Combien de fois est-ce que j’ai entendu cette objection de la part d’un non-croyant à qui je venais d’expliquer le message de la Bible ? « Mais c’est trop facile ! Alors comme ça on peut faire tout le mal qu’on veut, et après, il suffit de demander pardon à Dieu, et tout est effacé, et on va aller au paradis, et on n’a rien d’autre à faire ? C’est trop facile ! »
C’est vrai que ça paraît choquant, n’est-ce pas ? Intuitivement, on se dit qu’il faut quand même qu’on fasse quelque chose pour obtenir la faveur de Dieu. Si on a conscience de la distance qui nous sépare de Dieu, on ne peut pas supposer que cette distance puisse être franchie sans qu’un effort soit fourni, sans qu’un prix soit payé, sans qu’une œuvre quelconque soit réalisée pour ça. Ça ne peut pas être gratuit ! C’est trop facile !
Et en fait, c’est vrai (si on se fie à l’enseignement de la Bible) : c’est vrai que pour obtenir la faveur de Dieu, un effort doit être fourni, un prix doit être payé, une œuvre doit être accomplie—simplement, nous, on n’a tout simplement pas les moyens de le faire, c’est pourquoi c’est quelqu’un d’autre qui le fait pour nous.
Et ça, c’est vraiment le message central de toute la Bible : c’est que Dieu s’occupe de tout accomplir pour que nous, les humains, on puisse faire l’objet de sa faveur complète, pour toujours, si on se repose simplement en lui. Autrement dit, oui, la faveur de Dieu c’est quelque chose qu’on reçoit gratuitement—mais c’est gratuit pour nous, pas pour Dieu ! Ou inversement, c’est quelque chose qui a un coût—mais un coût pour Dieu, pas pour nous !
Or, on a tellement de mal à l’accepter, ça. On a du mal à accepter que la faveur de Dieu, ça ne s’achète pas—tout simplement parce qu’on n’a pas les moyens de l’acheter ! Elle est trop chère pour nous. Et on a du mal à accepter que Dieu puisse nous accorder pleinement un cadeau si cher (littéralement hors de prix), sans qu’on n’ait rien à contribuer, sans nous demander la moindre participation aux frais.
Il est possible aujourd’hui que vous cherchiez à avoir une relation avec Dieu en multipliant les efforts : peut-être que vous vous dites que vous devez accomplir un certain nombre de rites religieux, vous devez pratiquer l’aumône envers les pauvres, vous devez réciter certaines prières (peut-être même à certaines heures de la journée) pour pouvoir compter sur la faveur de Dieu. La plupart des religions enseignent ce genre de chose. J’espère que vous allez voir aujourd’hui qu’en fait, d’après la Bible, il est impossible pour nous de fournir un effort suffisant pour obtenir la faveur de Dieu.
Mais peut-être que vous êtes un chrétien et que vous croyez intellectuellement à ce concept—que Dieu accorde pleinement sa faveur aux croyants, de manière gratuite pour nous. Mais malgré tout, vous ressentez de la pression chaque jour pour faire un petit quelque chose, quand même ! Au fond, vous n’arrivez pas à vous défaire de l’idée qu’il y a quand même un petit peu du donnant-donnant dans votre relation avec Dieu.
Si vous vous dépensez à fond dans le service à l’Église, ou auprès de votre famille, si vous donnez généreusement de votre argent et si vous accueillez dans votre maison, si vous passez beaucoup de temps dans la prière et dans la lecture de la Bible, si vous arrivez à maintenir un certain niveau de probité morale, si vous témoignez beaucoup de Dieu à votre entourage, alors certainement que Dieu va vous être un petit peu plus favorable, non ? Certainement que Dieu veut au moins quelque chose de notre part en échange de sa faveur !
Eh bien non. La faveur de Dieu envers les croyants est déjà entièrement payée—ce qui veut dire que cette faveur ne peut pas augmenter, ni diminuer, quoi qu’on veuille y faire, nous. La faveur de Dieu n’est pas à vendre ; non seulement elle est beaucoup trop chère pour nous, mais en plus, comme je l’ai dit, elle a déjà été entièrement payée par quelqu’un d’autre, au profit des croyants.
