Notre besoin de Dieu

Par Alexandre Sarranle 4 février 2024

Je ne sais pas si c’est une bonne idée, finalement, qu’on trouve un local pour notre Église. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, parce que franchement, il y a un danger à être trop gâté par Dieu. Ce danger, c’est de devenir arrogant, téméraire et auto-suffisant.

Ce danger guette notre Église, parce qu’on est en train de devenir quelque chose qui tourne plutôt bien, je trouve. On a un staff incroyable, des anciens géniaux, des stagiaires de classe internationale, une assistante administrative grandiose, et surtout, des paroissiens de rêve. Le culte est bien huilé, la louange vraiment chouette, les prédications… ça passe. On est en danger d’oublier qu’on a besoin de Dieu. Qu’on a désespérément besoin de Dieu.

Ce danger guette notre Église, mais il nous guette nous tous individuellement. Et il nous guette surtout si on a une vie pas trop compliquée. Disons qu’on a plutôt un bon travail, qu’on est plutôt en bonne santé, qu’on s’entend plutôt bien avec tout le monde… On pourrait commencer à croire que tout ça, eh bien : on a fait ce qu’il fallait pour l’obtenir. On s’en est donné les moyens, et donc on avait ça un petit peu en nous, quoi.

Et ça vaut sur le plan spirituel aussi. Disons qu’on a grandi en allant à l’Église et dans des colos chrétiennes, qu’on connaît bien tous les codes du protestantisme évangélique, qu’on ne boit pas, qu’on ne fume pas, qu’on a su se préserver sexuellement pour le mariage, qu’on a une vie de prière très disciplinée, qu’on est bien à jour—et même en avance—dans le programme de lecture de la Bible, qu’on est hyper engagé dans un groupe de croissance et dans un groupe de maison et qu’on va à toutes les activités de l’Église ; disons qu’on est respectable à tous points de vue !

Tout ça, c’est génial. Mais il y a un danger : c’est qu’on devienne arrogant, téméraire et auto-suffisant. C’est qu’on oublie—subtilement, petit à petit—qu’on a désespérément besoin de Dieu. Est-ce que ce matin vous sentez profondément, en vous-même, que vous ne pouvez pas subsister sans Dieu ? Qu’est-ce qui vous serait plus difficile, en fait : passer une journée sans Dieu, ou une journée sans smartphone ?

On a besoin d’être sensibilisé à notre besoin de Dieu. Et le texte qu’on va lire est là pour ça. C’est la suite et la fin de l’histoire de Samson, le douzième et dernier juge qui est mentionné dans le livre des Juges. Les « juges » sont les conducteurs—les chefs—que Dieu a suscités pour les Israélites, plus de mille ans avant l’époque de Jésus, quand il n’y avait pas encore de roi en Israël. Et on a vu qu’avec Samson, l’auteur nous faisait comprendre que là, on allait avoir un juge d’une catégorie (d’un standing) un peu supérieure : choisi par Dieu avant même sa conception, et consacré à Dieu dès le ventre de sa mère !

Et c’est vrai que Samson, c’est ce qu’on a, qui se rapproche le plus d’un superhéros. Physiquement, il est hyper fort, et le texte nous a bien fait comprendre que cette force lui était donnée par l’Éternel lui-même. Mais on a aussi vu que Samson, il est peut-être fort physiquement, mais il n’est pas hyper fort moralement. Il est peut-être un peu impulsif, un peu colérique, et il n’est pas hyper réglo par rapport à la loi de Moïse. Certes, Dieu l’a choisi, il l’a appelé, il l’a mis à part, il l’a consacré à son service et il lui a donné des ressources incroyables, mais lui, il n’est pas super fidèle en retour. Il est ambivalent.

Et en fait, ce qui est intéressant à comprendre au moment de lire ce texte, c’est que Samson, en quelque sorte, représente Israël. Samson a été envoyé par Dieu pour faire ce que le peuple d’Israël a renoncé à faire. Rappelez-vous que Samson vient combattre les ennemis de Dieu alors que les Israélites ont capitulé. Donc Samson est un libérateur pour Israël, mais qui se substitue à Israël—il vient récupérer le poste qui a été abandonné, vous comprenez ?

