tous les matins en vous levant, vous avez sur votre smartphone 100 à 150 notifications, et franchement, ça vous fait super plaisir. Vous vous sentez important !

Or un jour, vous vous rendez compte que ça fait un moment que vous n’avez plus reçu de nouvelles de votre ami Cristiano. Et là vous commencez à fouiller dans vos messages, et vous retrouvez un message que vous n’aviez pas vu—où Cristiano vous donnait rendez-vous en personne, dans un café à 5 minutes de chez vous… le mois dernier.

Plus de nouvelles de Cristiano depuis. Non seulement ça, mais vous vérifiez, et… il n’est même plus abonné à votre page.

Ce serait un comble, n’est-ce pas ? Vous étiez en position idéale pour rencontrer personnellement Cristiano Ronaldo, mais en tirant satisfaction et fierté de tous ces honneurs et de tous ces privilèges que Cristiano vous avait faits, finalement, vous êtes passé à côté du plus important—et tout le reste n’a plus qu’un goût amer d’inachevé.

Vous pourriez dire que c’est dommage, à la base, de ne pas connaître Cristiano Ronaldo, mais que c’est particulièrement tragique de ne pas le connaître quand on a été dans cette position, vous voyez ? Et c’est pareil dans notre passage, en quelque sorte.

C’est particulièrement tragique de ne pas connaître—non pas Cristiano, mais Christ-Jésus, quand on a été au bénéfice de tant d’honneurs et de tant de privilèges de la part de Dieu. C’est particulièrement tragique, pour les Israélites qui sont restés dans l’incrédulité, de ne pas avoir été au rendez-vous, quand Dieu s’est déplacé en personne—quand il a pris la nature d’un homme et qu’il est né, lui-même, un Israélite.

Et donc il faut bien comprendre que Paul décrit ici une tragédie qui tient lieu d’avertissement pour nous. En fait, nous aussi, si on est le peuple sur lequel le nom de l’Éternel est invoqué aujourd’hui—et c’est ce qu’on est en tant qu’Église chrétienne—eh bien, nous aussi, on est tellement, incroyablement, privilégiés. On a la parole de Dieu entre les mains. La plupart d’entre nous, on a été baptisé. Beaucoup d’entre nous, on prend le pain et le vin quand ils sont distribués pendant le culte—c’est quelque chose que Jésus lui-même a institué pour son Église, en mémoire de lui—comme une photo dédicacée, si vous voulez ! On peut se retrouver librement chaque dimanche pour rendre un culte à Dieu, et pour recevoir un enseignement tiré de la Bible, et on peut se retrouver chaque semaine aussi dans les groupes de maison, et prier ensemble, et partager encore plus autour de la Bible, avec des amis chrétiens qui vont nous encourager, nous conseiller, nous consoler quand c’est nécessaire.

Est-ce qu’on se rend compte de ces honneurs et de ces privilèges incroyables que Dieu nous fait quand on prend part à la vie d’une Église chrétienne ? Et donc si après tout ça, on ne connaît quand même pas Dieu, c’est tragique. Comme pour les Israélites qui n’ont pas cru. C’est tragique, choquant, anormal. Mais ça reste une possibilité.

Il faut qu’on en ait conscience, et il faut qu’on s’en inquiète, et par conséquent, il faut qu’on écoute la suite de cette prédication ! C’était le premier point.

Une distinction tout-à-fait nécessaire (v. 6-9)

Mais maintenant, deuxièmement, pour nous aider à comprendre tout ça, Paul va nous expliquer qu’il y a une distinction à faire, qui est tout-à-fait nécessaire. Il veut nous faire comprendre que quand on fait partie de ce peuple sur lequel le nom de l’Éternel est invoqué, il y a deux niveaux de relation possible à Dieu.

Regardez ce que dit Paul. Il dit que « tous ceux qui descendent d’Israël ne sont pas Israël », et « parce qu’ils sont la descendance d’Abraham, tous ne sont pas ses enfants ». Ça peut sembler un peu bizarre. Dans un sens strict et littéral, bien sûr, la descendance d’Abraham, c’est la descendance d’Abraham ; et le mot descendance, ça désigne la progéniture, donc la descendance d’Abraham, c’est les enfants d’Abraham.