Et j’espère vous montrer que ça, c’est la leçon principale du texte qu’on va lire et étudier dans un instant. C’est une histoire très perturbante—mais le point de départ de cette histoire, c’est un croyant qui s’appelle Jephté, et qui va promettre quelque chose à Dieu en échange de sa faveur. Jephté, c’était un chef militaire en Israël, et on a vu la dernière fois que c’était un personnage positif et exemplaire—mais ce Jephté, maintenant, dans un élan d’enthousiasme religieux, va faire une promesse inconsidérée à Dieu, en supposant qu’il y avait besoin de ça pour que Dieu lui soit favorable. Et comme vous allez le voir, ça va très mal tourner.
Si vous êtes choqué par cette histoire, c’est exprès. L’auteur la raconte pour frapper les esprits, pour qu’on en tire une leçon très, très importante : c’est qu’on n’aura jamais les moyens d’acheter la faveur de Dieu, mais heureusement pour nous, Dieu a voulu nous l’offrir pleinement, à ses propres frais.
Alors oui, c’est une histoire très perturbante—et comme je l’ai dit, si on est choqué, si on est interloqué, si on est un petit peu ébranlé, c’est normal ! Le texte vise à nous faire cet effet-là, pour nous communiquer avec force son message. Et il y a trois choses qui doivent nous frapper dans cette histoire : d’abord, l’erreur monumentale de Jephté, ensuite, la foi monumentale de sa fille, et enfin, la providence monumentale de Dieu.
Alors on va prendre les choses dans l’ordre. D’abord, l’erreur monumentale de Jephté. La première chose que ce texte veut nous faire comprendre—et je pense que c’est tout-à-fait évident à la lecture du texte—c’est qu’on doit faire attention de ne pas importer dans notre relation avec Dieu des choses que Dieu n’a pas voulues.
Qu’est-ce qui se passe dans notre histoire ? Jephté s’apprête à combattre les Ammonites, ces gens qui étaient en train d’opprimer les Israélites (cf. Jg 10.7-9). Au début de notre passage, tout se présente plutôt bien pour lui. Au verset précédent, l’auteur nous dit que « l’Esprit de l’Éternel » était sur lui (v. 29). Jephté a démontré sa grande connaissance de l’histoire sacrée d’Israël en rappelant pourquoi Israël était légitimement propriétaire du territoire dont l’occupation était contestée par les Ammonites. Il s’en est référé à l’Éternel, le juge suprême, et il a démontré sa grande loyauté à l’Éternel et à son alliance. Les anciens de Galaad l’ont appelé pour être leur chef, ils veulent de lui et le soutiennent.
Donc le texte nous a présenté un héros qui va agir au nom de l’Éternel, et on avait dit qu’il n’y avait pas vraiment de suspense. Évidemment qu’il va gagner contre les Ammonites. Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Tout d’un coup, Jephté propose un marché à Dieu (v. 30-31). « Fais-moi gagner contre les Ammonites, et en échange, la première chose qui sortira de ma maison à mon retour de la bataille, je te l’offrirai en sacrifice. »
Jephté dit bien : « Je l’offrirai en holocauste », c’est-à-dire en sacrifice entièrement consumé par le feu. Un animal offert en holocauste, par exemple, c’est un animal qu’on aurait d’abord consacré à Dieu, puis qu’on aurait égorgé pour le tuer, puis dont on aurait répandu le sang sur un autel (c’est-à-dire sur une sorte de grande table ou de plateforme où on devait déposer les sacrifices) ; ensuite, on aurait pris la dépouille de l’animal et on l’aurait coupée en morceaux, on aurait lavé les entrailles de l’animal et ses pattes, et ensuite on aurait tout mis sur l’autel, on aurait allumé un feu et on aurait tout brûlé (cf. Lv 1).
Donc Jephté promet un sacrifice conséquent à Dieu, en échange de la victoire sur les Ammonites. Il est possible que Jephté ait pu supposer que ce serait peut-être un animal, justement, qui sortirait en premier de sa maison à son retour de la bataille, mais la manière dont il formule son vœu laisse plutôt entendre qu’il admet au moins la possibilité que ce soit une personne humaine : « ce qui sortira des portes de ma maison à ma rencontre » (v. 31).