Et pour ça, Dieu assiste Samson comme il a assisté Israël, et on se dit qu’à travers l’œuvre de ce libérateur, peut-être que le peuple d’Israël lui-même sera relevé. Et donc ce qui est important à comprendre, c’est que les Israélites qui lisent ce texte, et qui traversent aussi des difficultés, se projettent naturellement dans l’histoire de Samson. Ils lisent l’histoire de Samson, et ils se disent : « Voilà le genre de conducteur qu’il nous faut, qui va faire ce qu’on n’arrive pas à faire nous-mêmes, et nous montrer comment assumer notre vocation. »

Or, il y a certainement des choses positives à imiter chez Samson, mais la fin de son histoire, ce n’est pas tellement ça ! Le texte qu’on va lire met en garde les Israélites—et nous met en garde par la même occasion—contre le risque de minimiser, voire d’oublier, notre besoin suprême de Dieu.  Mais ce qui est merveilleux dans ce texte, c’est qu’on va voir aussi que même si on oublie Dieu et qu’on se retrouve au fond du trou, en fait, c’est justement au fin fond de notre misère qu’on devient le plus sensible à sa grâce.

Tout le message de ce texte, c’est le suivant : plus tu te reposes sur tes lauriers, plus le danger est réel de chuter gravement, mais ce qui est incroyable, c’est que même ça, ça ne fera pas échouer Dieu. Et donc il y a un avertissement, mais aussi une bonne nouvelle pour nous.

Alors vous êtes prêts ? Lisons la fin de l’histoire de ce merveilleux Samson—juge et libérateur d’Israël, consacré à Dieu dès le ventre de sa mère…

1/ On est orgueilleux (v. 1-14)

La première chose que ce texte veut nous faire comprendre, c’est que les bénédictions de Dieu, ça peut vraiment nous monter à la tête. On est orgueilleux.

Alors franchement, le premier verset de ce passage est là pour nous choquer, surtout qu’il vient juste après le dernier verset du chapitre précédent. Samson, juge en Israël pendant vingt ans—dans le texte, il vient de tuer mille Philistins avec une mâchoire d’âne, et ensuite Dieu a fait couler de l’eau d’un rocher pour le secourir et le raviver. C’est un héros. Mais maintenant, il va à Gaza, une ville de Philistins, il voit une prostituée, et il « entre chez elle ».

Samson couche avec une prostituée païenne ! Qu’est-ce qui lui prend ? Eh bien les versets suivants peuvent peut-être nous aider à comprendre. Le texte nous dit que les Philistins apprennent que Samson est chez la prostituée, du coup il vont attendre le matin pour l’attraper et le tuer. Mais Samson part de chez la prostituée à minuit—et le texte ne nous dit pas pourquoi. Est-ce qu’il a su qu’il y avait une embuscade ? Ou bien est-ce qu’il avait fini d’exploiter la prostituée et qu’il en avait marre et il est parti parce qu’il voulait passer à autre chose ? Quoi qu’il en soit, il échappe à l’embuscade de cette manière, mais en partant, il prend un souvenir : la porte de la ville !

Il casse la porte sûrement parce qu’elle était verrouillée et que ça l’empêchait de sortir. Mais pourquoi est-ce qu’il emmène ensuite la porte sur ses épaules, jusqu’en haut d’une montagne ? Alors je ne sais pas ce que vous imaginez, mais la porte d’une ville, dans l’Antiquité, ce n’est pas comme la porte d’entrée d’une maison, hein ! Imaginez plutôt le portail d’une ville fortifiée : deux grands battants en bois massif, avec des renforts en fer, ça doit peser dans les 500 ou 600 kg au moins, c’est-à-dire pratiquement le poids de deux pianos.

Donc qu’est-ce qui se passe ? Moi j’ai l’impression que Samson s’amuse. Il a cette force physique incroyable, et il fait un nouveau prank (une farce) pour embêter les Philistins : il enlève la porte de la ville dans la nuit, et il va la mettre en haut d’une montagne. C’est un peu comme ce que les agriculteurs ont fait vers chez nous, dans l’Ouest lyonnais la semaine dernière : ils ont démonté les panneaux d’entrée et de sortie des communes, pendant la nuit, et ils les ont remontés à l’envers.

