En janvier 2017, un pasteur réformé évangélique écossais auteur d’au moins une quinzaine de livres, ancien modérateur du synode de son union d’Églises, vice-président d’une faculté de théologie solide et réputée, un homme intelligent, apprécié, théologiquement fiable, s’est donné la mort par pendaison dans les toilettes de l’hôpital où il avait été admis pour une overdose de médicaments, après avoir confessé à son épouse une série de liaisons qu’il avait eues avec sept femmes différentes sur une période d’environ vingt ans.
Qu’est-ce qui peut pousser un homme de Dieu à faire ça ? Je ne parle pas de ses liaisons, puisque l’attirance amoureuse et les désirs qu’elle produit, on sait tous ce que c’est, on sait d’où ça vient, on sait comment ça peut se passer. Mais plutôt, qu’est-ce qui peut pousser un croyant – et ici, un croyant expérimenté – à vouloir mettre fin à ses jours après qu’il a été confronté à son infidélité et aux conséquences matérielles, relationnelles, vocationnelles de ses actes ? Qu’est-ce qui peut pousser un croyant à ça, si ce n’est… un sentiment envahissant de honte et de perte et de gâchis insurmontable ?
Que vous soyez croyant ou non, est-ce que ça vous est déjà arrivé, à vous, d’avoir l’impression que vous aviez tout gâché, et qu’il n’y avait aucun moyen de revenir en arrière et de réparer la situation ? Et dans ce contexte, est-ce que vous avez déjà été si accablé, que vous vous êtes senti proche… du désespoir ? Ou bien, est-ce que vous avez déjà eu à accompagner ou à conseiller quelqu’un dans cette situation, quelqu’un de votre entourage, peut-être, et vous n’avez pas vraiment su quoi lui dire parce qu’il n’y avait tout simplement pas de solution que vous pouviez lui proposer !
En fait, est-ce que la vie, ça peut être gâché définitivement ? Est-ce qu’un échec dans un projet, une déception dans une relation, une perte, une erreur, une faute morale – est-ce que ça peut gâcher une vie, au point où cette vie, elle serait vraiment fichue ? Et est-ce qu’on doit vivre avec ce risque ?
Voilà un peu le sujet qu’on va aborder ce matin à travers le dernier chapitre du livre des Juges – un livre qu’on trouve dans la Bible, dans l’Ancien Testament, qui nous raconte des événements qui se sont produits plus de mille ans avant la naissance de Jésus, à une époque dans l’histoire d’Israël où les Israélites ont commencé à prendre possession de la terre promise, mais où il n’y avait pas encore de roi pour gouverner le pays.
Et les deux dernières fois, on a vu les deux premières parties d’une histoire vraiment sordide où une femme Israélite est morte dans des conditions horribles sous l’effet de la perversité d’autres Israélites ; et ça a conduit à une guerre civile où une tribu entière d’Israël – la tribu de Benjamin – a été complètement massacrée, hommes, femmes et enfants, à l’exception de six cents hommes, des guerriers qui avaient pu s’enfuir.
À la fin du chapitre qu’on a vu la dernière fois, on a une situation vraiment catastrophique. Des dizaines et des dizaines de milliers d’Israélites sont morts dans cette guerre civile, et pratiquement toute une tribu a été vouée à l’interdit, c’est-à-dire que les gens ont été tués, les troupeaux et les cultures ont été détruits, et les villes ont été rasées.
Mais maintenant, dans le sillage de ce massacre et de toute cette destruction, la tension va retomber, et le moment va arriver de mesurer l’étendue des dégâts. Et là, en gros, les Israélites vont être saisis de terribles regrets. Ils vont être effondrés, et ils vont se dire : « Mais qu’est-ce qu’on a fait ? » Et ensuite, ils vont se demander : « Mais qu’est-ce qu’on peut faire pour rattraper le coup et réparer la situation ? »
Et on va découvrir qu’ils vont essayer de réparer la situation, mais qu’en fait, ils vont surtout ajouter encore une couche de violence et d’injustice et d’hypocrisie, si bien qu’à la fin, on va vraiment se rendre compte que l’histoire d’Israël dans le livre des Juges, c’est tout simplement l’histoire d’un énorme fiasco.