Qu’est-ce qui lui prend, à Jephté, de faire une promesse qui pourrait le conduire à devoir faire un sacrifice humain—ce qui était absolument interdit dans la religion d’Israël ?
À mon avis, ce qui lui prend, à Jephté, c’est qu’il est grisé en quelque sorte par la situation qu’il est en train de vivre. Les choses se présentent bien pour lui, il s’excite, il s’emballe et il dérape. Il se dit : « On va vivre un truc énorme avec Dieu, il faut que moi aussi je fasse un truc qui soit à la hauteur, il faut que j’y mette du mien, il faut que je mette quelque chose de conséquent sur la table en échange de la faveur de Dieu. »
Ça semble très spontané comme démarche chez Jephté, n’est-ce pas ? D’ailleurs, un peu plus loin dans le texte, quand il va regretter sa promesse, il va dire : « Ah, j’ai ouvert la bouche devant l’Éternel [ou j’ai trop ouvert la bouche, ou j’ai prononcé un vœu, selon les traductions], et je ne puis revenir en arrière ! » (v. 35) Autrement dit : « J’ai parlé sans réfléchir, sans mesurer ce que je disais ! »
Ça vous est déjà arrivé, de parler trop vite ? De dire quelque chose dans la spontanéité, sans y avoir réfléchi avant, et de le regretter après ? Je pense à ce qu’on peut se dire parfois sur des tchats comme sur WhatsApp ou par SMS. On discute d’un truc, on lance une petite blague, on fait un jeu de mots, on répond du tac au tac, on envoie un emoji, et là, plus de réponse. On regarde : « Message reçu à 11h23 ; message lu à 11h24. » Et il est 11h36 et toujours pas de réaction ? Mince ! Je n’aurais pas dû dire ça, c’était un peu exagéré, ça manquait de douceur, j’aurais dû réfléchir avant, mais là c’est trop tard, je ne peux pas retirer ce que j’ai dit !
Eh bien Jephté, il n’avait pas de smartphone, mais c’est un peu ça qu’il a fait, en communiquant avec Dieu. Il s’est un peu emballé, il a parlé sans réfléchir ; et dans cette impulsivité, pendant un très court instant, il a pensé pouvoir acheter la faveur de Dieu en échange d’un sacrifice, voire même d’un sacrifice humain. Autrement dit, Jephté a envoyé son texto trop vite, et en le relisant, il s’est rendu compte qu’il s’était adressé à l’Éternel comme si l’Éternel était un dieu païen. Jephté a parlé comme un Ammonite.
Le texte est très clair : évidemment que le vœu de Jephté est un mauvais vœu. Dieu n’approuve pas son vœu, non seulement parce que Dieu est absolument contre les sacrifices humains (c’est-à-dire le fait pour un humain de tuer un autre humain pour obtenir en échange la faveur d’une divinité), mais en plus, Dieu n’a jamais rien demandé à Jephté ! Et Jephté qui semblait bien connaître l’histoire d’Israël devait savoir que Dieu dispensait sa faveur de manière souveraine et pas du tout en échange d’offrandes ou de sacrifices ou de performances particulières de la part des humains.
Et ça, c’est le premier point. On peut être tenté de penser que notre relation avec Dieu, c’est du donnant-donnant. Mais on doit faire attention de ne pas importer dans notre relation avec Dieu des choses que Dieu n’a pas voulues ! On doit faire attention de ne pas s’imaginer—même un court instant—que Dieu est comme nous, qu’il peut se laisser séduire, qu’on peut lui tordre un peu le bras, qu’on peut l’obliger de quelque façon que ce soit.
On doit faire attention de ne pas plaquer sur le vrai Dieu—le Dieu de la Bible—la perception qu’on a des faux dieux, qui sont les dieux des autres religions. Une perception qui nous plaît inconsciemment parce qu’on aimerait bien avoir un levier sur Dieu. Une perception d’après laquelle Dieu nous dirait : « Si tu démontres suffisamment ton dévouement, et de manière assez convaincante, alors je m’engage à te bénir en retour. » Mais Dieu n’est pas comme ça.
