Une Église qui dérape

Par Alexandre Sarranle 8 octobre 2023

J’ai pu dire ça à plusieurs personnes ces derniers jours, et je vous le dis à vous tous ce matin : il n’y a rien de plus important comme institution sur terre, que l’Église chrétienne. Rien de plus important comme organisme, comme société, comme communauté de personnes identifiée, structurée et agissante dans le monde. Et nous à l’Église Lyon Gerland, on est une expression locale de cette grande institution.

En tant qu’Église chrétienne, on est plus important que le gouvernement français (ou le gouvernement de n’importe quel pays), plus important que l’Union Européenne, plus important que le Fonds monétaire international, plus important que l’OMS, plus important que l’ONU. Mais je ne suis pas persuadé que vous en êtes tous persuadés.

Pourtant dans la Bible, il est dit que l’Église chrétienne est la maison de Dieu et la colonne et l’appui de la vérité (1 Tm 3.15) ; il est dit que l’Église est en campagne, en quelque sorte, contre le séjour des morts (Mt 16.18) ; il est dit que l’Église est le corps mystique de Jésus-Christ qui est Dieu le Fils (1 Co 12.27 ; Col 1.24), et le temple du Saint-Esprit qui est la troisième personne de la Trinité (1 Co 3.16) !

Mes amis : bienvenue à l’Église chrétienne ! Je tiens absolument à ce que vous compreniez combien l’Église chrétienne est éminemment—suprêmement—importante en tant qu’institution dans notre monde, pour que vous mesuriez la gravité et l’urgence de ce que je vais vous dire maintenant : c’est qu’il en faudrait peu pour que notre Église—l’Église Lyon Gerland—éclate en mille morceaux et disparaisse du jour au lendemain.

Et le texte qu’on va lire dans un instant, c’est un avertissement adressé au peuple de Dieu par rapport au danger de perdre de vue qui on est et ce pour quoi on existe, sous peine d’être tout simplement détruits.

C’est la suite du livre des Juges—un livre qui raconte ce qui se passe pendant une période très compliquée de l’histoire des Israélites, plus de 1000 ans avant Jésus-Christ. Je vous rappelle que les Israélites ont commencé à prendre possession de la terre promise, mais on découvre qu’ils ne suivent pas les instructions de Dieu, et même, qu’ils n’arrêtent pas de se détourner de Dieu. Il y a des nations ennemies qui leur font la guerre, et Dieu leur envoie des libérateurs (appelés des « juges ») pour les délivrer de leurs oppresseurs, mais rien n’y fait : les Israélites continuent quand même de se détourner de Dieu.

Et là on va découvrir l’histoire d’un gars qui s’appelle Abimélek : c’est le fils d’un de ces juges dont on a parlé ces dernières semaines, à savoir Gédéon. Et vous allez vite comprendre qu’Abimélek, ce n’est vraiment pas quelqu’un de bien. Abimélek, c’est un Israélite, qui va causer de gros problèmes au peuple d’Israël—et ça, ça va être assez inédit dans le livre des Juges. Dans tout cet épisode qu’on va lire, pour une fois, l’ennemi principal d’Israël, ça va être quelqu’un de l’intérieur, et qui plus est, le fils du grand juge Gédéon.

Et l’auteur raconte cette histoire pour alerter les futurs Israélites, et pour nous alerter, sur certains dangers qui nous guettent en tant que communauté de croyants. L’histoire d’Abimélek, c’est l’histoire d’une Église qui dérape, qui ne regarde plus à Dieu mais à elle-même, qui recherche des choses qu’elle ne devrait pas rechercher, qui se choisit un très mauvais conducteur, et qui va se faire beaucoup de mal à elle-même.

Et toute la leçon qu’on va en tirer pour nous aujourd’hui, c’est la suivante : à notre tour, on doit impérativement maintenir une vision de l’Église qui soit centrée sur Dieu et sur son projet plutôt que sur nous-mêmes, sans quoi on pourrait courir à la catastrophe.

