Accueillir comme Jésus

Par Alexandre Sarranle 19 février 2023

Notre Église grandit, et c’est super. On aimerait beaucoup, à terme, être une Église autonome financièrement, et pour ça, eh bien, il n’y a pas de mystère, il nous faut des gens. Des gens en assez grand nombre, qui vont soutenir de leurs libéralités la vie de notre Église, et sa mission, à laquelle Dieu nous appelle. Si on veut que notre Église se pérennise, il nous faut du monde.

Le problème, c’est que dans une Église qui grandit, paradoxalement, on peut se sentir de plus en plus seul. Plus il y a du monde dans l’Église, plus il y a du monde différent de nous, et plus c’est difficile de se sentir proche de ces autres gens. Plus il y a du monde dans l’Église, plus c’est compliqué de vivre comme une famille, où on se connaît tous bien, où la communication passe bien entre tout le monde, et où tout le monde se sent bien accueilli et bien intégré.

Le danger, du coup, c’est que des clubs, ou des clans, se créent dans l’Église. Ce n’est pas évident de se rapprocher des gens qui sont différents de nous, alors qu’est-ce qu’on risque de faire naturellement ? On va s’attacher au petit cercle de gens qui sont comme nous.

Par exemple, on a du mal parfois à se sentir à l’aise… avec quelqu’un qui vient d’une culture différente et qui parle le français avec un accent étranger. Ou bien avec quelqu’un qui manifestement n’a pas le même niveau de vie que nous. Ou bien avec quelqu’un qui a trente ans de plus, ou trente ans de moins. Ou bien avec quelqu’un qui est hautement intellectuel, ou au contraire, avec quelqu’un qui est beaucoup plus manuel. Ou bien avec quelqu’un qui est marié, heureux et qui a quinze mille enfants, ou inversement, avec quelqu’un qui est célibataire, ou divorcé, ou qui souffre d’infertilité dans son couple.

Ajoutons à tout ça, bien sûr, des questions de sensibilité théologique, de préférence politique, de personnalité, de goût, de maturité dans la foi… eh bien forcément, dans une Église qui grandit, la cohésion, le « vivre-ensemble » comme on dit aujourd’hui, l’unité de notre assemblée et l’intégration de chacun—tout ça, ça devient un défi de plus en plus perceptible.

Et ce qu’on ne veut pas, c’est devenir un agglomérat de petits clubs au sein de l’Église, avec une participation disparate (inéquitable) à la vie-même de l’Église et à sa mission. Les Bac+5 ici, les familles nombreuses par là, les bons presbytériens dans ce coin, les Africains là-bas, les mères célibataires par ici, les citadins de ce côté-là, les ruraux en face, etc. Inévitablement, quand ça se passe, il y a des gens qui vont se retrouver soit tous seuls, soit dans des petits groupes sous-privilégiés, sous-accueillis et sous-intégrés dans l’Église—tandis que d’autres seront perçus comme les membres supérieurs, les indispensables, les bien intégrés, les « sachants », les chanceux, les privilégiés, l’élite de l’Église en quelque sorte !

Ça vous dit comme programme pour notre Église ? Je ne crois pas !

Et ça tombe bien, parce que le texte qu’on va prendre ce matin s’inscrit dans la continuité de ce qu’on a vu ces dernières semaines, où l’apôtre Paul, dans une lettre qu’il a écrite à des chrétiens de son époque, parle de l’importance de la cohésion, de la charité mutuelle et de l’unité dans l’Église, malgré—justement—les différences importantes qui pouvaient exister entre eux, et qui peuvent exister entre nous, sur le plan de nos origines, de notre éducation, de notre personnalité, de nos goûts, ou encore de notre maturité dans la foi.

Et maintenant, Paul va vraiment ramener le sujet à quelque chose de très, très fondamental. Il va nous expliquer que la relation qu’on va avoir les uns avec les autres au sein de la communauté chrétienne (c’est-à-dire l’Église, comme la nôtre : l’Église Lyon Gerland)—la relation qu’on va avoir les uns avec les autres devrait être tout-à-fait fondée sur la relation qu’on a ensemble à Jésus-Christ.