Mais il y a une descendance dans un autre sens, d’après Paul. Il y a descendance et descendance. Il y a enfants d’Abraham et enfants d’Abraham. Il y a Israël et Israël. Voilà ce que dit Paul. C’est comme nous, quand on dit : « Attends, il y a restaurant, et il y a restaurant. » Ou bien : « Attends, il y a randonnée en montagne, et il y a randonnée en montagne ! »

Paul aussi, donc, introduit une distinction qui est super importante—qui est tout-à-fait nécessaire—pour bien comprendre le reste de ce qu’il dit, et notamment comment ça se fait qu’une bonne partie d’Israël, une bonne partie de la descendance d’Abraham, n’a pas cru au messie quand il est venu, et donc s’est retrouvée séparée de Dieu malgré tous les privilèges que Dieu leur avait accordés historiquement.

Et pour faire cette distinction, Paul emploie deux expressions pour distinguer les deux sortes de descendance, ou les deux sortes d’enfants : il dit qu’il y a les « enfants de la chair » et les « enfants de la promesse » (v. 8).

En fait, dans ces quelques versets, Paul fait référence à une histoire que les gens à qui il s’adresse devaient bien connaître : c’est l’histoire d’Abraham et de ses enfants, justement. Permettez-moi donc de vous rappelez deux ou trois éléments de cette histoire. Dieu a promis à Abraham une descendance alors qu’il était super vieux, sa femme aussi, et qu’ils n’avaient pas d’enfants. D’après Dieu, cette descendance allait être super nombreuse, et elle serait vraiment au cœur de son projet pour sauver les humains.

Mais Abraham et sa femme, Sara, ils ne voyaient pas d’enfant venir. Les tests de grossesse étaient négatifs les uns après les autres, donc Sara a proposé à Abraham de faire un enfant… à la servante de Sara, qui était plus jeune, et Abraham, eh bien il ne s’est pas fait prier. Quoi qu’il en soit, de cette union illégitime est né un enfant, le premier enfant d’Abraham : Ismaël. Mais ce n’était pas l’enfant que Dieu voulait et que Dieu avait promis. C’était un « enfant de la chair ».

L’enfant de la promesse est venu bien plus tard—quatorze ans plus tard !—et c’était Isaac, l’enfant d’Abraham et de Sara, conformément au projet de Dieu.

Les deux étaient des enfants d’Abraham, vous voyez ? Les deux étaient sa descendance. Les deux ont été circoncis, même, comme signe de cette relation particulière que Dieu a voulu établir avec la famille d’Abraham. « Je serai ton Dieu et celui de ta descendance. » (Gn 17.7) Mais il y a « descendance », et « descendance », vous voyez ? Il y a « enfant » et « enfant ».

Et dans la pensée de Paul, l’enfant selon la chair, ce n’est pas simplement l’enfant qui est issu biologiquement d’Abraham. « Selon la chair », ça veut dire l’enfant qui est issu des efforts charnels d’Abraham, issu du petit coup de pouce qu’Abraham et Sara ont voulu donner à Dieu. Abraham et Sara ont pensé qu’ils pouvaient contribuer à l’accomplissement du bon projet de Dieu par leurs œuvres. (cf. Galates 4.21-31)

Mais c’était impossible. Dieu lui-même comptait accomplir son bon projet par sa seule puissance, conformément à sa promesse. La seule chose qui était attendue d’Abraham et de Sara, c’était… leur foi. Qu’ils croient tout simplement à ce que Dieu avait promis.

Et donc par analogie avec ces deux enfants d’Abraham, Paul nous fait comprendre qu’au sein d’un seul et même peuple de Dieu, au sein du peuple qui porte le nom de Dieu—il y a deux niveaux de relation possible avec Dieu.

Il y a le niveau d’Ismaël, de « l’enfant de la chair »—c’est-à-dire le niveau où extérieurement on a une relation avec Dieu, où on fait partie extérieurement du peuple de Dieu, où on prend part à la vie du peuple de Dieu et à tous les honneurs et les privilèges que Dieu fait à ce peuple ici-bas, et peut-être qu’on fait ça avec beaucoup de consécration et de zèle ! Mais où tout ça, ça reste quelque chose d’extérieur, de charnel dirait Paul, et ce n’est pas quelque chose qui est suscité par Dieu mais qui repose plutôt sur nous-mêmes, sur nos efforts à nous qui essayons de contribuer par nous-mêmes quelque chose au projet de Dieu.