On va lire le texte, qui est un peu long. Mais soyez bien attentifs à ce qui se passe. Je vous résume l’histoire en 30 secondes : Abimélek a soif de pouvoir, il écrase ses rivaux et il accède au trône par la manipulation et la violence ; les Israélites reçoivent un avertissement prophétique par rapport au danger extrême auquel ils s’exposent en suivant un tel conducteur, mais ils s’en fichent ; après quelque temps, des gens aussi bêtes et méchants qu’Abimélek vont se soulever contre lui, ce qui va provoquer une véritable guerre civile ; mais surtout, ça va provoquer la fureur d’Abimélek qui va tout détruire sur son passage ; heureusement, à la fin, c’est Dieu qui intervient pour détruire celui qui cause du tort à son peuple.

1/ Gare à l’ambition (v. 1-6)

Alors vous avez compris : on doit impérativement maintenir une vision de l’Église qui soit centrée sur Dieu et sur son projet plutôt que sur nous-mêmes, sans quoi on pourrait courir à la catastrophe.

Ce passage veut nous alerter, premièrement, sur le fait que la communauté des croyants, ça peut être le lieu de terribles luttes pour le pouvoir. Gare à l’ambition au sens péjoratif du terme—cette ambition qui peut nous faire désirer des choses qu’on ne devrait pas désirer, et nous faire agir d’une manière dont on ne devrait pas agir.

Vous avez vu ce qui se passe dans le texte (v. 1-6). Abimélek, c’est le fils de Gédéon. Gédéon l’a eu par une concubine qui habitait dans la ville de Sichem, parce qu’apparemment ses nombreuses femmes ne lui suffisaient pas (par qui il avait eu 70 autres fils). Alors Gédéon avait dû lui-même être déjà assez ambitieux et fier, parce qu’il a donné le nom « Abimélek » à Abimélek, et ce nom ça veut dire : « Mon père est roi » (cf. Jg 8.31). C’est un peu bizarre parce que Gédéon semblait avoir dit qu’il ne voulait pas régner sur Israël, mais en même temps, il appelle son fils : « Mon père est roi » !

Abimélek en tout cas, maintenant que son père est mort, il veut le pouvoir. Il a bien intégré le message de son prénom, et il estime qu’il a un droit à la succession au trône de son père. Alors regardez bien ce qu’il fait : il va se rapprocher de son clan, il va les manipuler, il va lever des fonds, il va recruter des militants (une petite milice en fait, constituée de gens « vides et violents », v. 4), et puis finalement il va éliminer tous ses concurrents, c’est-à-dire tous ses frères (en les assassinant), sauf un qui arrive à échapper : Yotam.

Et ce qui se passe au verset 6 est très significatif, quand le texte dit qu’Abimélek se fait introniser comme roi « près du chêne de la pierre dressée à Sichem ». Parce que cet endroit, c’est là où le peuple d’Israël avait juré qu’il servirait toujours l’Éternel et qu’il obéirait à sa voix, à l’époque de Josué qui avait dirigé les premières opérations de conquête de la terre promise (Jos 24). C’est la conclusion du livre qui vient juste avant le livre des Juges :

« Josué conclut en ce jour une alliance avec le peuple. […] Il prit une grande pierre, qu’il dressa là sous le chêne. […] Et Josué dit à tout le peuple : Voici, cette pierre servira de témoignage contre nous, car elle a entendu toutes les paroles que l’Éternel a échangées avec nous ; elle servira de témoignage contre vous, de peur que vous ne reniiez votre Dieu. » (Jos 24.25-27)

Donc ce qui se passe dans notre texte est très grave, et très symbolique. On a un gars qui fait des choses ultra méchantes, contraires aux voies de Dieu, par pure ambition personnelle—et tout ça est « consommé » dans un endroit pratiquement sacré qui devait normalement évoquer, au contraire, la fidélité à Dieu et à son alliance.

Ça me fait penser à ces gens qui se font prendre en photo devant des panneaux qui interdisent de faire des choses, et ils sont en train de faire justement ces choses-là. Comme par exemple fumer devant un panneau qui dit : « Interdiction de fumer ». Ou bien s’allonger dans l’herbe juste à côté d’un panneau où c’est marqué : « Pelouse interdite ». Ou peut-être un peu plus grave, ça me fait penser à la chanteuse Madonna qui en 1989 avait tourné un clip vidéo plutôt sensuel (comme à son habitude) mais dans une église, ce qui avait choqué beaucoup de gens.