Et donc ce dernier chapitre du livre des Juges soulève aussi cette question que je posais au début : est-ce que la vie, ça peut être gâché définitivement ? Est-ce qu’on peut arriver à un point où on a tellement fait l’idiot que c’est impossible de revenir en arrière et de réparer les dégâts et de retrouver un sens à la vie ? Et la réponse de notre texte, vous allez le voir, elle est ambivalente. D’une part, la réponse est oui, c’est possible de tellement se fourvoyer dans la vie que des conséquences douloureuses vont nous suivre pour le restant de nos jours (en tout cas sur cette terre) ; mais en même temps non, si on est croyant, notre vie n’est jamais gâchée définitivement, parce que Dieu est plus fort que tout, et il va poursuivre la réalisation de son projet de grâce en faveur de ses enfants.
On pourrait résumer la leçon de ce passage, et finalement peut-être de tout le livre des Juges, de la manière suivante : je n’ai pas la puissance par moi-même d’éviter le naufrage, ni de m’en relever, mais heureusement, il y a quelqu’un de parfaitement compétent, qui veut bien tenir le gouvernail de ma vie à ma place.
Donc ce passage, essentiellement, c’est le parachèvement de la débâcle d’Israël ! Toute cette histoire sordide, qui couvre les trois derniers chapitres du livre des Juges, nous est racontée exprès en dernier, pour bien nous faire comprendre la moralité de toute cette période dans l’histoire d’Israël : c’est que même quand on est le peuple élu de Dieu, on a quand même un cœur qui se porte vers le mal, et on a désespérément besoin d’un libérateur ultime qui va pouvoir nous délivrer non seulement des ennemis extérieurs, mais aussi et surtout de l’ennemi intérieur – c’est-à-dire du mal qui habite en nous.
Et donc finalement, les trois points de ce chapitre 21, ce sont des points qui récapitulent en quelque sorte toute la leçon du livre des Juges. Premièrement : je ne peux pas me fier à moi-même. La première chose que le texte nous fait comprendre, c’est qu’on doit faire attention à ce qu’on désire naturellement, parce qu’en fait, les « appétences » qu’on a par défaut, nos propensions, nos désirs, ce ne sont pas des choses qu’on devrait suivre spontanément. Ce ne sont pas des guides dignes de confiance.
Dans notre passage, on est censé être frappé par la douleur des regrets des Israélites. « Ils pleurèrent beaucoup » (v. 2), « ils éprouvèrent du repentir au sujet de Benjamin, leur frère » (v. 6), ce qui sera répété un peu plus tard (v. 15). Quelle est la raison de cette douleur ? La raison est répétée quatre fois au fil du chapitre : « il manque aujourd’hui une tribu d’Israël » (v. 3), « aujourd’hui, une tribu a été retranchée d’Israël » (v. 6), et un peu plus loin : « l’Éternel a fait une brèche dans les tribus d’Israël » (v. 15), et : « une tribu risque d’être effacée d’Israël » (v. 17). Les Israélites sont effondrés, accablés, rongés par le regret, parce que leur violence a conduit à l’éradication quasi-totale de la tribu de Benjamin, l’une des douze tribus d’Israël.
Et pourquoi est-ce que c’est arrivé ? Parce que les Israélites se sont acharnés contre la tribu de Benjamin. Au début de la guerre, l’intention était d’éliminer les « vauriens » de la ville de Guibea, et ainsi « d’extirper le mal du milieu d’Israël » (cf. Jg 20.13), mais le conflit s’est envenimé, il y a eu une « escalade », comme on dit, et finalement les Israélites, même une fois qu’ils ont gagné la victoire sur l’armée des Benjaminites, ils sont revenus dans le territoire de Benjamin et ils ont tout rasé en massacrant les humains et même les animaux (cf. Jg 20.48).