Je vous rappelle que dans l’Église primitive (l’Église du premier siècle, qui est celle de l’époque de l’apôtre Paul), il y avait un gros défi en termes d’unité : c’était de savoir comment faire cohabiter des gens que tout opposait à l’époque, à savoir les chrétiens d’origine juive, et les chrétiens d’origine païenne.

Eh bien l’apôtre Paul va leur dire—et nous dire par la même occasion—que si on comprend bien à quelle espérance commune on a été appelé par la foi en Jésus, alors si profond soit le fossé qui nous sépare les uns des autres, ce fossé va être comblé par l’affection surnaturelle qu’on va se porter les uns aux autres. Et de cette manière, Dieu voulant, personne ne va se sentir mis de côté dans les progrès de l’Église de Jésus-Christ à Lyon Gerland.

1/ Un principe à appliquer (v. 1-3)

Toute la leçon de ce passage, donc, c’est que si on comprend bien à quelle espérance commune on a été appelé par la foi en Jésus, alors si profond soit le fossé qui nous sépare les uns des autres, ce fossé va être comblé par l’affection qu’on va se porter les uns aux autres.

Paul fait référence à beaucoup de choses différentes dans ce passage, mais ce qu’il vise avec tout ça, c’est vraiment la bonne entente des chrétiens dans l’Église, l’affection, la solidarité, l’unité entre nous, comme il le dit au verset 7, et c’est vraiment l’idée qui est au centre de ce passage : « Faites-vous mutuellement bon accueil, comme Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu. » Mais prenons les choses dans l’ordre.

Premièrement, un principe à appliquer. La première chose qu’on voit dans ce passage (v. 1-3), c’est l’apôtre Paul qui nous explique que dans l’Église, on est appelé à un truc assez radical, c’est de chercher l’intérêt des autres en priorité, avant le nôtre, comme d’ailleurs l’a fait Jésus lui-même, notre maître.

Paul est un petit peu en train de résumer, finalement, tout ce qu’il a dit depuis le début du chapitre précédent (ch. 14), et qu’on a vu ces dernières semaines. On veut « bien s’entendre » dans l’Église ? On veut « progresser ensemble » malgré nos différences, on veut promouvoir la paix et l’édification mutuelle (cf. Rm 14.19) ? Eh bien finalement, pour résumer, voici un principe très clair, très efficace, facile à retenir : « Que chacun de nous plaise au prochain pour ce qui est bon ! »

C’est-à-dire qu’au lieu de chercher en priorité, dans la vie, ce qui va nous faire plaisir, on va plutôt régler nos choix selon l’intérêt des autres. Évidemment, Paul ajoute : « pour ce qui est bon » (v. 2), c’est-à-dire, plus littéralement : « envers le bien ». Donc Paul n’est pas en train de dire qu’on doit juste satisfaire tous les caprices de notre prochain.

Ce qu’il dit, c’est tout simplement ce qu’il a expliqué au chapitre précédent, à savoir que si on est croyant, parfois on doit choisir volontairement de renoncer à certains droits, dans le but de ne pas accentuer les points qui nous séparent (et qui ne sont pas essentiels à la foi), et dans le but, plutôt, de promouvoir la paix et l’édification. J’insiste : on parle ici de choses qui ne sont pas essentielles à la foi, et qui ne sont pas contraires au bien.

Rappelez-vous l’histoire de la famille qui veut prendre des vacances ensemble. Une famille où il y a des gens d’âges différents et de capacités physiques ou intellectuelles différentes. Celui qui aimerait passer toute la semaine à faire du ski extrême sur des pentes à 60° va peut-être renoncer à chercher « ce qui lui plaît », et va peut-être à la place se contenter avec joie d’un tournoi de Dixit auquel tous les membres de la famille vont pouvoir participer. Il va donc plutôt chercher à « plaire au prochain », par affection pour les autres, par solidarité, en visant la réussite des vacances de la famille (et pas juste les siennes, de vacances).

Chercher à plaire au prochain comme principe de vie dans l’Église, c’est assez radical, et on a du mal à l’accepter. Et c’est pour ça que Paul va ajouter un argument radical : c’est que ça, c’est exactement l’état d’esprit qui était celui de Jésus lorsqu’il a vécu sur la terre parmi les humains. Au lieu de chercher ce qui lui plaisait, il a accepté d’être abaissé, dépouillé, humilié, dans l’intérêt des autres. Si Jésus a fait ça, et qu’il est notre maître et notre modèle, alors nous aussi, on devrait faire ça.