Et si on poursuit un peu le texte, on voit que Samson se met en couple de nouveau avec une fille qui s’appelle Dalila. (On voit que Samson aime les femmes, c’est au moins la troisième dans le texte.) Mais on voit aussi que Samson continue de s’amuser, puisque Dalila essaie de connaître le secret de la force de Samson (pour le compte des Philistins), mais Samson lui raconte n’importe quoi : il faut l’attacher avec sept cordes fraîches encore humides, il faut l’attacher avec des cordages neufs qui n’ont jamais servi, il faut attacher les tresses de sa tête avec la chaîne du tissu… Ça devient de plus en plus tiré par les cheveux !

Et donc c’est quoi, l’impression générale qu’on a, dans ces premiers versets du chapitre 16 ? L’impression qu’on a, c’est que Samson fanfaronne. Il a conscience d’avoir un super-pouvoir, et il s’en amuse. Il se sent intouchable, il est devenu insouciant, il agit de manière irréfléchie, imprudente—on peut dire franchement débile.

Dans le film Bruce tout-puissant avec Jim Carrey (je ne suis pas en train de vous conseiller de voir ce film, mais il se trouve que je l’ai vu, et peut-être que certains parmi vous l’ont vu)—dans ce film, Dieu décide de confier une partie de ses pouvoirs à un homme qui se plaignait que Dieu ne faisait pas bien son boulot. Mais ce qui est intéressant, c’est que cet homme, une fois qu’il a des pouvoirs surnaturels, va utiliser ces pouvoirs pour se mettre lui-même en avant. Il va s’amuser avec, en fait. Et à un moment donné, d’ailleurs, il va dans une ruelle où il y a une bande de voyous, et il va les provoquer exprès, parce qu’il sait très bien qu’il va pouvoir les ratatiner juste après.

Samson fait un peu ça, dans notre texte. Il fanfaronne. Il s’amuse. Et il détourne la force que Dieu lui a donnée, pour se servir lui-même plutôt que pour servir Dieu. Et on se rend compte à quel point Samson s’est relâché spirituellement, il est devenu insouciant et déconnecté de Dieu, vers la fin de ses vingt ans d’exercice comme juge, puisqu’il va à Gaza et couche avec une prostituée philistine comme si de rien n’était.

On aurait aimé que l’histoire de Samson s’arrête au chapitre précédent, et qu’il n’y ait pas de chapitre 16 dans le livre des Juges. « Samson fut juge en Israël, au temps des Philistins, pendant vingt ans » (Jg 15.20), et même, ç’aurait pu être : « il fut juge pendant 40 ans ou 50 ans », s’il n’y avait eu pas le chapitre 16.

Mais il est là, ce chapitre, avec cette première leçon : c’est que les bénédictions de Dieu, ça peut vraiment nous monter à la tête. Les Israélites qui lisent cette histoire, doivent se dire : « Waouh, on aurait besoin d’un gars comme Samson, mais en fait, même lui, avec tout ce que Dieu lui a donné, il s’est déconnecté de Dieu ? Finalement, Samson, il a fait comme nous, les Israélites : Dieu nous a tellement donné, et il a fait tellement pour nous, et pourtant, on se détourne de lui. On est devenu fier et arrogant, parce qu’on se disait qu’on était le peuple saint, le peuple élu, et qu’il pouvait rien nous arriver—et du coup on s’est dit qu’on pouvait faire ce qu’on voulait, parce qu’on se trouvait fort ! Mais en fait, on a mal tourné. »

Et nous, mes bien-aimés, c’est pareil. Les bénédictions de Dieu, ça peut vraiment nous monter à la tête. Quel privilège d’avoir une super Église, d’avoir des supers amis dans la foi, d’avoir assez d’argent pour vivre, d’avoir la santé, d’avoir un travail, d’avoir une formation et des compétences, de savoir lire et écrire, d’avoir un libre accès à la Bible, et à plein d’autre ressources chrétiennes ! Et quel privilège d’être encore jeune, et d’avoir un cerveau qui carbure, et d’avoir du temps, et d’avoir des supers connaissances théologiques, et d’être vachement apprécié par les gens—tout ça, c’est plein de bénédictions de la part de Dieu.

Mais si ça commence à nous plaire, si on commence à s’en amuser, si on commence à se servir soi-même plutôt que Dieu, si on commence à se trouver fort, attention, parce qu’on commence à mal tourner. Et ça vaut pour nous individuellement comme pour nous collectivement en tant qu’Église.