Donc ça, c’était un peu… excessif. Mais il se trouve, en plus, qu’ils avaient fait deux serments avant la guerre, et qu’ils n’avaient peut-être pas trop réfléchi aux conséquences de ces serments. Le premier, c’était que tous les clans en Israël devait se présenter devant Dieu à Mitspa, c’est-à-dire que c’était une sorte d’assemblée générale extraordinaire où on allait se mettre d’accord sur la manière de punir les habitants de la ville de Guibea. Or, les gens qui refuseraient de se présenter à cette assemblée générale extraordinaire seraient punis de mort. Ça, c’était le premier serment. Le second serment, qui a été fait par les gens qui étaient présents à l’assemblée générale extraordinaire, c’était que personne en Israël ne donnerait sa fille en mariage à un Benjaminite.
Et donc maintenant, les Israélites se retrouvent hyper embêtés. Il ne reste que 600 personnes dans la tribu de Benjamin, et ce sont tous des hommes. Et la secrétaire de l’Église Réformée Évangélique d’Israël a rédigé le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire, elle l’a fait signer à deux membres du bureau en exercice, et c’est très clair : on a décidé de ne pas donner de femmes à ces 600 hommes, et on a décidé de tuer tous ceux qui n’étaient pas là quand on a pris cet engagement et du coup, qui auraient pu donner leurs filles en mariage à ces Benjaminites. Ah ben, c’est ballot ! Comment est-ce que la tribu de Benjamin va survivre et se perpétuer, maintenant ?
Vous comprenez l’impasse dans laquelle les Israélites se sont mis, en raison de leur comportement et de leurs décisions complètement irréfléchies ? Le texte nous fait comprendre que les Israélites ont vraiment enchaîné les boulettes, si j’ose dire, et qu’ils s’en rendent compte maintenant. Ils éprouvent de profonds, profonds regrets. Que va-t-il arriver à notre frère ? Que ferons-nous pour eux ?
Ils n’auraient pas dû jurer comme ça. Ils n’auraient pas dû tuer comme ça. Et maintenant, ils sont dégoûtés, atterrés, désespérés. Et l’histoire est racontée ici comme exemple et comme rappel que lorsqu’on se gouverne soi-même, lorsqu’on s’appuie sur sa propre sagesse, lorsqu’on fait « ce qui nous semble bon », eh bien c’est hyper dangereux.
Imaginez que vous vouliez gravir une certaine montagne – je ne sais pas, disons la Barre des Écrins par exemple (4102 m). Et que vous embauchiez un guide de haute montagne pour qu’il vous montre le chemin, et qu’il prenne des décisions pour vous. Et imaginez qu’au moment où vous commencez à zig-zaguer entre les crevasses et à passer en-dessous d’énormes séracs (des blocs de glace) prêts à s’effondrer, et que vous commencez à gravir la face glaciaire en direction de l’arête rocheuse toute fine et exposée au vide, vous êtes en train de discuter avec votre guide et vous apprenez que ce guide-là, sur la Barre des Écrins, a jusqu’ici perdu 30% de ses clients dans des accidents mortels ! Vous ne seriez pas très rassurés, et peut-être que vous demanderiez tout d’un coup à faire demi-tour.
Eh bien notre passage, dans un premier temps, nous incite à ce genre de lucidité sur nous-même. Je ne peux pas me fier à moi-même. Je dois me méfier de ce que je désire naturellement, parce que ce qui me vient naturellement, ce n’est pas fiable – ni mes raisonnements, ni mes émotions, ni même ma perception du réel. Attention, je ne dis pas qu’on vit dans Matrix et qu’on ne peut rien croire ! Simplement, on ne peut pas se laisser conduire aveuglément par ce qui vient de l’intérieur de nous – par notre guide intérieur ! On a besoin d’un guide plus fiable que nous-même, on a besoin d’un cadre extérieur à nous-même, on a besoin d’un protocole de sécurité, d’un contrôleur indépendant qui va nous empêcher de suivre nos propensions naturelles afin de nous préserver de la destruction !