Mais par analogie, il y a aussi le niveau de relation avec Dieu qui est celui d’Isaac, de « l’enfant de la promesse »—c’est-à-dire le niveau où la relation n’est pas seulement extérieure mais aussi intérieure, où Dieu a suscité quelque chose que lui seul peut susciter, quelque chose qui semblait impossible, c’est-à-dire la vie spirituelle à l’intérieur d’un homme, la transformation du cœur, l’amour pour Dieu et la dépendance volontaire et inconditionnelle de lui, bref, la foi ! La vraie foi !

Deux niveaux de relation possible à Dieu, donc, au sein de ce peuple qui porte son nom. C’est compliqué, mais si vous voulez, oubliez tout ce que je viens de dire, et retenez simplement cette idée : c’est que dans l’Église, il y a des chrétiens, et il y a des chrétiens.

C’est comme quand on joue à Loup Garou. Vous savez, le jeu de société où on reçoit des cartes qui nous attribuent secrètement un rôle, et en gros, on est tous les habitants d’un même village, mais parmi les villageois, il y en a qui sont des loups-garous. Mais personne ne sait qui c’est, au début—tout le monde ressemble à un paisible villageois. Mais voilà, toutes les nuits, les villageois s’endorment, et les loups-garous se réveillent, et ils mangent quelqu’un. Et le but du jeu, c’est d’essayer d’identifier les loups-garous avant que tous les villageois innocents se fassent manger.

Je suis désolé de faire ce parallèle, mais la distinction que Paul veut qu’on fasse dans la communauté des gens qui invoquent le nom de l’Éternel, c’est-à-dire au sein de ce « village » qui est réputé être le peuple de Dieu sur la terre, c’est-à-dire le peuple d’Israël jusqu’à la naissance du messie, et ensuite le peuple du messie après sa naissance, c’est-à-dire l’Église chrétienne—la distinction que Paul veut qu’on fasse, c’est que : 1/ il y a des gens qui prennent part extérieurement aux honneurs et aux privilèges que Dieu fait à ce peuple mais qui ne connaissent pas Dieu intérieurement, et 2/ il y a des gens qui prennent part extérieurement aux honneurs et aux privilèges que Dieu fait à ce peuple et qui connaissent Dieu intérieurement.

En théologie, on dit qu’il y a l’Église visible, et l’Église invisible. L’Église visible, c’est celle qui est visible à nos yeux : elle est composée de toutes les personnes, et de tous les foyers, qui font profession de foi chrétienne—c’est une réalité externe, visible, observable, qui est normalement entérinée par un signe externe, visible, observable, qui est le baptême.

Mais l’Église invisible, c’est cet autre niveau de relation à Dieu, que seul Dieu peut observer pleinement et parfaitement : l’Église invisible est composée de toutes les personnes qui ont véritablement la foi, toutes les personnes que Dieu a fait naître de nouveau intérieurement par sa puissance, et qui sont scellées pour le salut. On les appelle aussi, parfois, les « élus ».

Donc vous voyez, ce que Paul veut qu’on comprenne ici, c’est qu’il y a « descendance » et « descendance ». Il y a « chrétien », et « chrétien ». On ne peut pas parfaitement discerner entre les deux, nous (contrairement à Dieu), mais on doit reconnaître que la distinction existe. Parce que c’est ça qui va expliquer pourquoi des gens peuvent, pendant un temps, prendre part aux privilèges incroyables de la vie du peuple de Dieu, et quand même, au bout d’un certain temps, s’en écarter, et finalement ne pas connaître Dieu.