Dieu avait dit aux Israélites : « Quand l’Éternel, ton Dieu, te fera entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères […] de te donner, avec de grandes et bonnes villes que tu n’as pas bâties, des maisons pleines de toutes sortes de biens et que tu n’as pas remplies, des citernes creusées que tu n’as pas creusées, des vignes et des oliviers que tu n’as pas plantés ; et lorsque tu mangeras et te rassasieras, garde-toi d’oublier l’Éternel… » (Dt 6.10-12)

2/ On est précaire (v. 15-21)

C’était le premier point : on est orgueilleux. La deuxième chose que ce texte veut nous faire comprendre, c’est que plus on se croit fort, plus on est vulnérable. En fait, on est précaire.

Revenons au texte. Samson s’est bien amusé pendant 14 versets, mais là, il y a un tournant. Dalila change de braquet, et elle active le mode « chantage émotionnel ». « En fait, mon petit Sam-Sam d’amour, j’ai compris : tu ne m’aimes pas ! Je ne suis bonne qu’à faire ta lessive et à ramasser les élastiques de tes cheveux que tu laisses traîner partout, mais en fait, tu ne veux jamais vraiment t’ouvrir à moi. J’aimerais tellement savoir ce qui se passe dans ton cœur, mais tu refuses de me laisser voir à l’intérieur—j’ai compris, tu ne me fais pas confiance ! Notre relation, ce n’est pas vraiment de l’amour ! »

Alors franchement, c’est un peu drôle ce qui se passe dans le texte. On a déjà vu que l’auteur du livre des Juges, il a de l’humour. Et quand quelque chose nous paraît drôle, c’est que c’est probablement censé être drôle. Et en fait, quand c’est drôle, c’est généralement pour se moquer de quelqu’un. En l’occurrence, ici, c’est de Samson qu’on se moque.

Le verset 16 en particulier est très moqueur :

« Comme elle était chaque jour à le tourmenter par ses paroles et à l’importuner, il en fut mortellement ennuyé. »

J’ai une note qui dit qu’en hébreu, littéralement, ça veut dire : « son âme se rétrécit à mourir ».

C’est à mourir… de rire. Samson, c’est le gars qui a tué un lion à mains nues (Jg 14.6), qui a tué trente Philistins le jour de son mariage parce qu’il était vexé (Jg 14.19), qui a attrapé 300 renards (Jg 15.4), qui a vengé l’assassinat de sa première femme en tabassant plein de Philistins à lui tout seul (Jg 15.8), et qui a tué mille Philistins un jour, juste avec une mâchoire d’âne qu’il a trouvée par terre (Jg 15.15) ! Mais qu’est-ce qui va le vaincre, maintenant, ce Samson ? Les geignements de sa copine !

Et effectivement, Samson cède, et le verset 19 est très pathétique : « Elle l’endormit sur ses genoux, […] rasa les sept tresses de sa tête et commença ainsi à le dompter. Sa force se retira de lui. » Le grand Samson s’est fait avoir par une femme qui l’endort sur ses genoux. On le savait, mais la kryptonite de Samson, c’est les femmes. Envoyez-lui une armée de Philistins surentraînés et armés jusqu’aux dents—aucune inquiétude pour Samson. Mais envoyez-lui une femme pour lui casser les pieds—ça, c’est trop dur pour lui !

C’est drôle, mais tout d’un coup, ça devient dramatique.

Samson se réveille la boule à zéro, les Philistins lui tombent dessus, et le texte nous dit que Samson s’imagine qu’il va les taper comme d’habitude (v. 20). Mais la sentence est terrible :

« Il ne savait pas que l’Éternel s’était retiré de lui. Les Philistins le saisirent et lui crevèrent les yeux ; ils le firent descendre à Gaza et l’attachèrent avec des entraves de bronze. Il tournait la meule dans la prison. »

La chute est tellement rapide, n’est-ce pas ? Samson est tombé en un verset, et il s’en est fallu de si peu. Ça ne tenait qu’à un cheveu, si j’ose dire. Et l’auteur nous fait mesurer l’incroyable précarité de Samson, en fait, malgré tout ce qu’on pouvait imaginer. Et malgré, surtout, ce que Samson imaginait.