Paul cite ici (v. 3) un texte de l’Ancien Testament, qui est en fait une prophétie qui parle d’avance du messie (environ 1000 ans avant !), et de l’état d’esprit que le messie aurait quand il viendrait. Ce que Paul veut nous montrer, c’est que Jésus a bien voulu « prendre sur lui », comme on dit, dans l’intérêt des autres—et particulièrement dans l’intérêt de son Église, c’est-à-dire dans notre intérêt ! On va y revenir dans un instant.

Mais pour l’instant, ce qui est intéressant, c’est de voir cet état d’esprit qu’avait Jésus. Et la citation que propose Paul, si on la regarde dans son contexte original, nous en dit en peu plus. Je suis sûr que Paul, qui avait une très bonne connaissance des Écritures, avait aussi le contexte en tête lorsqu’il a cité ce passage. Écoutez bien, ça se trouve dans le Psaume 69 :

« Car c’est pour toi [pour Dieu, dans le contexte] que je supporte le déshonneur, que la confusion couvre mon visage ; je suis devenu un inconnu pour mes frères, un étranger pour les fils de ma mère. Car le zèle de ta maison me dévore, et les propos déshonorants de ceux qui te déshonorent tombent sur moi. » (Ps 69.8-10)

Ceux qui connaissent un peu la Bible ont déjà entendu cette phrase : « le zèle de ta maison me dévore ». C’est une phrase à laquelle les disciples de Jésus ont pensé quand ils ont vu Jésus chasser les marchands du temple (Jn 2.17). Ça décrit tout simplement le souci que le messie devait avoir de la bonne marche de la maison de Dieu—ou de la maisonnée de Dieu, c’est-à-dire la famille de Dieu, c’est-à-dire la communauté des croyants, c’est-à-dire l’Église.

Nous aussi, donc, d’après Paul, on devrait être animé de ce même souci : celui de la bonne marche de l’Église, celui de la paix et de l’édification de la communauté des croyants, car c’est aussi le souci de Dieu, au point où Jésus a lui-même supporté des outrages plutôt que de chercher son propre intérêt. Nous aussi, le zèle de la maison de Dieu devrait nous dévorer, au point où on va mettre de côté nos intérêts, au profit des intérêts des autres.

Dans un autre passage, l’apôtre Paul dit (et c’était le texte du mariage d’Arnaud et Isabel il y a quelques mois) :

« Dans l’humilité, estimez les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres. Ayez en vous la pensée qui était en Christ-Jésus. » (Ph 2.3-5)

Donc voilà ce principe à appliquer. C’est radical, mais c’est clair, c’est efficace, c’est facile à retenir. Si on recherche vraiment la cohésion de l’Église, sa paix, sa croissance dans la foi, son unité, alors : « Que chacun de nous plaise au prochain pour ce qui est bon ! »

En pratique, ce que ça veut dire, c’est par exemple : dans une réunion du groupe de maison, quelqu’un propose un chant de louange qui, franchement et objectivement, est assez gnangnan. Les paroles sont mielleuses et la musique vieillotte. Mais au lieu de faire la moue, au lieu d’étaler ma supériorité spirituelle et mon expertise musicale, poétique et théologique, au lieu de râler ou de boycotter… je vais « plaire au prochain pour ce qui est bon, en vue de l’édification », et je vais chanter avec joie, une joie sincère, par amour pour mon frère (qui est peut-être plus faible que moi dans la foi, et alors ?).

Autre exemple. Dans une discussion de groupe, un ami de l’Église pose une question qui m’apparaît tout de suite comme étant très niaiseuse. Cet ami vient de révéler son ignorance théologique, son manque de connaissances bibliques, et sa jeunesse dans la foi. Je suis tenté de mépriser cet ami, de balayer rapidement sa question, et de chercher plutôt à discuter de débats théologiques profonds et subtils avec des gens qui sont de mon niveau. Mais au lieu de ça, je pourrais « plaire au prochain pour ce qui est bon, en vue de l’édification », et souligner la pertinence de sa question, et donner de la place et de la valeur à mon frère dans le groupe, et discuter avec lui d’égal à égal, sans faire qu’il se sente ridicule ou inférieur.