Dans notre passage aussi, on a une image choquante. Un mec assoiffé de pouvoir, avec du sang sur les mains, qui prend le pouvoir en Israël avec la complicité et le soutien de nombreux Israélites—et se déroule la cérémonie ? « Près du chêne de la pierre dressée à Sichem » !

On est censé être choqué, et vraiment prendre à cœur ce texte comme un avertissement. Oui, la communauté des croyants, ça peut être le lieu de terribles luttes pour le pouvoir.

On doit faire attention, parce que en tant qu’êtres humains, par nature, on aime avoir de l’importance, de l’influence, on aime le contrôle, on aime la reconnaissance. Henry Kissinger, le diplomate et ancien secrétaire d’État américain, qui a eu 100 ans cette année, a dit dans une interview en 1976 :

« Le pouvoir est l’aphrodisiaque suprême. »

Et le truc c’est que dans l’Église comme dans tout mouvement religieux, il y a en plus un facteur spirituel, qui fait que les positions d’autorité peuvent être encore plus attrayantes, parce que ça peut nous donner une emprise encore plus grande sur les gens. C’est pour ça qu’il y a des gourous un peu partout dans le monde qui sont multi millionnaires. C’est pour ça qu’il y a des pasteurs qui sont parfois mégalos, arrogants, ultra directifs, obsédés par le contrôle, incapables de déléguer ou d’accepter la contradiction—parce que leur position d’importance les flatte. Et c’est pour ça aussi qu’il y a des gens dans les assemblées qui ne sont pas appelés par Dieu et qui ne sont pas qualifiés mais qui désirent quand même accéder à des responsabilités et à des positions d’autorité dans l’Église—parce que ça donne envie !

À cause de ça, on doit être super vigilants sur ce qui se passe dans notre cœur—surtout si on est pasteur, ou ancien, ou animateur de groupe de maison, ou référent d’un service dans l’Église. … Sauf si on a envie d’abîmer l’Église—dans ce cas, allons-y, achetons le livre d’Abimélek : Douze astuces machiavéliques pour accéder aux responsabilités dans l’Église de Jésus-Christ ! Mais regardons la suite, parce que ça ne s’arrête pas là.

2/ Gare à la naïveté (v. 7-21)

Deuxièmement, Abimélek n’a pas été intronisé sans le consentement des Israélites ! Des Israélites naïfs, qui n’ont pas été vigilants et qui se sont vite laissés éblouir par ce candidat à la royauté qui avait l’air très sûr de lui. La deuxième chose que ce passage veut nous faire comprendre, c’est que dans la communauté des croyants, c’est facile de laisser le champ libre aux fortes personnalités, mais c’est aussi extrêmement dangereux. Gare à la naïveté !

Ce que l’auteur veut viser maintenant, ce n’est pas tant les mauvaises motivations du cœur, mais la passivité des Israélites, c’est leur manque de discernement et même leur manque de volonté d’exercer le discernement devant cet Abimélek qui leur promet la lune.

Vous avez vu ce qui se passe dans le texte (v. 7-21). Yotam, le frère d’Abimélek qui a survécu, monte sur une montagne et fait un discours destiné aux responsables de la ville de Sichem, c’est-à-dire aux gens qui ont soutenu l’intronisation d’Abimélek. Et c’est une sorte de parabole. Les gens sont représentés comme des arbres de différentes espèces qui veulent que l’un d’eux règne sur eux. Or tous les bons arbres disent : « Non, non, ce n’est pas mon rôle de régner sur vous. » Mais il reste un arbre, c’est le « buisson d’épines ».

Et lui, il dit : « Moi ? Régner sur vous ? Bon, d’accord, si vous insistez ! » La moralité de cette parabole, c’est de montrer que le buisson d’épines, en réalité, c’est un opportuniste qui profite de la passivité des autres arbres—le problème, c’est que le buisson d’épines est le pire des candidats pour régner.

« Oh, si vous voulez vraiment de moi, alors venez, réfugiez-vous sous mon ombrage, sinon, je vais tous vous massacrer ! » Vous voyez ce qui se passe ? Maintenant que le buisson d’épines est roi, les autres arbres ont le choix entre deux mauvaises options : soit ils sont dociles et ça va être désagréable, soit ils se rebellent et ça va être désagréable.