On doit s’approcher de Dieu de la manière dont lui, a voulu—parce qu’il est Dieu, le vrai Dieu ! Notre relation à lui est définie par lui. On ne doit pas ajouter des choses qui procéderaient de notre intuition, de notre imagination, ou de la culture environnante. Comme le dit l’apôtre Paul dans le Nouveau Testament, qui exhorte ses destinataires à « ne pas aller au-delà de ce qui est écrit » (1 Co 4.6), c’est-à-dire au-delà de ce que Dieu a voulu nous faire connaître. Parce qu’il y a un vrai danger à ajouter nous-mêmes des conditions, des lois, des règles, des exigences, des contraintes pour pouvoir obtenir la faveur de Dieu.
Il y a un danger pour nous-mêmes, qui est de vivre sous la tyrannie de la performance perpétuelle, et de se sentir perpétuellement stressé, coupable et déçu—ce qui n’est pas la volonté de Dieu pour nous. Et il y a un danger pour les autres, si on devait répercuter cette façon de penser dans l’Église notamment, et ce danger serait de lier la conscience des gens par des choses que Dieu n’a pas demandées, et en fin de compte, de leur barrer l’accès à Dieu—de leur fermer la porte du royaume, comme Jésus l’a reproché aux Pharisiens (Lc 11.52) !
Alors comment est-ce qu’on obtient la faveur de Dieu ? Comment est-ce que Dieu a défini la relation qu’on pouvait avoir avec lui ? Qu’est-ce que Dieu a voulu, si ce n’est pas une quelconque performance de notre part ? On va y venir dans un instant, mais avant cela, il y a une deuxième chose qui doit nous frapper dans ce récit, après l’erreur monumentale de Jephté : c’est la foi monumentale de sa fille.
La deuxième chose que ce texte veut nous faire comprendre, en effet, c’est en quelque sorte l’inverse, finalement, du premier point : c’est qu’au lieu d’importer dans notre relation avec Dieu des choses que Dieu n’a pas voulues, on devrait plutôt se satisfaire d’être entièrement suspendus à son bon vouloir, sans rien exiger de lui.
C’est une posture radicale, mais c’est la posture qui convient à celui qui s’intéresse sincèrement à Dieu. Quelle autre posture conviendrait devant le vrai Dieu, le créateur souverain du ciel et de la terre, à qui toutes choses sont suspendues ? Et la radicalité de cette posture nous est illustrée dans notre passage par l’attitude de la fille de Jephté, qui s’inscrit en contraste total avec le moment d’égarement impulsif de son père.
Qu’est-ce qu’on voit dans le texte ? D’abord, elle est la première à sortir à la rencontre de son père qui revient de la bataille—elle se réjouit de la victoire que l’Éternel a donnée aux Israélites. Ensuite, elle consent au vœu de son père, par lequel il était lié vis-à-vis de l’Éternel (v. 36 : « Agis envers moi selon ce qui est sorti de ta bouche, maintenant que l’Éternel t’a vengé de tes ennemis, les Ammonites. »). C’est la preuve que la relation à l’Éternel est extrêmement importante pour la fille de Jephté.
Ensuite, elle demande un délai pour pleurer, non pas sur le fait qu’elle va mourir, mais sur le fait qu’elle n’aura pas de descendance pour perpétuer sa lignée, et du coup, Jephté non plus n’aura pas de descendance. Et ça, c’est un plus grand malheur que mourir, dans le contexte de l’époque. Ça veut dire qu’une branche de cette grande dynastie sacrée qu’est Israël va demeurer sans fruit.
On découvre aussi, en lien avec ce point-là, que la fille de Jephté est semble-t-il en âge de procréer, mais qu’elle est célibataire, chaste et vierge—elle n’a jamais connu d’homme (v. 39), et ça c’est remarquable pour la petite-fille d’une prostituée qui a grandi en marge de la société (cf. Jg 11.1) Symboliquement, c’est le signe de sa pureté et de sa piété.