En théologie toujours, on parle de « l’alliance » que Dieu a établie avec son peuple sur la terre, c’est-à-dire une relation qui a été formalisée et qui comporte des modalités que Dieu lui-même a fixées. Eh bien on dit, en théologie, qu’on peut être dans cette alliance d’un point de vue purement administratif, c’est-à-dire qu’extérieurement, officiellement on en fait partie, on a notre carte d’adhérent en quelque sorte, et on prend part aux réunions ; mais tout en étant dans l’alliance de cette manière, il est possible que notre cœur n’y soit pas, et donc de ne pas avoir part à la substance de l’alliance, c’est-à-dire de ne pas avoir part aux bienfaits spirituels de l’alliance, les véritables bienfaits, les bienfaits éternels, que Dieu seul communique, souverainement, aux véritables croyants, par le moyen de la foi.

On peut être dans le peuple de Dieu, sans être élu. On peut être dans l’Église, sans être sauvé. On peut s’appeler chrétien, sans connaître Dieu. On peut avoir été baptisé, sans être né de nouveau. On peut avoir profité de tous les bienfaits extérieurs de l’alliance, sans avoir la foi.

Voilà, donc : une distinction tout-à-fait nécessaire, pour comprendre ce qui se passe, et pour en tirer instruction pour notre propre situation aujourd’hui, et c’est ce qu’on va faire dans un instant, à condition de bien rester attentif jusqu’à la fin !

Une conviction tout-à-fait fondamentale (v. 10-13)

Alors je sais que j’ai été long sur ce deuxième point, donc je vais essayer d’aller un peu plus vite sur mon dernier point. Et dans ce troisième et dernier point, vous allez voir que l’apôtre Paul, il pousse le bouchon un peu plus loin encore. Il veut nous faire comprendre maintenant que si cette distinction existe au sein du peuple de Dieu, c’est parce que Dieu veut nous sauver en nous dépouillant de toute prétention. La conviction tout-à-fait fondamentale qui est censée nous habiter, si on est des vrais croyants, c’est que notre salut ne dépend que de la grâce souveraine de Dieu, et de rien d’autre.

Donc on a cette distinction qui existe au sein-même du peuple de Dieu (ou du peuple de l’alliance), et la question bien sûr, c’est : pourquoi est-ce que Dieu a voulu qu’il en soit ainsi ? Pourquoi est-ce que tous les gens qui prennent part extérieurement aux bienfaits de la vie du peuple de Dieu ne sont pas tous sauvés à la fin ?

Et la réponse, c’est que Dieu donne des choses incroyablement précieuses et utiles à son peuple pour aider son peuple à le connaître, et à travers son peuple, pour se faire connaître au monde entier—mais Dieu ne veut quand même pas que qui que ce soit puisse s’imaginer que c’est en s’appuyant sur ces choses-là, extérieurement, qu’on peut obtenir le salut.

Tout simplement : Dieu ne veut pas qu’on se dise que puisqu’on va à l’Église, puisqu’on se dit chrétien, puisqu’on a été baptisé, puisqu’on fréquente des chrétiens, puisqu’on prend la sainte-cène, puisqu’on connaît la Bible, ça veut dire qu’on est sauvé. Non ! Toutes ces choses-là sont super, et extrêmement précieuses et utiles, mais aucune des ces choses-là ne nous sauvera, même si on en fait un usage ultra-consciencieux !

Regardez ce que dit Paul dans la dernière partie de notre passage. Après avoir fait une analogie avec deux demi-frères, Ismaël et Isaac, maintenant il va faire une seconde analogie avec deux autres frères, mais cette fois des fils d’Isaac (donc des fils de l’enfant de la promesse), et en plus, des frères jumeaux : Jacob et Ésaü ! Autrement dit, il n’y a pas plus équivalent au sein du peuple de l’alliance que ces deux-là ! Et pourtant, vous me direz, même quand il y a des jumeaux, il y en a forcément un qui doit sortir le premier et qui aura une espèce de prééminence sur le second, non ? (J’ai eu des jumeaux, je peux vous garantir que c’est obligé qu’il y en ait un qui sorte le premier !)