Samson se croyait fort. Ça lui était monté à la tête, il était devenu insouciant et téméraire. Et il a perdu la bonne perspective sur lui-même, sur sa relation à Dieu et sur sa vocation. On le voit, parce qu’il brade le secret de sa force, comme si ce n’était pas très important pour lui : « Si je suis fort, c’est parce que je porte le signe de ma consécration à Dieu : c’est les cheveux longs. » Mais à partir du moment où Samson en quelque sorte « vend » sa consécration en échange du silence de sa femme, c’est le signe que cette consécration n’a pas vraiment de sens pour lui en termes de sa relation avec Dieu et de sa vocation dans le projet de Dieu, mais seulement en termes d’intérêt personnel.

Autrement dit, Samson révèle qu’il s’en fiche un peu de sa consécration à Dieu. Et elle est là, en réalité, la chute de Samson. Il n’y a pas de pouvoir magique dans ses cheveux, mais le fait de perdre ses cheveux est emblématique de son infidélité à Dieu. L’Éternel se retire de lui, parce que Samson perd le dernier signe de sa consécration à Dieu. La perte de ses cheveux entérine la distance qu’il y avait déjà entre lui et Dieu dans son cœur.

Alors moi, je me rappelle, j’ai eu les cheveux longs à une période de ma vie. Ils étaient vraiment longs, et beaux et soyeux. On m’appelait Highlander au lycée. Et je les portais généralement attachés en queue de cheval. Et puis un jour j’ai rencontré Suzanne, et on a commencé à se fréquenter, et elle m’a fait une Dalila. Elle m’a harcelé pour que je coupe mes cheveux, et comme « elle était chaque jour à me tourmenter par ses paroles et à m’importuner, mon âme s’est rétrécie à mourir », et j’ai cédé. J’ai fait une jolie tresse avec mes cheveux, et j’ai demandé à ma mère de mettre un coup de ciseau à la base de la tresse.

Bon, je n’ai pas l’impression d’avoir perdu ma force, mais en tout cas je me rappelle très bien que c’était un mini traumatisme quand même ! Alors j’imagine pour Samson qui doit avoir à peu près la quarantaine (comme moi aujourd’hui) et qui ne s’est jamais fait couper les cheveux de sa vie—parce que c’était en fait un emblème sacré. C’était l’emblème de sa relation avec Dieu, et donc c’était extrêmement significatif.

Et on est donc censé avoir la boule au ventre, en lisant cette histoire. Samson perd tout, très vite. Il tombe au plus bas, très facilement. Malgré tout ce qu’il a accompli, malgré ses exploits, malgré son côté extrêmement impressionnant, Samson était quand même précaire. S’il était fort, c’était parce que Dieu était avec lui—et non pas parce qu’il était fort en lui-même. Et c’est en se croyant fort qu’il s’est rendu le plus vulnérable, en fait.

Il y a un proverbe chinois qui dit : « Plus on s’élève et plus dure sera la chute. » Et c’est un peu la moralité de ce deuxième point, n’est-ce pas ? Plus on se croit fort, plus on est vulnérable. La réalité, c’est qu’on est tous précaires, et c’est justement quand on l’oublie qu’on s’expose le plus à la chute.

Dans le Nouveau Testament, l’apôtre Paul dit :

« Ainsi donc, que celui qui pense être debout prenne garde de tomber ! » (1 Co 10.12)

On doit faire extrêmement attention. On doit être vigilant et se rappeler que dès qu’on commence un peu trop à s’y croire, en fait on se met en danger. Parce que la réalité, c’est que même si on arrive à avoir une vie hyper bien ordonnée, ultra efficace, impressionnante sur tous les plans, eh bien en fait, on a tous notre kryptonite. On a tous nos Dalilas.

Aucun d’entre nous n’est, en réalité, plus fort que les autres. Vous connaissez peut-être des gens qui ont l’air d’être des Samsons autour de vous : la vie a l’air tellement facile pour eux, même la vie chrétienne ; on a l’impression qu’ils sont tout le temps en train de connaître des victoires, et ils sont tout le temps joyeux, et tout étincelants—mais attention, ils ne sont pas plus forts que vous. Même vos conducteurs spirituels, même votre pasteur, n’est pas plus fort.

On est tous, en réalité, extrêmement précaires par nature. Notre seule force et notre seule sécurité ne viennent que de Dieu, et de nulle part ailleurs. Et c’est ce qui nous amène justement au dernier point.