Enfin, et c’est peut-être le plus poignant, au verset 39, il est dit qu’« au bout des deux mois, elle revint vers son père, et il accomplit sur elle le vœu qu’il avait fait. » Elle revint vers son père. Elle aurait pu faire comme Moïse et s’enfuir dans un autre pays. Elle aurait pu se cacher avec ses amies et ne jamais revenir, puisque le vœu qu’avait prononcé Jephté était un vœu téméraire, un mauvais vœu, un vœu qui l’engageait à commettre une chose horrible. Mais elle revient, par égard pour le vœu qui a été prononcé devant l’Éternel, par égard pour la conscience de son père, et dans une posture de docilité et d’extrême confiance devant la souveraine providence de Dieu. (On va revenir sur ce point dans quelques instants).
Et en fait, ce qui est incroyable dans cette histoire, c’est que la foi monumentale de la fille de Jephté, relativise ou diminue, en quelque sorte, la culpabilité de Jephté devant son erreur monumentale. Parce que le sacrifice de sa fille, au lieu d’être un meurtre, est devenu un sacrifice volontaire, un sacrifice consenti par elle, par la foi. Vous voyez ce que je veux dire ?
On aurait pu avoir une scène horrible ici, si la fille de Jephté avait refusé, si elle s’était débattue, si elle avait hurlé, si elle avait essayé de se cacher ou de s’enfuir—et si Jephté avait dû la faire poursuivre, la capturer, la bâillonner avant de la traîner vers l’autel pour « accomplir sur elle le vœu qu’il avait fait », comme le texte le dit avec pudeur.
Mais au lieu de ça, la fille de Jephté s’offre volontairement, elle se donne elle-même, et en faisant ça, elle délie la conscience de son père. Alors ça finit quand même de manière très triste, mais il y a une sorte de solennité sobre, pesante et digne à la fois, qui entoure la fin de ce passage. Le souvenir de la fille de Jephté sera même rappelé tous les ans, quatre jours par ans, tellement sa piété a laissé une impression forte (v. 40).
Un peintre lyonnais du 17ème siècle, du nom de Thomas Blanchet, a représenté en tableau le moment où Jephté va égorger sa fille sur l’autel. Ce tableau se trouve au musée des beaux-arts à Lyon, je l’ai vu il y a quelques semaines, et je l’ai trouvé assez bouleversant. Tout le monde est triste dans ce tableau. Tout le monde est triste, mais dans une sorte de résignation pieuse. Il y a un énorme sentiment collectif de regret et de perte, qui émane de la toile. Mais ce qui me tue, moi, c’est le regard de Jephté, tourné vers le ciel, dans l’attente, peut-être, d’une intervention de Dieu.
En fait, ça doit nous faire penser à une autre scène de la Bible où un homme a dû brandir un couteau au-dessus de la gorge de son enfant unique, déposé en offrande sur un autel. C’est la fameuse histoire du sacrifice d’Isaac, par son père Abraham. Sauf qu’entre les deux histoires, tous les rôles sont inversés.
Dans l’histoire d’Abraham, c’est Dieu qui demande le sacrifice, alors que dans notre histoire, c’est Jephté qui le propose, à travers un vœu imprudent. Dans l’histoire d’Abraham, l’enfant, Isaac, est pris par surprise et il n’est pas consentant, c’est pourquoi le texte précise qu’il est ligoté sur l’autel (Gn 22.9), mais dans notre histoire, la fille de Jephté consent par la foi à s’offrir elle-même en sacrifice (d’ailleurs c’est une erreur à mon avis de la représenter sur le tableau avec les mains attachées dans le dos—semble-t-il).
Et dans l’histoire d’Abraham, Dieu intervient au dernier moment pour arrêter la main d’Abraham et pour fournir à Abraham un animal comme sacrifice de substitution à la place d’Isaac ; mais dans notre histoire, Dieu n’intervient pas. Je ne sais pas combien de temps Jephté est resté comme ça, le regard tourné vers le ciel. Je me demande combien de fois, en plongeant le poignard vers sa fille, il a arrêté lui-même le mouvement de son bras à quelques centimètres de sa gorge, en espérant que cette histoire se terminerait autrement.
Mais dans tout ça : la foi monumentale de sa fille. Et c’est vraiment ça que je veux retenir dans ce deuxième point. On peut être tenté de penser que Dieu peut nous devoir des choses en retour de notre fidélité, de notre consécration, de notre discipline. Comme Jephté qui a pensé momentanément pouvoir obliger Dieu. Mais on devrait plutôt se satisfaire d’être entièrement suspendus à son bon vouloir, sans rien exiger de lui. Comme la fille de Jephté.