Autre exemple. Autour d’un repas, ça discute de politique, et un frère réagit assez fortement et négativement à mon positionnement sur un certain point. Je suis assez persuadé que ma conviction est ancrée dans la vérité, et que mon frère a besoin de réfléchir un peu plus. Mais au lieu de réagir à mon tour avec virulence pour défendre ma tour d’ivoire… et si je « plaisais au prochain pour ce qui est bon, en vue de l’édification » ? Je pourrais juste mettre de côté temporairement mon dogmatisme, et m’exercer à écouter, à montrer du respect, à être attentif et bienveillant envers mon frère, et à le valider lui, comme frère, comme sujet autonome et responsable, avec sa propre conscience devant Dieu, sans pour autant approuver son opinion.

Vous voyez un peu comment ça pourrait marcher ? Bref, c’était le premier point : un principe à appliquer. Mais c’est dur, n’est-ce pas ? C’est ce qui nous amène au deuxième point.

2/ Un privilège à se rappeler (v. 4-7)

Deuxièmement : un privilège à se rappeler. La deuxième chose que Paul veut nous faire comprendre dans ce passage (v. 4-7), c’est que si on est chrétien, la grâce qui nous a été faite devrait recalibrer notre vision de nous-mêmes et des autres, de sorte qu’on va grandir en unité et en amour mutuel. Et pour ça, il faut qu’on se rappelle quelle est cette grâce qui nous a été faite—quel est ce privilège qui nous a été accordé.

C’est curieux, parce que dans notre passage, Paul fait référence tout d’un coup au rôle des Écritures dans notre vie en tant que croyants (v. 4), alors qu’on ne dirait pas que ça a beaucoup de rapport avec le sujet de nos relations à l’intérieur de l’Église. « Faites en priorité ce qui plaît aux autres et pas à vous-mêmes, comme l’a fait Jésus—et au fait, c’est bien de lire la Bible ! » OK, mais quel est le rapport ? Le rapport, c’est que la Bible nous communique l’espérance qui va changer fondamentalement nos relations dans l’Église.

Regardez bien ce que dit Paul—il y a une vraie logique dans ce qu’il dit ! Il vient de citer la Bible pour montrer que Jésus est un exemple d’humilité et de service des autres. Alors il en profite pour expliquer que la Bible existe pour notre instruction, pour nous communiquer de la patience et de la consolation (ou plutôt de la persévérance et de l’encouragement), pour qu’on possède ainsi l’espérance (v. 4).

Donc la Bible nous communique de la persévérance et de l’encouragement pour que notre espérance soit bien établie—pour que notre espérance soit bien ferme en nous. Or Paul ajoute tout de suite après que le Dieu de cette persévérance et de cet encouragement (donc le Dieu des Écritures, le Dieu qui a donné les Écritures)—Dieu va aussi nous donner de cette manière, dans l’Église, « une même pensée », « un commun accord », « une seule voix » (v. 5-6). Et en fin de compte, en bout de chaîne, Dieu va être glorifié (v. 6-7).

Donc si on récapitule (suivez bien, ce n’est pas très clair, mais finalement c’est assez simple) : Dieu nous communique de la persévérance et de l’encouragement par le moyen de la Bible qui affermit notre espérance, et cette espérance à son tour va produire des relations différentes dans l’Église—des relations caractérisées par l’humilité, la bienveillance, la cohésion, la bonne entente, et l’unité. L’élément central sur lequel tout ça, ça s’appuie, c’est notre espérance. C’est-à-dire la substance de ce que ça veut dire d’être un chrétien.

Donc en gros, il faut qu’on se rappelle qui on est et ce qu’on a en tant que chrétiens, pour ensuite en tirer les bonnes conséquences pratiques dans nos relations entre nous.

Quelle est notre espérance ? Quelle est notre identité et quel est notre héritage ? Qu’est-ce qu’on a reçu, quelle est la grâce qui nous a été faite, ou le privilège qui nous a été accordé ? Paul nous le dit avec cette formule : « Christ vous a accueillis » (v. 7, ou : « Christ nous a accueillis »). Et donc, comme Christ vous a accueillis, faites-vous, à votre tour, bon accueil. Voilà le privilège qu’on doit se rappeler : c’est que si on est des croyants, Jésus-Christ nous a accueillis. On doit s’en rappeler, pour que ça change notre perception de nous-mêmes et des autres, dans l’Église.