Dans un article qui a été publié en 2004 dans les Cahiers de psychologie clinique, intitulé « Psychanalyse du meurtre totalitaire », le psychanalyste Guy Laval s’intéresse au processus psychologique qui a pu conduire à la Shoah (la tentative d’extermination des Juifs) au début des années 1940. Il reconnaît que c’est très perturbant que des gens ordinaires qui n’étaient pas du tout des assassins à la base, aient pu participer à ces meurtres de masse. Ce psychanalyste n’est pas du tout chrétien, et il s’interroge : « Si un tel événement peut surgir n’importe quand, dans n’importe quels lieux ou circonstances, alors notre société humaine ne repose sur aucun fondement solide et pérenne, elle peut se déliter à tout moment sans préavis. Il importe donc d’examiner cette question sous toutes ses faces […] »
Mais sa conclusion est intéressante. Il dit que les élites de cette époque, en Allemagne notamment, ont su capter et exploiter les pulsions meurtrières de la population au lieu d’assumer leur rôle de contrôle et de garde-fou. Et finalement en tant que psychanalyste, il affirme quelque chose d’assez juste : c’est que ce potentiel d’horreur se trouve en chacun de nous. Dans le langage de Freud et de la psychanalyse, c’est ce qu’on appelle le « ça », mais dans le langage de la Bible, c’est tout simplement notre nature déchue.
Et ça, c’est le premier point. Est-ce que vous et moi, on reconnaît cette réalité, à savoir qu’on a besoin d’aide extérieure pour nous protéger de nous-mêmes. Nos désirs naturels n’ont pas toujours l’air très méchants, mais la vérité, c’est que si on se laisse guider par eux, c’est comme marcher les yeux fermés, c’est dangereux, ça peut conduire à la catastrophe.
Et une fois que la catastrophe est arrivée, une fois que « ma réalité m’a alité » (pour citer le groupe de rock français Téléphone), c’est-à-dire que l’illusion de mes désirs m’a conduit à l’hôpital – eh bien, deuxièmement, je ne peux pas me racheter moi-même. La suite de notre texte (v. 8-16) nous montre que si on essaie de réparer notre vie nous-même, ça peut nous coûter hyper cher, mais on ne va pas y arriver à la fin.
Ce qui se passe dans notre passage, c’est que les Israélites vont essayer de résoudre le problème dans lequel ils se sont embourbés. Alors ils se disent que s’ils trouvent une ville en Israël qui ne s’est pas présentée à l’assemblée générale extraordinaire, ils vont aller tuer ses habitants comme ils en avaient fait le serment, mais ils vont laisser la vie sauve aux jeunes femmes célibataires pour pouvoir les donner aux hommes survivants de la tribu de Benjamin. Alors ils demandent à la secrétaire de l’Église Réformée Évangélique d’Israël de consulter la feuille d’émargement, et là, ils voient que la ville de Yabéch n’est pas venue à la réunion et n’a pas remis son pouvoir à un autre membre pour se faire représenter ! Erreur fatale !
Alors, les Israélites envoient une armée à Yabéch pour massacrer tout le monde, y compris les femmes et les enfants (v. 10) et pour récupérer les jeunes femmes célibataires.
Le texte nous raconte ça comme ça, assez froidement, mais on est censé être horrifié par ce qui se passe. On pensait qu’avec la défaite de la tribu de Benjamin, c’était peut-être la fin de la guerre civile, mais en fait, non, ça continue ! Et pourquoi ça continue ? Parce que les Israélites continuent d’essayer de trouver des solutions par eux-mêmes. Ils continuent de suivre leur propre sagesse. Et c’est tellement horrible et absurde qu’il y a presque un genre d’humour noir dans le texte.
« Ah là là, qu’est-ce qu’on va faire pour nos frères les Benjaminites… Ouin, ouin, on s’est un petit peu emporté et on les a presque tous massacrés. Eh les gars, j’ai une idée ! Et si on massacrait d’autres de nos frères et qu’on kidnappait leurs jeunes filles pour les marier de force avec les survivants de Benjamin ? Ah ouaaaiiis ! »
C’est vraiment la cata, vous comprenez ? C’est comme quand on est en train de bricoler et qu’on fait une erreur ou que ça ne se passe pas comme prévu, et qu’on essaie de rattraper le coup, mais en fait ça empire la situation, et petit à petit ça dégénère. À la base, vous deviez juste faire un petit trou dans le mur pour suspendre un cadre, et à la fin, vous avez une porte.