La différence entre Jephté et sa fille, c’est que Jephté a voulu offrir quelqu’un d’autre en sacrifice à Dieu pour obtenir quelque chose de la part de Dieu ; la fille de Jephté, elle, s’est donnée elle-même en sacrifice, comme offrande volontaire, sans rien attendre en retour.
Si vous vous intéressez à Dieu, si vous avez envie d’être en relation avec lui, que vous soyez juste en train de découvrir la foi ou que vous soyez croyant depuis longtemps, est-ce que vous êtes prêt à tout lâcher devant Dieu ? À tout déposer à ses pieds ? À vous remettre à lui sans réserve et sans rien attendre en retour—tout simplement parce qu’il est Dieu, il est votre créateur, il est juste, sage, saint, suprême et irrésistible. Il est le potier, vous êtes l’argile. Tout est de lui, par lui et pour lui, à lui la gloire dans tous les siècles, amen !
Est-ce qu’on est prêt, non seulement à ne pas chercher à marchander avec Dieu comme Jephté, mais au contraire, à lui faire pleinement confiance, comme sa fille, au point de dire à Dieu : « Voici ma vie-même, elle t’appartient, et tu ne me dois rien en retour. » ?
L’erreur monumentale de Jephté, et la foi monumentale de sa fille. Mais il reste une question à laquelle on n’a pas répondu. On a compris qu’on ne pouvait pas faire en sorte que Dieu nous soit redevable de quoi que ce soit—qu’on ne devait même pas essayer, même pas y penser ! Et on a compris, au contraire, que la posture qui convient, si on veut être en relation avec Dieu, c’est plutôt celle d’une humble dépendance—être suspendu à son bon vouloir, sans rien exiger de lui. Mais la question qui demeure, c’est : est-ce qu’il est possible quand même d’avoir sa faveur, et si oui, quels sont les moyens par lesquels c’est possible ?
Et c’est l’objet de ce dernier point : la providence monumentale de Dieu. Ça aussi, c’est un truc qui doit nous frapper dans ce récit. La dernière chose que ce texte nous fait comprendre, en effet, c’est que c’est possible d’avoir la faveur de Dieu, mais à un prix que lui seul peut payer. Et ça, c’est justement par sa providence que Dieu le révèle dans cette histoire.
Reprenons une dernière fois ce qui se passe. Jephté a voulu s’assurer la faveur de Dieu. Du coup, il fait une promesse, mais sa promesse n’est pas complète : « Donne-moi la victoire sur les Ammonites, Seigneur, et en échange, je t’offrirai en sacrifice ce qui sortira en premier de ma maison à mon retour de la bataille ! » Mais Jephté ne dit pas qu’est-ce que c’est qu’il compte offrir à Dieu en échange de sa faveur. Il laisse ouvert le choix de ce sacrifice.
Or Jephté, en faisant ça, à qui est-ce qu’il laisse le choix de ce qui sera offert en sacrifice ? Il le laisse à Dieu, qui gouverne toutes choses par sa providence. C’est l’Éternel, le Tout-puissant, qui va décider de ce qui sortira en premier de la maison de Jephté à son retour de la bataille. Ce n’est pas le hasard qui va décider.
C’est un peu comme si vous vouliez acquérir un objet que vous rêvez de posséder, mais cet objet est très difficile à trouver. Imaginons, par exemple, le local idéal pour notre Église. Très difficile à trouver. Or un jour, vous rencontrez quelqu’un qui possède ce bien—et très vite, forcément, vous lui demandez s’il serait disposé à vous le vendre. Vous voyez qu’il hésite un peu, qu’il réfléchit, alors vous vous jetez à l’eau, et vous lui dites, la main sur le cœur : « Écoute, j’ai tellement envie d’avoir ce bien, que ton prix sera le mien ! »
C’est hyper risqué de dire ça, n’est-ce pas ? Vous laissez l’autre, tout seul, déterminer le prix de la vente, et vous vous êtes engagé à payer !