Ça me fait penser à quelqu’un que je connais qui a récemment rejoint l’armée, et plus précisément un bataillon très particulier, avec un insigne particulier constitué d’un cor (l’instrument, un cor de chasse), et d’un diable. Cet insigne est porté sur l’uniforme, et il fait référence à une bataille qui a eu lieu pendant la première guerre mondiale—appelée la bataille de l’Hartmannswillerkopf—c’est le nom d’une montagne dans les Vosges qui a été reprise aux Allemands par ce bataillon. Et en fait, pendant cette bataille, les Allemands étaient tellement impressionnés par le courage et la détermination de ce bataillon, qu’ils ont surnommé ces combattants les « diables noirs ».

Et donc les membres de ce bataillon aujourd’hui portent cet insigne sur eux, pour leur rappeler qui ils sont : ils ont intégré un bataillon redoutable, et en se rappelant cet héritage, ils doivent agir à leur tour en conséquence.

Et de façon similaire, nous aussi si on est croyant, on doit se rappeler qui nous, on est, et quel est notre héritage. Avant d’être des croyants, on était des ennemis de Dieu—c’est-à-dire qu’on était séparé de lui ; et le mal qu’il y avait dans notre cœur nous rendait vraiment repoussants à ses yeux à lui, qui sont purs, justes et saints. Et dans cette situation, on était vraiment perdus spirituellement, et même perdus existentiellement, et ça en fait, c’est la situation de tout être humain par nature.

Mais Jésus-Christ est venu de la part de Dieu le Père, et « le Christ n’a pas cherché ce qui lui plaisait » (cf. v. 3), mais il a volontairement pris sur lui toute cette infection dégoûtante qui  nous séparait de Dieu, il a assumé à notre place les conséquences du mal qu’il y avait en nous, il a détourné notre culpabilité sur lui-même, et de cette façon, « les outrages » de ceux qui outrageaient Dieu sont tombés sur lui ! Jésus a assumé ça très douloureusement à travers l’agonie qu’il a supportée sur la croix avant de mourir. Et il a fait ça par amour pour les croyants, par grâce, par charité, pour ainsi nous accueillir auprès de lui, pour faire de nous ses petits frères et ses petites sœurs dans la famille de Dieu, pour qu’on devienne héritiers avec lui du monde à venir, pour qu’on ait notre place pour toujours dans le paradis de Dieu.

Quel privilège, vous comprenez ? Avant, on était des ennemis de Dieu, mais maintenant, si on est attaché à Jésus par la foi, on est des enfants de Dieu. On a été accueillis. Et on doit s’en rappeler, pour vivre en conséquence—notamment au niveau de nos relations dans l’Église.

Et les Écritures existent « pour notre instruction », pour que cette espérance soit fermement établie en nous, de sorte que le Dieu des Écritures nous unifie autour de cette espérance, et transforme notre état d’esprit et nos relations les uns avec les autres. La Bible qu’on peut lire chaque jour chez soi et qu’on peut—et qu’on doit—étudier ensemble à l’Église (un peu comme l’insigne qu’on porte sur soi), nous fait comprendre quel est ce privilège qui nous a été accordé, et quel est cet héritage qui est le nôtre. On a été accueilli par Jésus, adopté par Dieu et intégré dans l’Église, alors qu’on en était carrément indignes.

Nous, on regarde autour de nous dans l’Église et on voit des gens un peu bizarres. Lui, il a une drôle de tête, il me fait un peu peur. Elle, elle s’habille bizarrement. Lui, il a un drôle d’accent. Elle, elle a une personnalité un peu trop exubérante. Lui, il est tellement timide, il me met mal à l’aise. Etc. Mais nous, aux yeux de Dieu, on était comment, avant d’être accueillis par Jésus ? On n’était pas simplement… différents. On était répugnants ! On était les ennemis déclarés de Dieu, on était souillés et impurs, on était impies, injustes, indignes. Tout nous séparait de Dieu, tout nous privait de sa présence, tout nous excluait de l’Église.