Alors chez moi, dans mon jardin, j’ai malheureusement pas mal de buissons d’épines. J’ai des ronces qui poussent un peu partout, et comme je n’ai pas beaucoup de temps pour m’occuper de mon jardin, c’est assez envahissant. Mais même quand il faisait super chaud cet été, je n’ai jamais eu l’idée d’aller m’allonger à l’ombre des ronces de mon jardin ! Parce que ça doit être hyper inconfortable ! Vous imaginez aller chercher l’ombre d’un buisson de ronces ?

Donc les Israélites dans notre texte, ils se sont fait avoir. Ils ont voulu un roi, et ils ont obtenu Abimélek. Maintenant, ils sont coincés. Et Yotam leur dit : « Est-ce que vous recherchiez un roi pour de bonnes raisons ? Vous pensez que oui ? Eh bien allez-y, maintenant, profitez bien de votre nouveau roi, l’ignoble Abimélek qui va vous tyranniser ! Mais la réalité, c’est que vous n’avez pas agi de bonne foi et avec intégrité—j’en veux pour preuve votre manque de loyauté envers mon père Gédéon—et votre nonchalance, votre passivité, votre manque de discernement, ça vous a donné Abimélek, et ça va vous conduire à la catastrophe ! »

Qu’est-ce qui s’est passé ? Les Israélites n’étaient pas très vigilants, et ça a laissé le champ libre à un Abimélek. L’auteur raconte ça pour nous dire : « Faites gaffe, c’est déjà arrivé dans l’histoire du peuple de Dieu—ça peut vous arriver ! » Dans la communauté des croyants, c’est facile de laisser le champ libre aux fortes personnalités, mais c’est aussi extrêmement dangereux.

Il y a quelques années, il y a eu un Abimélek dans notre Église. Un homme qui a accédé au pouvoir dans l’Église, par la ruse, à une époque où c’était très, très compliqué de trouver des gens qui accepteraient d’assumer des responsabilités. Mais Abimélek avait un projet personnel (on l’a su plus tard), il a saisi l’opportunité, il a recruté des soutiens parmi les personnes les plus vulnérables, et il a dit : « Oh, eh bien allez, je me dévoue, moi, pour prendre ce rôle important. »

Sauf qu’une fois aux responsabilités, le buisson d’épines a révélé sa vraie nature. Soit on s’allongeait sous son ombrage et c’était une grande souffrance, soit on lui résistait et c’était une grande souffrance. C’était du perdant-perdant, à tous les coups. L’Église a tellement souffert pendant des mois et des mois qu’elle en est presque morte.

Ce n’est pas pour rien que dans le Nouveau Testament, l’apôtre Paul dit ceci à Timothée (un jeune pasteur) :

« N’impose les mains à personne avec précipitation. » (1 Tm 5.22)

C’est-à-dire : « Use de discernement et de vigilance ! Ne permets pas que des gens accèdent au pouvoir dans la communauté des croyants seulement parce qu’ils ont une forte personnalité, seulement parce que tu ne trouves personne d’autre ! »

Gare à la naïveté, donc. Troisièmement, gare à la zizanie !

3/ Gare à la zizanie (v. 22-33)

La troisième chose que ce passage veut nous faire comprendre, c’est que dans la communauté des croyants, quand notre cœur n’est pas droit devant Dieu, on finit par tomber dans les divisions et dans les conflits. Dans l’histoire de notre Église, quand Abimélek avait réussi à accéder aux responsabilités, et qu’il a révélé son jeu, on aurait dû pouvoir le virer rapidement, et protéger la communauté. Malheureusement, ça ne s’est pas passé facilement, et pourquoi à votre avis ? Parce que l’Église était divisée. Abimélek avait préparé le terrain, il avait éliminé la concurrence et il avait recruté ses mercenaires—si j’ose dire.

Et dans notre texte, l’auteur nous raconte aussi ce qui se passe quelque temps après que l’Abimélek original accède au pouvoir. « Dieu envoya un esprit de discorde » dans le peuple (v. 23). Alors cet esprit de discorde, c’est Dieu lui-même qui l’envoie parce qu’il veut juger Abimélek pour sa méchanceté, mais il veut aussi juger le peuple qui a voulu d’Abimélek. Du coup, ce n’est pas comme s’il y avait des gentils et des méchants dans le peuple. En fait, il y a deux camps, et les deux camps sont des camps de méchants.