Et c’est ce qu’on a dans le texte. Les Israélites essaient de bricoler une solution à leur problème, mais ils empirent le truc. Et surtout, ils n’y arrivent pas, puisqu’ils ne récupèrent « que » 400 femmes, et il leur en fallait 600. Et au verset 16, on a pratiquement la même question qu’au verset 7 : « Que ferons-nous pour qu’ils aient des femmes ? » Et là, on se dit : « Mais arrêtez ! Stop, stop ! Vous êtes juste en train de vous enfoncer de plus en plus ! » Et on verra effectivement, qu’ils vont encore trouver une mauvaise solution.
Mais avant d’y venir, on doit se rendre compte de ce que le passage est en train de nous montrer. Il est en train de nous montrer qu’on n’a pas les moyens de se réparer soi-même ou de se racheter soi-même. On peut essayer, si on veut, mais ça va nous coûter hyper cher, et même quand on aura tout dépensé, on n’aura pas réussi. Et même, si on s’obstine à essayer de se racheter soi-même, ça peut nous conduire à une catastrophe encore plus grande. C’est comme si on voulait rembourser une dette en empruntant de l’argent ailleurs.
J’ai déjà fait référence à ce film dans une autre prédication ; il s’agit du film Sept vies, avec Will Smith (2008), qui raconte l’histoire d’un homme qui a causé un accident, par sa faute, ayant entraîné la mort de sept personnes. Et tout le film, c’est l’histoire de cet homme qui cherche à se racheter. Je ne vais pas vous raconter la fin, si vous ne l’avez pas vu, mais la moralité de ce film, en fait (et je ne pense pas que ce soit volontaire de la part du réalisateur) – la moralité, c’est qu’on ne peut pas se racheter soi-même.
Si on essaie, ça peut nous coûter cher, et ça peut même nous coûter tout ce qu’on a, et on n’y arrivera quand même pas. Et on doit se rendre compte de ça, et accepter cette réalité. On a peut-être envie de « tout foutre en l’air » (pardonnez-moi l’expression), mais ça ne permettra pas de corriger ce qui ne va pas. On n’est pas apte à réparer nos dégâts nous-mêmes ; on va seulement les empirer.
Et donc si aujourd’hui, vous êtes dans une situation un peu comme ça : vous avez l’impression d’avoir commis des fautes irréparables, vous avez l’impression d’avoir gâché votre vie et d’être au fond d’une impasse – eh bien, il faut déjà accepter de ne pas chercher de solution en vous-même. C’est possible que ce qui vous a conduit dans cette situation, c’est justement ce qu’il y avait en vous-même !
Mais si vous rêvez d’un autre monde, il faut accepter que c’est par un secours extérieur et surnaturel que cet autre monde peut venir. Et parfois, on tombe tellement bas que cette réalité nous apparaît comme une évidence. Quand on a tout perdu, qu’on est au fond d’un trou et qu’il ne nous reste que nos regrets, ça peut nous sembler évident que la seule chose qui pourra nous relever, c’est un miracle.
Mais n’attendons pas d’être dans cette situation pour le croire. Notre passage a été écrit pour nous alerter, et pour qu’on prenne conscience, quelle que soit notre situation actuelle, que je ne peux pas me racheter moi-même. Je ne peux pas réparer ma vie moi-même. J’ai besoin d’une aide extérieure à moi-même et surnaturelle. Est-ce que je le crois ?
Troisièmement et dernièrement, je ne peux pas me gouverner moi-même. Si on revient une dernière fois au texte (v. 17-25), on arrive à la conclusion non seulement de ce chapitre, et de cet épisode de cet outrage à la femme du Lévite, qui a couvert les chapitres 19 à 21, mais c’est aussi la conclusion de tout le livre des Juges. Et ce que le texte veut nous faire comprendre pour terminer, c’est que nos propres capacités à nous gérer nous-mêmes sont tout-à-fait désespérantes, et pourtant, le projet de grâce de Dieu va se poursuivre.