Paul l’avait expliqué au début de sa lettre : « Il n’y a pas de distinction : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. » (Rm 3.23) Mais ensuite, il a expliqué que sans distinction non plus, tous ceux qui se confient en Jésus-Christ reçoivent le pardon de leurs péchés, ils sont déclarés justes par Dieu, et ils sont pleinement approuvés par Dieu et intégrés dans sa famille pour toujours. Et ainsi, dit Paul dans notre passage, par notre réintégration dans la famille de Dieu, on va pouvoir de nouveau glorifier Dieu.

Vous comprenez ? Avant, on était privé de la gloire de Dieu, mais maintenant, étant réconcilié avec Dieu et réintégré dans la communion de l’Église, on est reconnecté à la gloire de Dieu. Et cette gloire de Dieu est censée s’exprimer notamment au travers de « la pensée » qu’on va avoir « les uns à l’égard des autres selon le Christ-Jésus » (v. 5), au travers donc de notre unité, de notre accueil mutuel, et de notre amour fraternel les uns envers les autres.

3/ Un projet à incarner (v. 8-13)

Donc ça, c’était le deuxième point. Il y a un privilège à se rappeler qui doit recalibrer notre perception de nous-mêmes et des autres, dans l’Église. La Bible, donc, nous aide à comprendre comment Christ nous a accueillis, pour qu’ensuite, à notre tour, on fasse bon accueil aux autres dans l’Église, sans discrimination, sans ségrégation, sans filtrage, sans favoritisme, pour la gloire de Dieu.

Et tout ça, c’est renforcé par le troisième et dernier point : un projet à incarner. La troisième et dernière chose qu’on voit dans ce passage, en effet (v. 8-13), c’est Paul qui nous rappelle que Dieu a toujours eu pour objectif d’intégrer dans son peuple toute la diversité du genre humain.

Je vous rappelle que dans le contexte de l’Église du premier siècle (à l’époque où Paul écrit cette lettre), la diversité des humains pouvait difficilement être mieux représentée à l’esprit des premiers chrétiens, que par la séparation sociale, culturelle et religieuse qui existait entre les Juifs et les non-Juifs, entre les « circoncis » et les « incirconcis », entre les Israélites et les païens. Or Paul a déjà établi, dans sa lettre, que Jésus était venu pour présenter le salut de Dieu à tous les humains—Juifs et non-Juifs—par le moyen de la foi. Il l’a même dit dès l’introduction de sa lettre (cf. Rm 1.16-17). Il l’a répété plusieurs fois au cours de sa lettre. Et même, depuis le chapitre 9, de manière sous-jacente dans presque tout ce que Paul a voulu dire, il y a son souci que la communauté des croyants s’entende bien, malgré le fait que cette communauté est forcément constituée de gens issus d’arrière-plans extrêmement différents.

Donc on a bien compris que cette entité nouvelle qu’est l’Église chrétienne au premier siècle—la communauté du messie constituée de gens totalement différents dont le seul point commun, finalement, c’est leur attachement à Jésus—on a bien compris que cette entité nouvelle à cette époque doit relever ce défi de la diversité, et de l’unité dans la diversité, et de la charité dans la diversité, et de la paix et de l’édification dans la diversité !

Mais pour que ses destinataires soient motivés à relever ce défi, maintenant Paul veut leur rappeler que cette diversité dont ils font l’expérience (peut-être avec difficulté), c’est en fait quelque chose d’inhérent au projet-même de Dieu.

Et pour leur prouver ça, Paul va citer des extraits tirés des trois grandes sections de l’Ancien Testament (c’est-à-dire de la Bible telle qu’elle existait à ce moment-là)—ces trois sections étant la Loi, les Prophètes et les Écrits. Cette division en trois sections était habituelle pour ceux qui connaissaient la Bible. Et donc Paul cite des passages tirés de ces trois grandes sections (v. 9-12) pour montrer que le témoignage entier des Écritures parle de ce projet de Dieu qui est d’établir un royaume sur la terre constitué d’Israël et de toutes les nations, unifiées ensemble en un seul peuple de Dieu sous la conduite et le règne du messie.