Si vous regardez ce qui se passe dans le texte, il y a un nouveau personnage qui débarque, il s’appelle Gaal, fils de Ebed (v. 26), et l’auteur nous dit que c’est quelqu’un qui aime bien faire la fête, boire du vin, rendre un culte à des idoles, et outrager les autorités (v. 27). Et ce qui se passe, c’est que ce gars il arrive, et il sème la zizanie dans le peuple.

C’est comme dans Astérix et Obélix—dans l’album La Zizanie. Jules César envoie dans le village des Gaulois un gars qui s’appelle Tullius Détritus, qui va provoquer la discorde et les conflits au sein de la communauté. La première chose qu’il fait, ce Détritus, c’est que le jour de l’anniversaire d’Abraracourcix, le chef du village, il va offrir un cadeau précieux, non pas à Abraracourcix, mais à Astérix en lui disant qu’il est l’homme le plus important du village ! Évidemment, Abraracourcix le prend assez mal, et c’est comme ça qu’il commence à y avoir des rivalités, des jalousies, des disputes dans le village, et que la zizanie commence à se répandre, ce qui va affaiblir les Gaulois et les rendre vulnérables aux attaques des Romains.

Et dans notre texte, on a la même chose qui se passe, à peu près. Gaal arrive à Sichem, et ça commence par des paroles, par des questions qui sèment le doute, par de la propagande, et petit à petit la situation s’envenime, les positions se radicalisent—et arrivés au verset 33, la crise est consommée, les armes sont dégainées, et ça va exploser.

L’auteur nous raconte tout ça pour qu’on se dise : « Waouh, mais c’est vraiment pitoyable. Les Israélites, ils étaient censés conquérir la terre promise, déposséder les habitants qu’il y avait là-bas parce que c’étaient des gens avec des pratiques absolument abominables et cruelles ; ils étaient censés combattre les adversaires de Dieu et progresser dans l’accomplissement du projet de Dieu—mais qu’est-ce qui se passe ? Ils sont en train de faire la guerre entre eux ! »

C’est là encore un avertissement qui nous est adressé, à nous qui sommes la continuité de ce peuple de l’Éternel. Dans la communauté des croyants, quand notre cœur n’est pas droit devant Dieu, on finit par tomber dans les divisions et dans les conflits. Et on doit faire super attention à ça ! Super attention à l’esprit de discorde qui pourrait souffler à l’Église Lyon Gerland, parce qu’on aurait perdu de vue le projet de Dieu et notre place dans ce projet.

Quelqu’un m’a dit récemment : « Tu sais, j’ai remarqué que Denis (un des anciens), il se permet de recadrer certains ados quand ils rigolent pendant la prédication, comme Étienne le fils du pasteur—mais Denis, il ne dit jamais rien à Marie-No quand elle rigole. Je ne trouve pas ça très juste, qu’est-ce que tu en penses, toi ? Il n’y aurait pas un peu deux poids deux mesures ? »

Eh bien vous savez, en racontant ça, je crois que j’ai mis mal à l’aise Denis, Marie-No, et mon fils Étienne ! Et il y en a qui se demandent : « Mais qui c’est qui a rapporté ça à Alex ? » Et d’autres se disent : « Ah oui, c’est vrai après tout, je n’y avais pas pensé ! » Mais rassurez-vous, si je me suis permis de raconter ça, c’est parce que je sais que Denis n’est pas susceptible, contrairement à d’autres anciens dans l’Église qui se seraient offusqués.

Est-ce que vous voyez que je suis en train de faire mon Tullius Détritus ? Ou mon Gaal, fils de Ebed ? Gare à la zizanie, vous comprenez ? Ça peut arriver facilement. Gare à la discorde, aux divisions, aux conflits, qui arrivent quand notre cœur ne s’attache pas à ce qui est le plus important. Et on va y revenir dans un instant. Mais avant ça, quatrièmement : gare à la colère !

4/ Gare à la colère (v. 34-49)

Ce que ce passage veut nous dire aussi, c’est que dans la communauté des croyants, parfois les conflits peuvent être si violents qu’on va s’auto-détruire.