3/ On est impuissant (v. 22-31)

La troisième et dernière chose que ce texte veut nous faire comprendre, c’est que ce n’est pas forcément une mauvaise chose de tout perdre. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose de prendre la mesure de notre extrême faiblesse—parce que justement, c’est quand on est confronté à notre impuissance, qu’on peut mieux comprendre la portée de la grâce de Dieu.

Revenons une dernière fois au texte. On a l’épilogue de l’histoire de Samson (v. 22-31). On découvre que les Philistins sont tellement contents d’avoir attrapé Samson, qu’ils organisent une grande fête, mais c’est une fête religieuse. Et le texte insister vraiment sur le fait que les Philistins veulent rendre gloire à leur faux dieu qui s’appelle Dagôn.

C’est censé nous mettre vraiment très mal à l’aise, parce que nous, on sait que si Samson s’est fait attraper, ce n’est pas parce que Dagôn l’a permis, c’est parce que l’Éternel l’a permis ! Ce n’est pas parce que Dagôn est fort que Samson s’est fait prendre, c’est parce que l’Éternel est fort—et qu’il s’est retiré de Samson. Donc en lisant ce qui se passe, on doit se dire que c’est vraiment un affront contre Dieu. On se dit qu’on ne peut quand même pas laisser les Philistins avoir le dernier mot !

Et donc qu’est-ce qui se passe ensuite ? Eh bien le texte nous précise que les cheveux de Samson ont recommencé à pousser (v. 22), et encore une fois, c’est emblématique. Il n’y a pas de pouvoir magique dans les cheveux, mais c’est le signe de la consécration de Samson à Dieu—cette consécration que Dieu avait décidée avant même la naissance de Samson.

Le texte nous dit que Samson est amené depuis sa prison, au lieu où se déroule la fête en l’honneur de Dagôn. On veut humilier Samson, et à travers lui, humilier l’Éternel. Samson est dans une situation de défaite et d’extrême humilité—et c’est dans cette situation d’impuissance qu’arrive le plus beau verset de ce passage (v. 28) :

« Alors Samson invoqua l’Éternel et dit : Seigneur Éternel ! Souviens-toi de moi, je te prie. »

C’est au moment où il a touché le fond, que Samson revient à Dieu, vous comprenez ? Il a tout perdu, il a été dépouillé de sa stature, de sa réputation, de sa puissance, de sa liberté, de sa vue—et c’est en ayant tout perdu qu’il se reconnecte avec sa véritable force. Avec l’Éternel.

Il supplie Dieu de lui donner assez de force juste pour tirer vengeance des Philistins « pour ses deux yeux », comme il dit (v. 28). Mais dans sa contrition, Samson ne demande pas à être délivré. Il y a un contraste ici avec la fin du chapitre précédent. Samson était aussi dans une situation de détresse, très précaire, très vulnérable, et il a dit à Dieu :

« Mourrais-je de soif, et tomberais-je entre les mains des incirconcis ? » (Jg 15.18)

Et Dieu a fendu le rocher pour lui donner de l’eau et lui permettre de « revenir à la vie ».

Mais ici, un chapitre plus tard, Samson ne demande pas à ne pas mourir et à ne pas tomber entre les mains des incirconcis, mais plutôt, il dit :

« Que je meure avec les Philistins ! » (v. 30)

Et Dieu l’exauce en lui donnant la force nécessaire pour faire s’effondrer tout l’édifice sur lui et sur les milliers de Philistins réunis à l’intérieur et sur le toit.

En arrivant à la fin de cette histoire, on est censé se dire : « Ah ouais, quand même. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose de tout perdre. En perdant tout, Samson a retrouvé Dieu. À travers la défaite et l’humiliation de Samson, finalement Dieu a gagné une énorme victoire sur les Philistins. En fait, même quand tout a l’air perdu, et que les ennemis de Dieu se moquent de lui et se vantent d’être plus forts que lui—eh bien, Dieu n’a quand même pas dit son dernier mot. Il reste à la manœuvre, il a un plan, il est plus fort. Et même, on dirait qu’il se plaît à intervenir dans la faiblesse la plus extrême de ses enfants. »