Jésus est venu en tant que messie. Il est issu du peuple d’Israël, conformément aux promesses faites aux patriarches (ou aux « pères », comme dit Paul, v. 8), pour accomplir les promesses de l’alliance. Et par sa venue, sa vie, sa mort et sa résurrection, maintenant le royaume est ouvert à toutes les nations, selon la grande miséricorde de Dieu (v. 9). Et ce royaume est représenté sur la terre par l’Église. Et donc si le royaume de Dieu, dans le projet de Dieu, est un royaume constitué de toute la diversité du genre humain, alors cette diversité doit aussi être représenté dans l’Église. C’est un projet à incarner, parce que c’est précisément le projet de Dieu.

Dans le film Le Grand Restaurant (1966), avec Louis De Funès, il y a une scène très drôle où le patron (incarné par De Funès) vient manger dans son propre restaurant, incognito, pour mettre ses employés à l’épreuve et tester un peu la qualité de leur travail. Et donc il se trouve à table, et après avoir étudié la carte, il commande… un radis (et s’il a encore faim après, il prendra un yaourt) ! Quelques minutes plus tard, le serveur arrive avec une petite botte de radis dans un plat, du beurre, du sel, du pain… Mais en voyant tout ça, De Funès arrête tout de suite le serveur et lui dit : « Oh, non, j’ai demandé un radis. Un radis. » Et il tend la main, prend un petit radis dans le plat et renvoie le serveur.

Dans cette histoire, le patron fait tout ce qu’il peut pour excéder ses employés. Mais en réalité, dans ce grand restaurant, ce n’était pas une erreur si le radis était arrivé avec d’autres radis et du pain, du beurre et du sel. Ça n’allait pas coûter plus cher. Ce n’était pas accidentel, c’était intentionnel. C’était la marque de fabrique d’un grand restaurant, de servir même un radis avec un certain apparat, une certaine classe, un certain standing.

De la même façon dans l’Église, nous on se contenterait bien, parfois, d’être juste un ou deux radis entre nous. Mais ce n’est pas ça que Dieu veut pour son Église. Dieu veut des bottes de radis de toutes les tailles et de toutes les couleurs, il veut du pain, du beurre et du sel, et même il veut des poireaux et des asperges et des carottes et des navets et des brocoli et des haricots et des choux de Bruxelles et des piments et des patates et du fenouil ! Nous, on aimerait juste un petit radis, mais Dieu veut nous servir une énorme diversité dans l’Église, et ce n’est pas accidentel, c’est intentionnel. Ce n’est pas un bug, c’est un but. Tel est le standing de l’Église de Jésus le messie.

Alors attention, ça ne veut pas dire qu’on doit rechercher la diversité au point de la fabriquer. Paul n’est pas en train de dire à ses destinataires, ici, qu’il faut intentionnellement aller chercher des quotas de gens « issus de la diversité », comme on dit aujourd’hui, et de leur donner de la visibilité dans nos activités et de les afficher dans nos communications—histoire de se donner bonne conscience (et peut-être même de soigner notre image). Non, le souci de Paul ici n’est pas de rechercher la diversité, mais d’accepter la diversité et de se réjouir de la diversité que Dieu nous envoie.

C’est une nuance, mais une nuance importante. Aucune Église dans le monde aujourd’hui n’est appelée à représenter exactement la diversité parfaite de l’Église eschatologique, c’est-à-dire du peuple de Dieu dans l’éternité, issu de toute nation, de toutes tribus, de tous peuples et de toutes langues (cf. Ap 7.9). Non, parce que le monde aujourd’hui est encore constitué de groupes de population différents répartis de manière différente dans des zones géographiques différentes. Il y a encore des langues, des cultures, des modes de vie différents.

L’idéal pour l’Église chrétienne aujourd’hui, c’est plutôt de représenter la diversité du genre humain telle qu’elle existe actuellement dans la société où se trouve l’Église. Bref, que la diversité de l’Église reflète la diversité de son quartier. Mais quoi qu’il en soit, que la diversité que Dieu envoie à son Église soit accueillie et valorisée par son Église.

Parce que c’est son projet !