Et ce qui se passe dans notre texte est vraiment horrible (v. 34-49). On n’a pas le temps de tout regarder dans le détail, mais en gros ce qui se passe, c’est que Abimélek, il pète les plombs. On a la description dans ces versets d’un homme absolument furieux. Il rassemble des troupes pour faire la guerre à Gaal qui a osé l’insulter (v. 34-38). Gaal essaie de se défendre, mais il se fait écraser et chasser de Sichem (v. 39-41). Mais ça ne suffit pas pour calmer Abimélek : il va poursuivre le peuple, assiéger la ville, tuer tout le monde et répandre du sel dans la ville, ce qui symbolise la « stérilisation » de la ville (c’est une forme de malédiction rituelle, v. 42-45). Il y a des gens qui se réfugient dans « la cave de la maison du dieu Berith », eh bien Abimélek va y mettre le feu et tuer tout le monde (v. 46-49).

« Ainsi périrent tous les gens de la citadelle de Sichem, au nombre d’environ mille, hommes et femmes. » (v. 49)

Voilà l’effet de la fureur d’Abimélek. Il a rasé Sichem, sa ville natale. Il a tué les gens qui l’avaient voulu comme roi au départ.

Quand on arrive là dans le texte, on est censé secouer la tête. Comment est-ce qu’on en est arrivé là ? Les Israélites ont été délivrés de l’esclavage en Égypte par Dieu, par sa grâce, par la force de son bras, et il les a conduits dans le désert jusqu’à la terre promise. Et là, Dieu leur dit : « Voilà, je vous donne ce merveilleux territoire. Allez-y, prenez possession du pays, je le livre entre vos mains. Les nations d’ici méritent d’être dépossédées parce qu’elles font des trucs absolument horribles. Faites-leur la guerre et je vais vous donner la victoire parce que je suis avec vous. Mon projet consiste à vous donner ce pays pour que vous y viviez, pour que vous y prospériez, et pour que vous rayonniez de manière à ce que toutes les nations de la terre voient la justice et la paix, qui procèdent de la foi que vous avez en moi, et de cette relation d’alliance qui existe entre vous et moi. »

Mais à la place, qu’est-ce qu’on a ? Un Abimélek vert de rage. Un anti-juge, un anti-libérateur, qui au lieu de faire la guerre aux ennemis d’Israël, fait la guerre à Israël ! On a un peuple de Dieu qui est en train de faire exactement l’inverse de ce à quoi il était appelé, et il n’a même pas besoin de l’aide de ses ennemis pour ça !

Vous savez, je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé de sortir de vos gonds, comme on dit. À un moment-donné, vous craquez sous le stress ou la frustration, et vous vous énervez vraiment. Et parfois, quand ça arrive, on peut avoir des gestes brusques et incontrôlés qui peuvent provoquer des dégâts qu’on regrette après. Comme donner un coup de poing dans le mur, ou jeter un objet précieux par terre. Quand on est au volant de sa voiture, ça peut être super dangereux de sortir de ses gonds—et la violence routière, c’est vraiment un phénomène bizarre qui peut faire peur, parce que ça peut avoir de graves répercussions.

Quand on est pris de colère, on ne mesure pas sur le moment les dégâts qu’on est en train de causer. Et dans notre texte, les Israélites sont aveuglés par le conflit. Et ça peut être pareil dans l’Église aujourd’hui. Dans la communauté des croyants, parfois les conflits peuvent être si violents qu’on va s’auto-détruire. Mais sur le moment, on ne s’en rend pas compte.

On doit être ultra vigilant. On doit faire attention. Et dans quelques instants, je vais donner quelques pistes pour qu’on sache comment éviter de tomber dans la situation des Israélites de notre texte. Mais d’abord regardons la fin de l’histoire.

5/ Gare à la malédiction (v. 50-57)

Cinquièmement, gare à la malédiction. La dernière chose qu’on voit dans ce passage, c’est que même si nous on est infidèle, eh bien Dieu, lui, va toujours demeurer fidèle à son alliance, c’est-à-dire que Dieu va de toute façon réaliser toutes ses promesses. Et ça, en fait, ça peut être une bonne ou une mauvaise nouvelle pour nous. Une bonne nouvelle si notre foi est en Dieu et qu’on aime Dieu et qu’on se repose sur lui ; mais une mauvaise nouvelle si on se détourne de lui et qu’on fait le jeu des adversaires de Dieu et de son projet.