Eh bien c’est ce que fait Jephté dans notre passage. En faisant son vœu, il dit à Dieu, en quelque sorte : « Écoute, j’ai tellement envie d’avoir ta faveur, que ton prix sera le mien ! » Et voici que par sa providence, Dieu va lui révéler, en effet, le coût de sa faveur. « Jephté, tu pensais pouvoir acheter ma faveur ; mais voici en fait ce qu’elle coûte—elle coûte un enfant unique. » Mais Jephté n’était pas prêt à payer ça. Qu’est-ce qu’il aurait fait, Jephté, pour pouvoir « revenir en arrière » et effacer son texto.
Dieu n’avait rien demandé à Jephté. Jephté avait déjà la faveur de Dieu, en réalité. Mais à travers son vœu imprudent, et par le truchement de la providence de Dieu, Jephté va comprendre combien coûteuse est cette faveur. Elle a le coût d’un enfant unique. Et qui est prêt à offrir son enfant unique en sacrifice ?
Dans un autre passage de la Bible, on peut lire ceci :
« Voici comment l’amour de Dieu a été manifesté envers nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui. Et cet amour consiste non pas en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et qu’il a envoyé son Fils comme victime expiatoire [comme sacrifice] pour nos péchés. » (1 Jn 4.9-10)
Dans un autre passage encore :
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jn 3.16)
Mes bien-aimés, l’histoire de Jephté, à travers la providence monumentale de Dieu, nous amène au cœur-même de toute la Bible, au message le plus important qu’on puisse entendre, à cette bonne nouvelle qu’on a besoin de croire et de se rappeler et de s’administrer à soi-même chaque jour, et que je ne me lasserai jamais de vous répéter (du moins je l’espère) !
C’est que Dieu nous présente sa faveur à un coût qu’il a lui-même supporté, par l’offrande de son Fils Jésus-Christ, mort sur la croix pour racheter tous ceux qui se confient en lui.
Dieu n’avait rien demandé à Jephté, parce que sa faveur est hors de prix. Personne n’a les moyens de l’acheter. Mais de toute éternité, Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit avaient conçu un plan pour que le prix de la faveur de Dieu soit payé au profit des croyants. Ce prix serait un enfant unique—et Jésus, le Fils unique de Dieu a consenti de toute éternité à devenir un être humain, à vivre une vie parfaite dans la soumission à Dieu, par la foi—une foi plus monumentale que celle de la fille de Jephté—et il a consenti de toute éternité à s’offrir lui-même sur la croix, volontairement, comme sacrifice pour régler la peine des péchés de tous les croyants, pour délier nos consciences, pour nous absoudre de nos erreurs monumentales qui nous séparaient de Dieu.
Et le prix de la faveur de Dieu au profit des croyants a été si pleinement et si parfaitement réglé que la mort-même n’a pas pu retenir Jésus dans la tombe, et qu’il est ressuscité le troisième jour en vainqueur et en garant de la faveur de Dieu et de la vie éternelle que Dieu nous présente en lui—en Jésus-Christ.
Est-ce que tu as trouvé le repos en lui ? Ou est-ce que tu en es encore à vivre sous pression—peut-être même après des années de vie dite « chrétienne » ? Peut-être que tu es encore en train d’essayer de faire un effort pour obtenir quelque chose de la part de Dieu en retour ? Peut-être que tu vis aujourd’hui dans l’amertume, le regret et peut-être même la culpabilité, parce que tu as fait des efforts et des sacrifices, et Dieu ne t’a pas récompensé ? Peut-être que tu as l’impression que la vie chrétienne, c’est une véritable tyrannie, même—une tyrannie perpétuelle parce que tu n’arrives jamais à en faire assez pour Dieu !
Mais le message de ce texte, comme on l’a vu, c’est qu’on n’aura jamais les moyens d’acheter la faveur de Dieu, mais heureusement pour nous, Dieu a voulu nous l’offrir pleinement, à ses propres frais.
Si ta foi est en Jésus, écoute bien : tu as pleinement la faveur de Dieu. Sa faveur envers toi ne peut ni augmenter, ni diminuer. Elle est complète. Tu peux pécher aujourd’hui, et demain, et après-demain ; tu peux échouer dans tes résolutions ; tu peux traverser la dépression et le doute ; tu peux avoir un cœur rempli de convoitise par moments ; tu peux faire des promesses téméraires et les regretter amèrement après—mais rien de tout ça ne changera jamais rien à la faveur que Dieu te porte si ta foi est en Jésus. Même si c’est une mini-foi !