Je le disais, donc, les Israélites se demandent comment ils vont trouver les 200 femmes qui leur manquent encore pour que les survivants de la tribu de Benjamin puissent assurer leur descendance. Et là, quelqu’un a encore une brillante idée : « Eh, vous savez quoi ? Je viens de me rappeler qu’il y a un culte spécial tous les ans organisé par l’Église baptiste de Silo ; on n’a qu’à dire aux Benjaminites qui ont besoin d’une femme, d’aller là-bas et de capturer en douce celle qu’ils veulent, et de vite s’enfuir dans leur camionnette blanche ! Ah ouaaaiiis ! »
Et ils ont bien réfléchi au truc, en plus, parce que si ils capturent les femmes, ça permettra de dire que ce ne sont pas les familles qui les ont volontairement données en mariage aux Benjaminites. Du coup, ça permettra de respecter le serment qu’ils avaient fait – quel génie !
Je ne sais pas si vous voyez l’humour noir, en fait, qu’il y a dans le texte. C’est très sarcastique : si les pères ou les frères de ses femmes se plaignent, on leur dira :
« Ce n’est pas vous qui les leur avez données ; en ce cas, vous seriez coupables. » (v. 22)
Franchement, vous voyez la manière qu’ils ont de réfléchir, ces Israélites ? C’est complètement tordu.
La loi de Moïse interdit formellement le fait de dérober une personne – c’est-à-dire l’enlèvement et la séquestration (Exode 21.16). En fait, celui qui fait ça, normalement, il doit être puni de mort ! Mais bon ! Les Israélites essaient de réparer eux-mêmes la situation, et le mal engendre le mal, et ils ne font que s’enfoncer de plus en plus dans la débâcle. Vous comprenez le tableau que l’auteur nous dresse à la fin du livre des Juges ? C’est le tableau d’un désastre. Le projet de conquête de la terre promise, et d’occupation de la terre promise, et de vie en terre promise selon les lois bienfaisantes de Dieu et selon la vocation que Dieu avait adressée à Israël – tout ça, c’est un échec lamentable !
Pourquoi ? La raison nous en est donnée en conclusion.
« En ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon. » (v. 25)
Nos propres capacités à nous gérer nous-mêmes sont tout-à-fait désespérantes !
Et pourtant. Malgré toutes ces horreurs, malgré toutes les infidélités d’Israël, malgré tous ses délires et ses fourvoiements et toute la dureté du cœur des Israélites, eh bien malgré tout ça, la tribu de Benjamin va subsister. Les Israélites ont commis des actes horribles, injustifiables, inexcusables, et pourtant selon sa providence, Dieu va utiliser ça pour préserver cette branche du peuple, dont sera issu, bizarrement, le premier roi d’Israël : le roi Saül.
Peut-être que ça aurait été mieux que la tribu de Benjamin s’éteigne, quand on voit tout le mal qui a été fait par le roi Saül ! Mais quoi qu’il en soit, ce qu’on peut dire, c’est que la fin du livre des Juges nous pointe vers la suite de l’histoire. L’histoire va se poursuivre. Le projet de Dieu va aller de l’avant. Comme les chantaient les Inconnus dans la chanson Les bijoux de Cherbourg : « Maaiiis la vie continue, continue, continue » !
« En ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël ». Mais l’auteur sous-entend que le temps va venir où il y aura un roi en Israël, et l’auteur le sait d’autant plus qu’il écrit lui-même vraisemblablement sous le règne d’un roi en Israël. Certes, il y aura le roi Saül, qui ne sera pas un super roi, mais ensuite, il y aura le bon roi David, un homme selon le cœur de Dieu (cf. Ac 13.22).
L’auteur du livre des Juges conclut en disant en quelque sorte : « Telle est toute la moralité de cette histoire. Quand on fait ce qui nous semble bon, on court à la catastrophe, même si on est le peuple élu de Dieu. Ce qu’il nous faut, c’est un roi fiable qui va nous gouverner selon Dieu. Il nous faut ce personnage ultime qui, au fil des pages de mon livre, a été incarné imparfaitement par Otniel, Éhoud, Chamgar, Baraq, Gédéon, Tola, Yaïr, Jephté, Ibtsân, Élôn, Abdôn et Samson. Il nous faut le libérateur et le juge. Il nous faut quelqu’un qui va pouvoir faire un miracle. Quelqu’un qui va pouvoir nous relever alors qu’on est tombé au fond d’un gouffre et qu’on creuse encore ! Quelqu’un qui va pouvoir régler notre dette, pour nous réconcilier avec Dieu, et qui va pouvoir déployer dans notre cœur la puissance surnaturelle nécessaire pour nous délivrer du mal qui est enraciné en nous, et qui va triompher de tous nos ennemis et nous permettre d’entrer dans notre héritage et de vivre en sécurité pour toujours ! »
Vous voyez, la fin du livre des Juges nous fait rêver d’un autre monde. L’auteur fait rêver ses premiers destinataires d’un autre monde. Ce sont les Israélites de l’Antiquité, qui en lisant leur propre histoire se rendent compte de leur faiblesse et leur infidélité, et qui mesurent combien ils ont besoin d’un secours extérieur et surnaturel, pour que les promesses que l’Éternel leur avait faites se réalisent un jour.