Les Israélites qui lisent cette histoire doivent se dire à peu près la même chose. « Dieu a suscité Samson pour qu’il fasse ce qu’on était censé faire et qu’on a renoncé à faire. Mais finalement, Samson, il a suivi la même trajectoire que nous. Dieu l’a choisi, appelé, mis à part, consacré à son service, et il lui a donné des ressources incroyables, mais lui, il n’a pas été super fidèle en retour, et finalement, il est tombé aux mains des nations, qui lui ont mis des entraves et qui l’ont emmené en captivité. Mais quand même, à travers la défaite de Samson qui est une forme de discipline de Dieu, l’Éternel a gagné une grande victoire contre ses ennemis. Et donc peut-être qu’à travers notre défaite et nos problèmes, et à travers l’oppression de nos ennemis, eh bien l’Éternel va aussi gagner une grande victoire contre ses ennemis ? Ce n’est pas forcément une mauvaise chose de tout perdre, si à travers tout ça, Dieu va remporter une plus grande victoire au profit de ses enfants ! »

Et donc les Israélites en lisant cette histoire sont placés dans une attente—l’attente que Dieu agisse de manière analogue à ce qui s’est passé dans cette histoire. Peut-être que Dieu va de nouveau envoyer un juge, comme Samson, qui va assumer la vocation d’Israël, et qui va rejoindre Israël jusque dans ses entraves et dans son humiliation, et qui va se laisser vaincre pour vaincre. Un libérateur qui va gagner en perdant.

Et vous voyez où je veux en venir.

Samson est le dernier des douze juges qui sont mentionnés dans le livre des Juges. C’est celui qui occupe le plus de place dans le récit. C’est celui dont il est le plus dit que l’Esprit de l’Éternel était avec lui. C’est le juge qui avait le meilleur standing, sur lequel reposait le plus d’attentes. Mais il nous laisse quand même un goût d’inachevé. On voudrait revoir un Samson, mais sans les défauts.

Plus de mille ans plus tard, il y a un treizième juge qui arrive. Il s’appelle Jésus de Nazareth, et lui aussi il est consacré à Dieu depuis avant sa naissance et même avant sa conception. L’Esprit de l’Éternel était sur lui. Comme Samson, il était ultra puissant, et il a été tenté de s’en amuser. Un jour, le diable a emmené Jésus sur le toit du temple, et lui a dit :

« Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet ; et ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre. » (Mt 4.6)

Mais contrairement à Samson, Jésus a tenu ferme, il n’a pas fanfaronné, il est resté docile sous la main de Dieu, il n’est pas tombé dans l’orgueil. De plus, Jésus est resté pleinement consacré à Dieu toute sa vie ; il n’a pas bradé le secret de sa force, il ne s’est pas laissé manipuler par une Dalila, il est resté parfaitement fidèle et obéissant à Dieu toute sa vie. Il ne s’est pas fait avoir par la kryptonite et il n’a jamais chuté. Certes, selon sa nature humaine, il a connu la faiblesse, la vulnérabilité, la précarité—il a été tenté dans le désert, comme on l’a vu, et il a eu faim et soif, et il s’est fatigué, et il a pleuré, et il a même été saisi d’angoisse dans le jardin de Gethsémané la veille de sa crucifixion.

Mais c’est volontairement que Jésus s’est laissé livrer entre les mains de ses ennemis. Contrairement à Samson qui s’est fait avoir, Jésus a voulu se trouver en situation d’impuissance (selon sa nature humaine) parce qu’il a voulu nous rejoindre dans nos entraves. Comme Samson, il a pris la place du peuple de Dieu, mais Jésus, lui, ne méritait pas la défaite et l’humiliation. Il y est allé quand même, volontairement, mais justement pour assumer la culpabilité du peuple à sa place—Samson, lui, a reproduit Israël, mais Jésus s’est substitué à Israël, vous comprenez ?

Et au moment où Jésus prend la posture de Samson, les bras en croix, au moment de son humiliation ultime, il prend sur lui toutes les fautes, toutes les infidélités des croyants, et il s’exclame en quelque sorte : « Que je meure avec les péchés d’Alex ! Que je meure avec les péchés de Samson ! Que je meure avec les péchés d’Israël et de tous les enfants de Dieu ! »

Et c’est ce qui se passe. Jésus prend sur lui les fautes de tous les croyants. Il en règle le prix à la croix. Si vous placez votre foi en lui—eh bien Jésus a emporté vos ennemis dans la tombe. Il a emporté vos accusateurs, votre culpabilité, votre condamnation, vos entraves, votre séparation d’avec Dieu—tout ça, dans la tombe avec lui ! Et puisque Jésus, contrairement à Samson, était parfaitement juste, eh bien la mort n’a pas pu le retenir, et il est ressuscité le troisième jour en vainqueur. Il a garanti notre future résurrection. Il règne en juge non pas pour vingt ans mais pour toute l’éternité.