Ce qui est merveilleux dans l’histoire de Jephté, c’est que sa fille avait une foi incroyable, mais ça ne veut pas dire que Jephté, lui, n’avait pas la foi. Il avait la foi. Il fait partie de la liste des croyants qui sont mentionnés en exemples dans ce fameux chapitre onze de la lettre aux Hébreux, dans le Nouveau Testament, qui essaie de nous illustrer ce que c’est qu’avoir la foi. Eh bien avoir la foi, ce n’est pas ne jamais commettre d’erreur monumentale.
Et moi je trouve ça merveilleux que Jephté ait été un croyant, parce que ça veut dire que sa fille et lui ont été réunis. Ils sont ensemble au paradis aujourd’hui, en vertu du sacrifice ultime et volontaire de l’enfant unique de Dieu, Jésus-Christ. Et un jour, ils ressusciteront ensemble, avec tous les croyants de toute l’histoire, et ils se réjouiront ensemble, avec tous les croyants de toute l’histoire, devant la face de Dieu, sur la nouvelle terre, pour toute l’éternité.
Trois applications rapides pour terminer.
La première. Attention à ne pas être des croyants téméraires. Soyons « sobres » et « veillons », comme dit l’apôtre Pierre (1 Pi 5.8). Réfléchissons avant d’agir, avant de parler, avant de nous engager. Ne prenons pas des résolutions à la légère devant Dieu ou devant les hommes, de peur de lier notre conscience par des choses que Dieu n’a pas demandées—ou pire, de lier la conscience des autres. Notre confession de foi dit :
« Nul ne peut se lier par serment que pour ce qui est bon et juste, et pour ce qu’il croit être tel, et pour ce qu’il est apte et résolu à accomplir. » (Westminster XXII.3)
La Bible dit :
« Si tu vois un homme irréfléchi dans ses paroles, il y a plus d’espérance pour un insensé que pour lui. » (Pr 29.20)
Donc attention à ne pas être des croyants téméraires ou irréfléchis. Mesurons le sérieux de notre vocation, et marchons dans la joie, mais aussi dans la crainte de Dieu.
Deuxième application. Rappelons-nous en permanence l’Évangile. Jésus a tout payé. Son sacrifice volontaire sur la croix est suffisant pour expier tous nos péchés passés, présents et futurs, et pour nous garantir pour toujours la faveur totale de Dieu. Est-ce que ça semble trop facile ? Oui, bien sûr ! C’est facile ! C’est facile pour nous, et c’est pour ça que c’est une si bonne nouvelle ! Mais on a besoin de se rappeler que ce qui est gratuit pour nous n’est pas gratuit pour Dieu.
Rappelons-nous en permanence l’Évangile, dans le culte, dans les groupes de maison, dans nos familles, dans notre quotidien, dans nos méditations personnelles. C’est justement ça qui va nous transformer, qui va stimuler notre louange, qui va nous motiver pour le témoignage, qui va nous consoler dans l’affliction, qui va nous remplir d’amour pour notre prochain.
Troisième application. Sous la plume de l’apôtre Paul :
« Je vous exhorte donc, […] par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréable et parfait. » (Rm 12.1-2)
Si l’Évangile est vrai, eh bien le prix qui a été payé par Dieu pour notre salut est si grand que notre vie devrait être une vie d’adoration en retour de son amour. Qu’est-ce qu’on pourrait désirer plus que nous offrir à Dieu à notre tour, mais pas en holocauste—plutôt en sacrifice vivant, comme dit l’apôtre Paul, et offrir à Dieu un sacrifice de louange, chaque dimanche avec nos frères et sœurs dans le cadre du culte, chaque semaine dans les groupes de maison, et même chaque jour en apprenant à conformer nos actes, nos pensées, nos paroles et nos désirs à sa volonté parfaite.
Que Dieu nous émerveille encore par l’amour qu’il nous a manifesté en Jésus-Christ.