Eh bien même là, la distinction entre les deux ne suit pas la logique que nous, on voudrait, en tant qu’humains. Paul nous dit que Dieu a choisi que la lignée de la promesse ne suive pas l’aîné, mais l’autre. Qu’est-ce qu’il cherche à souligner en nous disant tout ça, Paul ? Il cherche à souligner le fait que le salut des gens est totalement suspendu à la seule décision souveraine de Dieu. Comme il le dit au verset 11, qui résume en fait la thèse de l’apôtre Paul dans tout ce passage : « Le dessein de Dieu demeure selon l’élection qui dépend non des œuvres, mais de celui qui appelle. »

Pour Paul, le fait que Dieu a choisi Jacob plutôt qu’Ésaü, alors qu’ils sont jumeaux, et même, alors que Jacob était le plus jeune, c’est la preuve que notre salut « dépend non des œuvres, mais de celui qui appelle ». C’est la preuve que même si on pense être idéalement placé pour que Dieu nous sauve, ce n’est pas pour ça que Dieu va nous sauver. Il n’y a absolument rien en nous, aucune qualité, aucun statut, aucun rang, aucun héritage, aucun mérite qui nous prédisposerait à être sauvé par Dieu—rien en nous qui nous démarquerait de façon à ce que Dieu se dise : « Ah oui ! C’est lui que je veux ! »

Comme si Dieu se promenait dans une galerie marchande, et qu’il regardait les vitrines, et que derrière les vitrines, soigneusement arrangés sur des étalages, eh bien il y a tous les humains de l’histoire, et que Dieu se disait : « Tiens, celui-là ! Il a des parents chrétiens, il a été baptisé enfant, il est allé à l’Église toute sa vie, il connaît le catéchisme par cœur—lui, il est bien, je le veux ! » Mais pas du tout.

Notre salut ne dépend que de la grâce souveraine de Dieu, et de rien d’autre. « J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Ésaü. », dit Dieu. C’est-à-dire que Dieu sauve vraiment qui il veut, et que même si on fait partie de l’Église et qu’on prend part activement à la vie du peuple de Dieu—même si on est le fils aîné d’Isaac !—ce n’est pas ça qui peut constituer la base ou la garantie de notre salut. Dieu veut nous dépouiller de toute prétention.

Inversement, ça veut aussi dire que Dieu peut vraiment, souverainement, décider de sauver n’importe qui. Personne n’est hors d’atteinte de sa grâce. Pensez au brigand sur la croix. Quand Jésus a été crucifié, deux brigands ont été crucifiés en même temps que lui, de part et d’autre de lui.

Qu’est-ce qui se passait à ce moment-là ? Jésus, le messie tant attendu, Dieu fait homme, issu du peuple d’Israël conformément aux promesses de Dieu—Jésus est venu justement, de la part de Dieu, accomplir le salut de tous ceux que Dieu a choisis. Et pour que ce salut dépende non des œuvres, mais vraiment seulement « de celui qui appelle », il a fallu que Jésus en supporte entièrement le coût. Et c’est ce qu’il a fait sur la croix, où il a souffert et où il est mort pour supporter à la place des gens que Dieu voulait sauver, la peine de leurs fautes qui les séparaient de Dieu, et de cette façon, Jésus a payé intégralement le prix de leur salut.

Mais pendant que Jésus agonisait sur la croix, il y a un des brigands qui se moquait de lui, tandis que l’autre s’est humilié, et lui a dit : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne. » (Lc 23.42) Et Jésus lui a répondu : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » (Lc 23.43)

La preuve, n’est-ce pas, de cette conviction tout-à-fait fondamentale, à savoir, que notre salut ne dépend que de la grâce souveraine de Dieu, et de rien d’autre.

Bref, toute la leçon à retenir de ce passage, vous l’avez compris, c’est que Dieu sauve qui il veut, et que ça ne dépend d’aucune manière de quoi que ce soit que nous, on pourrait faire.

J’ai été long, mais deux petites choses encore en guise de conclusion.

D’abord, une question essentielle : comment savoir si moi, je suis sauvé ? OK, je suis dans l’Église, je pratique la religion chrétienne, peut-être même que j’ai été baptisé, mais est-ce que je suis un Jacob, ou un Ésaü ? Eh bien écoutez : moi, je ne peux pas répondre à cette question à votre place. D’abord, il n’y a que Dieu qui sait exactement qui fait partie de l’Église invisible, c’est-à-dire qui sont les véritables croyants, ceux qui sont réellement nés de nouveau, qui ont la vraie foi, qui ont reçu le Saint-Esprit et qui sont inscrits pour toujours dans le livre de vie. Bref, Dieu seul sait qui sont les élus.