Je serais tenté de finir en vous racontant l’histoire d’un Juif, d’un Écossais et d’un Mong qui s’assoient autour d’une table dans un appartement de la rue André Bollier, très tôt le samedi matin, pour prier et discuter de la conduite spirituelle de l’Église de Jésus-Christ à Lyon Gerland. Ça commence comme une blague, mais plutôt qu’une histoire drôle, c’est une histoire réjouissante. C’est une belle histoire, et je ne sais pas comment ça se finit. Ce que je sais, c’est que c’est l’histoire que Dieu a voulue pour notre Église, par sa providence. Et je rends grâces à Dieu pour l’image que nous avons, en notre Église, des nations qui ont placé leur espoir dans le rejeton d’Isaï, et qui « se réjouissent avec son peuple » (v. 10).

Alors qu’est-ce qu’on disait en introduction ? On a dit que ça pouvait être compliqué, quand on est une Église qui grandit, de vivre comme une famille, où on se connaît tous bien, où la communication passe bien entre tout le monde, et où tout le monde se sent bien accueilli et bien intégré. Mais ce qu’on a vu à travers ce passage, c’est qu’on ne doit pas se décourager, on ne doit pas baisser les bras. Cette diversité est une belle chose voulue par Dieu, même si ça constitue quand même un vrai défi à relever.

Mais ce texte nous a rappelé que la relation qu’on va avoir les uns avec les autres dans l’Église devrait être tout-à-fait fondée sur la relation qu’on a ensemble à Jésus-Christ. Et donc si on comprend bien à quelle espérance commune on a été appelé par la foi en Jésus, alors si profond soit le fossé qui nous sépare les uns des autres, ce fossé va être comblé par l’affection surnaturelle qu’on va se porter les uns aux autres. Est-ce que vous êtes prêts à relever ce défi par la grâce de Dieu ?

Est-ce qu’on est prêt à appliquer le principe de l’intérêt des autres avant le nôtre ? Est-ce qu’on est prêt à nous rappeler perpétuellement, par le moyen de la Bible, du culte le dimanche, des groupes de maison en semaine—à nous rappeler perpétuellement le privilège qu’on a d’avoir nous-mêmes été accueillis par Jésus-Christ dans la famille de Dieu ? Est-ce qu’on est prêt à incarner le projet de Dieu, qui consiste à incorporer dans son Église toute la diversité du genre humain, toutes les richesses des nations, pour sa propre gloire ?

Trois choses que je vous propose de faire, très concrètement. Premièrement, dès la fin de ce culte : repérez quelqu’un dans notre assemblée à qui vous n’avez encore jamais parlé. Ou quelqu’un dont vous ne connaissez pas encore le prénom. Et allez vous présenter.

Deuxièmement : proposez une rencontre en-dehors du culte à quelqu’un de notre assemblée que vous connaissez mal, voire pas du tout. Ça peut être la personne à qui vous allez vous présenter tout-à-l’heure, ou quelqu’un d’autre. Ça peut être une famille entière. Ça peut être pour un repas, ou pour une activité. Ça peut être un samedi, un dimanche après le culte, ou un jour de semaine. Pour les plus timides d’entre nous, si ça peut aider, prévoyez une rencontre en groupe, avec une ou deux autres personnes en plus, que vous connaissez mieux.

Troisièmement : la prochaine fois que vous êtes en discussion avec quelqu’un et que cette personne dit quelque chose avec lequel vous n’êtes pas d’accord—à moins que ce soit quelque chose d’absolument essentiel à la foi chrétienne, qui aurait besoin d’être corrigé tout de suite avec douceur—la prochaine fois, donc, que vous voulez contredire l’opinion de quelqu’un dans une conversation, auto-censurez-vous, au moins au début, et posez plutôt des questions pour bien comprendre votre interlocuteur, et peut-être même pour mieux connaître votre interlocuteur. Peut-être bien que son opinion sur tel ou tel sujet est mauvaise, mais la personne qui a cette opinion, elle, elle est digne. Et si elle est attachée à Jésus par la foi, elle est même aimée absolument de Dieu. Est-ce qu’on pourrait, par notre attitude bienveillante et notre écoute, mieux refléter cette espérance commune et si fondamentale qu’on a en Jésus, de manière à ce que le fossé qui nous sépare peut-être soit comblé par l’affection surnaturelle qu’on devrait se porter les uns aux autres en tant qu’enfants de Dieu ?

C’est pour cette raison que Paul termine cette section en insistant de nouveau sur l’importance de grandir en espérance—parce que ça, ça va être la clef : « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint-Esprit ! » (v. 13)

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