Et nous aussi, 3000 ans plus tard environ, on lit ce récit qui est l’histoire d’une chute, en fait – c’est l’histoire d’un enfoncement dans le mal, d’une désillusion, c’est l’histoire d’Israël qui gâche tout à cause de ce qu’il y a dans le cœur-même des Israélites – on lit tout ça, et ça nous fait rêver nous aussi d’un autre monde. Quel est ce monde dont on rêve ? Branchons quelques électrodes sur notre crâne, réalisons une petite polysomnographie rapidement, et enregistrons nos rêves sur une carte SD. Qu’est-ce qu’on a ? Eh bien on rêve du monde que Dieu a promis, un monde où on sera relevé, et réparé, et guéri, et où on pourra vivre dans un bonheur sans fin, en communion avec Dieu et avec notre prochain.
Non, je ne peux pas me gouverner moi-même, mais la bonne nouvelle, c’est que Dieu a envoyé ce libérateur et juge ultime qui peut faire un miracle dans ma vie. Quel est son nom ? Jésus-Christ. Il est le Sauveur parfait parce qu’il est Dieu, qui a pris la nature d’un homme pour s’approcher de nous et pour s’offrir lui-même en rançon pour notre délivrance.
Ce qui s’est passé, c’est que Jésus s’est présenté volontairement à la croix comme sacrifice pour prendre sur lui les péchés de tous les croyants – c’est-à-dire pour assumer lui-même les conséquences du mal qu’il y a dans notre cœur si on est croyant. Et il a fait ça justement pour enlever cet obstacle qui nous séparait de Dieu. Il a littéralement accompli un miracle pour nous, en mourant sur la croix, et en ressuscitant le troisième jour. C’est le miracle de notre salut. C’est le miracle de notre pardon, et de notre justification, et de notre régénération, et de notre adoption comme enfants de Dieu, et de notre future résurrection, et de notre guérison complète à venir, et de notre vie éternelle dans le paradis.
La question la plus importante qui se pose, là, tout de suite, c’est : est-ce que vous avez placé votre confiance en Jésus ? Il est vivant, il vous appelle à lui, il vous présente sa grâce, et il n’y a rien de plus important dans l’existence d’un être humain que de savoir si on a répondu à cet appel. Il est la clef du sens de notre existence.
Si je suis croyant, si j’ai placé ma foi en Jésus, si je me repose en lui, alors ma vie est en lui pour toujours, il est tout pour moi, il est devenu ma réalité – ou plutôt, ma réalité est devenue lui – et « ma réalité m’a pardonné » ! Quelle merveilleuse nouvelle.
En introduction, on se posait la question : est-ce que la vie, ça peut être gâché définitivement ? Est-ce que ça vous est déjà arrivé d’avoir cette impression que vous aviez tout gâché, et qu’il n’y avait aucun moyen de revenir en arrière et de réparer la situation ? Ou bien est-ce que vous avez déjà rencontré des personnes comme ça, peut-être des personnes de votre entourage qui sont proches du désespoir ? Est-ce qu’on doit vivre avec le risque que notre vie se retrouve complètement gâchée un jour, sans espoir de réparation ou de retour en arrière ?
Et le passage qu’on a regardé ensemble ce matin, finalement, il répond à cette question de façon ambivalente. Oui, c’est vrai qu’on peut commettre des choses irréparables et que les conséquences de nos actes doivent parfois nous suivre pour le restant de nos jours. Dans notre texte, à la fin du livre des Juges, Israël est un champ de ruines, le sang n’a pas encore séché à la surface du sol et on n’a pas fini de pleurer la mort de dizaines de milliers d’Israélites.