Mais ça ne veut pas dire que nous, on doit vivre dans le doute perpétuel au sujet de notre propre salut. Pour savoir si je suis sauvé, je n’ai rien d’autre à faire qu’à regarder à Jésus-Christ, et à me demander si réellement, comme le brigand sur la croix, j’ai renoncé à essayer de faire valoir quoi que ce soit qu’il y aurait en moi, et à la place, si je me suis jeté sans réserve dans les bras de Jésus pour qu’il me sauve par sa seule puissance. Si je regarde à Jésus, et que je me vois attaché à lui, et que je vois mes péchés sur lui, cloués à la croix avec lui—alors ça veut dire que Dieu m’a donné la foi. Et si aujourd’hui vous vous sentez attiré à Jésus, parce que vous voyez qu’il vous présente quelque chose que vous n’arriveriez jamais à trouver en vous-même ou ailleurs, c’est sûrement parce que Dieu est souverainement en train de vous appeler à lui, en ce moment-même ! Ne lui résistez pas !

Enfin, dernière question. Qu’est-ce qu’on doit faire de tous ces honneurs et ces privilèges qui sont les nôtres en tant que peuple de Dieu sur la terre, en tant qu’Église chrétienne, et précisément ici, à l’Église Lyon Gerland où franchement, Dieu s’est montré tellement généreux envers nous, et où on bénéficie d’une telle richesse en termes de talents, de bonnes volontés et d’héritage théologique. On l’a dit : c’est un honneur, mais c’est aussi un danger ! Qu’est-ce qu’on doit en faire, alors ?

D’abord, ce qu’on ne doit pas en faire. On ne doit pas s’appuyer là-dessus pour penser qu’on est sauvé. On ne doit pas fonder notre assurance là-dessus. On ne doit pas tirer de ces choses un sentiment de supériorité et de mérite. Ça, c’est l’extrême danger de cet honneur que Dieu nous fait de nous appeler son peuple, et de nous donner toutes sortes de bienfaits qui sont propres à son peuple : comme nous confier sa Parole, nous confier le soin de célébrer son culte et d’administrer ses sacrements, ou encore nous donner le privilège de la communion fraternelle. On ne doit pas pervertir ces bonnes choses en les transformant en des performances—c’est-à-dire en des œuvres—par lesquelles on penserait, même subtilement, pouvoir contribuer quelque chose à notre salut.

Qu’est-ce qu’on doit en faire, à la place ? Eh bien toutes ces bonnes choses, tous ces honneurs et ces privilèges qui sont les nôtres dans l’alliance avec Dieu, ne sont de réels bienfaits que dans la mesure où ils nous conduisent à Jésus-Christ. Et donc on doit s’exercer à toujours considérer Jésus-Christ, sa personne et son œuvre, comme étant le cœur et le but de tout ce qui se vit dans l’Église, sans quoi on risque de se détourner de la grâce de Dieu, et de finir loin de lui. Jésus est tout pour nous, et si on n’a pas Jésus, on n’a rien.

Je veux juste finir avec une citation de la Reine d’Angleterre. On a beaucoup vu passer des citations de la Reine Elizabeth II ces derniers jours, surtout des extraits de ses allocutions de Noël, où elle évoque la foi qu’elle avait en Jésus-Christ. La citation que je veux vous donner, je l’ai vue attribuée à la Reine Elizabeth, mais en réalité, d’après mes recherches, ça vient plutôt de la Reine Victoria (qui a régné au XIXe siècle).

Il paraît qu’un jour, elle écoutait la prédication d’un de ses aumôniers, qui parlait du retour prochain de Jésus-Christ. Et après la prédication, elle est allée voir l’aumônier, et lui a dit : « Oh, j’aimerais tant que le Seigneur revienne de mon vivant ! » Alors l’aumônier lui a demandé : « Pourquoi donc, votre Majesté, ressentez-vous si fortement ce désir ? »

Et la Reine Victoria lui aurait répondu, d’une voix émue : « Car j’aimerais tant pouvoir déposer ma couronne à ses pieds. »

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