Regardez ce qui se passe dans le texte (v. 50-57). Abimélek est vraiment pris dans une spirale de colère. Il a détruit Sichem, mais ça ne lui suffit pas, il passe à la ville d’à-côté, Tébets. Là aussi il veut tuer tout le monde, sauf que cette fois, une femme lui jette un morceau de meule de moulin depuis le haut de la citadelle et ça lui fracasse le crâne (v. 53).

Et là, l’auteur du texte, il va se faire plaisir. Il raconte qu’Abimélek demande à son porteur d’armes de l’achever, parce qu’il ne veut pas qu’on sache que c’est une femme qui l’a tué—parce que ça, ce serait trop humiliant. « Vraiment, le grand et redoutable Abimélek, il est mort parce qu’une femme lui a jeté un morceau de meule de moulin sur la tête ? Mais c’est tellement ridicule ! » Abimélek ne veut surtout pas qu’on le sache et qu’on se souvienne de lui comme ça. Alors son porteur d’armes l’achève avec son épée.

Sauf que vous avez saisi l’ironie. L’auteur nous raconte comment il est mort. C’est consigné pour toujours dans les textes sacrés d’Israël. Tous les croyants de tous les siècles qui vont lire ce texte, et toutes les Églises où on va prêcher sur le livre des Juges—tout le monde saura qu’Abimélek est mort parce qu’il s’est pris une pierre sur la tête, qu’une femme lui a jetée.

Et en fait, ce qui se passe ici, c’est que l’auteur se moque d’Abimélek, et c’est une façon de souligner la malédiction et le jugement de Dieu qui se sont abattus sur lui. Abimélek a été vaincu, éliminé et humilié par Dieu, par l’intermédiaire d’une femme qui lui a écrasé la tête. Et il y a sûrement une allusion ici à la promesse que Dieu avait faite bien des siècles auparavant, de vaincre son adversaire ultime, le diable, par le moyen d’une femme dont la descendance un jour lui écraserait la tête (Gn 3.15).

Non seulement ça, mais dans notre texte, le peuple lui-même qui était au départ complice d’Abimélek, qui avait désiré l’avoir pour roi—le peuple aussi a été jugé et maudit par Dieu. La conclusion de l’auteur est très claire :

« Ainsi s’accomplit sur eux la malédiction de Yotam, fils de Yeroubbaal. » (v. 57)

Et finalement on a un truc super intéressant qui se passe dans le texte. Au tout début du chapitre, l’histoire a commencé par : « Abimélek, fils de Yeroubbaal », et maintenant elle se termine par : « Yotam, fils de Yeroubbaal ». Finalement cette histoire, c’est l’histoire de deux frères, et la question qui nous est posée, c’est : « Et toi, tu es dans le camp duquel des deux ? Dans le camp d’Abimélek le narcissique, dont le nom signifie ‘mon père est roi’, ou dans le camp de Yotam le petit dernier, dont le nom signifie ‘L’Éternel est parfait’ ? »

Le texte est en train de nous montrer que même quand nous, les humains, on est infidèles, et qu’on fait tout pour faire capoter le projet de Dieu, eh bien Dieu, lui, demeure fidèle à son alliance, il demeure fidèle à ses promesses, et rien ni personne ne pourra l’empêcher d’accomplir son projet. « L’Éternel est parfait ! » Il est complet, il se suffit à lui-même.

Et ça, c’est super important, parce que le livre des Juges, c’est l’histoire d’une catastrophe du point de vue des humains. Le peuple élu de Dieu, censé être le vecteur de la bénédiction de Dieu au monde, se retourne contre Dieu et contre lui-même et s’enfonce de plus en plus dans le mal et dans l’auto-destruction. Et ce n’est pas seulement l’histoire du livre des Juges, c’est aussi l’histoire de tout l’Ancien Testament—et même de toute l’humanité.