Jésus a gagné en perdant. On a retrouvé un Samson, mais sans les défauts. Et donc vous comprenez que ce n’est pas forcément une mauvaise chose de prendre la mesure de notre extrême faiblesse—parce que justement, c’est quand on est confronté à notre impuissance, qu’on peut mieux comprendre la portée de la grâce de Dieu. Comme c’est bon de se rendre compte que Dieu a tout fait pour nous, par Jésus-Christ !

Mais essayons de récapituler un petit peu avant de conclure. Au début, on a souligné le danger qu’il y avait à être un peu trop gâté par Dieu. Le danger d’avoir une vie un peu trop bénie et donc un peu trop facile, en quelque sorte. Le danger, c’est qu’on devienne arrogant, téméraire et auto-suffisant. C’est arrivé à Israël. C’est arrivé à Samson. Et ça peut arriver à l’Église Lyon Gerland. Ça peut arriver à Alex, et ça peut vous arriver.

Mais le texte qu’on a vu ce matin est là comme un avertissement, mais aussi comme une bonne nouvelle. Plus tu te reposes sur tes lauriers, plus le danger est réel de chuter gravement, mais ce qui est incroyable, c’est que même ça, ça ne fera pas échouer Dieu.

Alors première application : essayons de cultiver notre reconnaissance à Dieu pour tous ses bienfaits dans la vie. Dans nos prières, prenons le temps de le remercier, pour des choses qui peuvent nous paraître aussi anodines que l’air qu’on respire, le toit qu’on a au-dessus de nos têtes, les vêtements qu’on porte, les amis qu’on a, le pays dans lequel on vit, les libertés qu’on a dans notre société, etc. Prions avant les repas pour dire merci à Dieu. Remercions Dieu pour notre Église, pour le théâtre de Lulu, pour toutes les merveilleuses bonnes volontés, pour la générosité des membres, pour tout le chemin parcouru. Rappelons-nous, et rappelons constamment à nos enfants, et rappelons aux gens autour de nous, que « tout don excellent et tout cadeau parfait viennent d’en-haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement, ni ombre de variation. » (Jc 1.17)

Deuxième application : essayons d’examiner chaque jour notre cœur et de confesser chaque jour à Dieu nos mauvais penchants. On a besoin de lire la Bible et de nous regarder dedans comme dans un miroir. On a besoin d’éprouver ce qui se passe à l’intérieur de nous, à la lumière de la justice de Dieu révélée dans les saintes Écritures. On a besoin de reconnaître notre orgueil et d’avoir conscience de notre précarité. C’est pour ça que chaque dimanche, on a un temps de lecture de la « loi de Dieu » et de confession des péchés—mais on a besoin de faire ça plus souvent que juste le dimanche. Le but, c’est qu’on arrête de se croire fort ! Les disciplines spirituelles, le culte personnel, la lecture quotidienne de la Bible, la prière, les groupes de croissance, les groupes de maison, tout ça c’est excellent pour la vie chrétienne, mais attention à ce qu’on ne laisse pas notre propre discipline nous aveugler sur notre véritable précarité. Il suffit d’un petit bout de kryptonite, une petite Dalila, et tout peut s’effondrer, parce que notre cœur est tortueux par-dessus tout. Et on ne doit pas l’oublier.

Enfin, dernière application : essayons d’embrasser notre impuissance. N’essayons même pas de faire semblant, dans la vie chrétienne. Je sais qu’il y a des gens qui ressentent la vie chrétienne comme un fardeau, comme une véritable tyrannie. Et c’est souvent la faute à l’Église, en fait, qui communique parfois malgré elle, qu’un bon chrétien c’est quelqu’un qui a surmonté tous ses problèmes et qui a une vie bien ordonnée. En réalité, un bon chrétien, c’est quelqu’un qui a compris qu’il n’a aucun espoir en-dehors de Jésus-Christ. On a besoin de lui. On n’a besoin que de lui. Il est tout pour nous, et c’est en acceptant qu’on est impuissant par nous-même, qu’on peut vraiment trouver le repos en lui.

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