Mais en même temps, non, si on est croyant, notre vie n’est jamais gâchée définitivement, parce que Dieu est plus fort que tout, il est immuable et irrésistible, et il va poursuivre la réalisation de son projet de grâce en faveur de ses enfants.
Comme je l’ai dit au début, c’est peut-être la leçon de tout le livre des Juges, finalement : je n’ai pas la puissance par moi-même d’éviter le naufrage, ni de m’en relever, mais heureusement, il y a quelqu’un de parfaitement compétent, qui veut bien tenir le gouvernail de ma vie à ma place. Ce quelqu’un de parfaitement compétent, c’est Dieu, qui s’est approché de nous par Jésus-Christ et qui a tout accompli pour nous.
Je ne peux pas me fier à moi-même, parce que je suis dangereux. Je dois avancer dans la vie avec cette lucidité et cette vigilance. Les désirs, les raisonnements, les émotions qui procèdent naturellement de mon cœur peuvent me paraître justes et bons, mais en réalité, je ne suis pas apte par moi-même à faire ce jugement. J’ai besoin d’être éclairé, d’être conduit, d’être gardé par Dieu lui-même, qui lui, est parfaitement juste et fiable. Il m’a donné sa révélation spéciale consignée dans les pages de la Bible. Si je suis croyant, il a fait de moi son enfant et il a déversé en moi son Esprit-Saint qui va m’aider à comprendre les Écritures. Il m’a donné des moyens de grâce pour que je puisse progresser dans ma compréhension de la vérité, et grandir en sagesse, et apprendre à reconnaître les mauvais penchants qu’il y a en moi. Parmi ces moyens de grâce, évidemment, il y a les enseignements de l’Église, il y a la sainte-cène, il y a la prière, il y a l’amitié et le soutien des frères et sœurs dans la foi.
Je ne peux pas me racheter moi-même, parce que je n’en ai pas les moyens ! Si j’ai commis des choses irréparables, et si je suis rongé par la honte et la culpabilité, et si j’ai l’impression d’être coincé au fond d’une impasse, je dois accepter qu’aucun effort de ma part ne va me permettre de m’en sortir, même si je devais payer le prix ultime qui serait celui de ma vie. La tentation serait d’essayer de corriger les conséquences du mal par un autre mal ! Et ça, ça ferait bien l’affaire du diable. Mais Jésus a désarmé le diable en payant lui-même complètement la dette de nos péchés, si on est croyant. Du point de vue de Dieu, si on a la foi en Jésus, on n’a plus du tout de dette à payer. Certes, le péché entraîne souvent des conséquences pratiques dans la vie, auxquelles on doit faire face. Mais Dieu demeure souverain, et selon sa providence, même les conséquences de nos péchés peuvent être utilisées par lui pour accomplir son bon projet pour nous. Tournons-nous vers lui dans la prière, tournons-nous vers nos frères et sœurs pour nous appuyer sur leur soutien, leur consolation et leurs conseils, et ne pensons pas que Dieu n’est pas assez fort pour nous relever et nous remettre en route !
Enfin, je ne peux pas me gouverner moi-même, parce que je n’ai ni la sagesse ni la puissance de le faire comme il faut. Heureusement que Jésus se présente à nous comme Sauveur et Seigneur. Mais quand on entend ce mot de « Seigneur », on imagine peut-être un dictateur, un tyran, un père fouettard. En réalité, Jésus est le bon Berger, il est un tendre maître, il est notre grand frère bienveillant et protecteur. Il nous veut du bien, et il veut nous gouverner pour notre bien. À nous de recevoir avec gratitude et docilité la bonne discipline de notre rédempteur qui a payé un si grand prix pour nous racheter, et qui veut maintenant nous relever et nous réparer progressivement, par le moyen de sa Parole, par la puissance de son Esprit, pour qu’on soit ses témoins dans le monde. Et donc restons solidaires de son Église, pour nous exhorter les uns les autres à l’amour et aux bonnes œuvres (Hé 10.24), serrons-nous les coudes, marchons ensemble sur ce chemin qui va nous conduire jusque dans la vie éternelle.