Mais Dieu demeure fidèle à son projet qui consiste à réparer le monde et à se constituer un peuple pour habiter ce monde dans la communion avec lui et les uns avec les autres—et pour réaliser ce projet, c’est Dieu lui-même qui va se rapprocher des humains, par Jésus-Christ. Dieu prend la nature d’un homme, et il vient s’offrir lui-même sur la croix pour expier les fautes de son peuple. Il se substitue à tous les croyants, de façon à ce que les péchés des croyants soient portés par lui sur la croix, et que sa justice à lui leur soit donnée en échange.

Le troisième jour, Jésus est ressuscité en vainqueur sur le mal et sur la mort. Nos péchés, si on est croyant, sont restés dans la tombe, ils ont été jetés dans l’abîme parce que la dette morale qu’on devait à Dieu a été réglée complètement et définitivement par l’offrande de Jésus sur la croix. Et par sa résurrection, Jésus (la descendance promise) a écrasé (fracassé) la tête du diable qui est l’adversaire ultime de Dieu et des croyants.

Et tout ce qu’il y a à faire pour passer du camp d’Abimélek au camp de Yotam, c’est se confier en Jésus. Tout ce qu’il y a à faire pour que la fidélité de Dieu à son alliance et à ses promesses soit une bonne nouvelle pour nous et pas une mauvaise nouvelle, c’est nous reposer sur Jésus et nous réfugier en lui.

Mais j’ai été super long et je veux conclure rapidement avec quelques pistes pratiques.

Je l’ai dit au début : il n’y a rien de plus important comme institution sur terre, que l’Église chrétienne. Mais en même temps, il en faudrait peu pour que notre Église—l’Église Lyon Gerland—éclate en mille morceaux et disparaisse du jour au lendemain. Est-ce que vous avez envie que ça arrive ? J’espère que non, si vous avec conscience du rôle éminemment important que Dieu destine à son Église ici-bas.

Eh bien si on ne veut pas que ça arrive, ce qu’on a vu dans notre texte aujourd’hui, c’est justement qu’on doit impérativement maintenir une vision de l’Église qui soit centrée sur Dieu et sur son projet plutôt que sur nous-mêmes, sans quoi on pourrait courir à la catastrophe. Il faut qu’on fasse l’inverse des Israélites dans notre texte.

Alors si on veut finir avec Yotam et pas avec Abimélek, on n’a qu’à faire un peu de rétro-planning. D’abord, gare à la malédiction. Dieu va de toute façon accomplir son projet, et il nous en a donné une preuve digne de foi en ressuscitant Jésus après sa mort sur la croix. Est-ce que notre foi est en lui, et est-ce qu’on se rend compte qu’il n’y a rien de plus important sur le plan de notre existence que de savoir si notre foi est en lui ?

Il n’y a rien de plus important, parce que sans Jésus, on est perdu et c’est ce qu’on mérite par nature. Du coup, on ne devrait pas se mettre en colère quand on est déçu ou vexé, parce qu’on est émerveillé par la grâce qui nous a été faite, et on peut donc se faire grâce les uns aux autres. De cette façon aussi, on peut éviter la zizanie dans l’Église, parce que si notre attention est centrée sur l’Évangile comme on aimerait qu’elle le soit dans la vie de l’Église Lyon Gerland comme dans notre vie de piété personnelle, eh bien toutes nos susceptibilités devraient être radicalement relativisées (je vous recommande à ce sujet le livre de James Hutchinson, Sacrés désaccords, chez BLF).

Du coup, avec notre attention centrée sur l’Évangile et sur la mission que Dieu nous confie de proclamer cet Évangile au plus grand nombre, eh bien on peut éviter la naïveté d’une Église sans discernement, sans vigilance, qui accepte que n’importe qui prenne des responsabilités dans la communauté—et au contraire, on va faire attention à comment la communauté des croyants est dirigée, en prenant très à cœur les qualifications que les responsables devraient avoir selon la Parole de Dieu. On va faire très attention que dans l’Église, on ne soit pas motivé par l’ambition personnelle, mais par la volonté, par-dessus tout, d’être fidèle à la vocation que Dieu nous a adressée, pour sa gloire et dans l’intérêt de notre prochain.

Il n’y a rien de plus important comme institution sur terre, que l’Église chrétienne, et on devrait en prendre soin comme si l’avenir du monde en dépendait.

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