Ce Jésus que vous avez crucifié

Par Alexandre Sarranle 27 novembre 2016

Est-ce que nous avons conscience du mal qui est en nous ? Je pense que la réponse honnête à cette question, c’est : « Plus ou moins ». La plupart d’entre nous, nous nous regardons dans la glace et nous n’avons pas l’impression d’être des monstres. Bien sûr, nous prononçons parfois une parole de travers, nous avons parfois des pensées impures, nous agissons parfois avec de mauvaises intentions, nous avons parfois des motivations égoïstes… Mais tout ça, ce n’est rien d’extraordinaire. Quelques-uns parmi nous, nous pensons même être plutôt de bonnes personnes par rapport à la moyenne. Nous ne nous dirions pas parfaits (quand même pas !), mais nous ne sommes pas rongés par la culpabilité et nous sommes relativement satisfaits par nos performances morales.

Il y en a d’autres parmi nous, au contraire, qui sommes profondément affligés—et peut-être découragés—par la tendance que nous avons, clairement, à faire le mal. Il s’agit peut-être de choses que nous avons faites dans le passé et dont nous avons honte, ou des choses que nous faisons de manière habituelle et que nous n’arrivons pas à surmonter. Nous avons tous plus ou moins conscience du mal qui est en nous ; mais quelle que soit notre situation aujourd’hui, que nous nous considérions comme étant des personnes mauvaises ou pas si mauvaises, nous avons en tout cas quelque chose en commun, c’est que nous sommes, en réalité, pires que nous le pensons !

Et il est important pour nous de comprendre cela, et de grandir dans notre conscience du mal (ou du péché) qui est en nous, mais pas pour déprimer (ou déprimer encore plus), mais plutôt pour grandir aussi (par conséquent) dans notre appréciation de ce que Dieu a fait pour nous délivrer du mal, par Jésus-Christ. C’est précisément le but du texte qu’on est sur le point de lire. Tu veux savoir à quel point ton péché est grand ? C’est simple : c’est ton péché qui a tué Jésus-Christ. Mais tu veux savoir à quel point ton Sauveur est grand ? C’est simple : Jésus-Christ, étant innocent, est mort pour le coupable que tu es.

1. La culpabilité des accusateurs

Cet épisode raconte donc le procès de Jésus, qui comparaît devant le gouverneur romain qui s’appelle Ponce Pilate. Et la première chose que ce texte veut nous faire remarquer, c’est la culpabilité… non pas de l’accusé, mais des accusateurs ! On a en fait ici, un véritable récit à charge contre les responsables religieux juifs de cette époque, qui sont les principaux instigateurs de la mise à mort de Jésus. Leur rôle est clairement souligné dès les premiers versets (v. 1-2), puis on découvre toute l’étendue de leur malice à l’encontre de Jésus, puisque, d’abord, ils sont hypocrites dans leur relation avec Judas (se déchargeant sur lui de leur responsabilité, v. 4 ; puis couvrant leur crime de scrupules religieux, v. 6), ensuite, ils poursuivent aveuglément leur objectif, et de manière machiavélique (en manipulant la foule, au point de demander la libération d’un criminel notoire à la place de Jésus, v. 20), enfin, ils font preuve d’une obstination complètement furieuse et irrationnelle en réponse aux hésitations de Pilate (au point de prononcer une terrible imprécation, v. 25).

On est censé vraiment frémir en découvrant cette histoire, parce qu’on voit qu’il y a des gens qui s’acharnent contre Jésus ; et ces gens, ce ne sont pas les Romains ou des barbares, mais ce sont les responsables religieux juifs de l’époque. C’est-à-dire que ce sont les responsables du peuple du messie qui s’acharnent contre le messie pour le faire mourir ! Vous vous souvenez peut-être de la sortie du film La Passion du Christ en 2004, un film de Mel Gibson qui raconte les souffrances de Jésus et sa crucifixion. Lors de la sortie du film, il y a eu une polémique concernant le message prétendument antisémite du film. Pourquoi ? Parce que le film semble montrer que les autorités juives de cette époque sont les principales responsables de l’exécution de Jésus. Or sur ce point-là en tout cas, le film correspond bien à ce qui est décrit dans ce récit, non ?

Mais dans quel but, le récit nous montre-t-il cela ? Est-ce que c’est pour nous faire détester les Juifs ? Bien sûr que non. Les Juifs dans ce texte représentent le peuple de Dieu ; ils sont le peuple du messie, le peuple de la loi et des promesses, le peuple du royaume des cieux. Ce n’est pas leur appartenance ethnique qui les caractérise, mais leur relation à Dieu. Plutôt que de dire : « Ce sont les Juifs qui ont fait mourir Jésus », on devrait plutôt dire : « Ce sont les croyants pratiquants qui ont fait mourir Jésus ». Et c’est qui les « croyants pratiquants » aujourd’hui, sinon nous qui sommes à l’église, en train de lire et d’étudier ce texte ? Le but n’est donc pas de nous faire pointer les Juifs du doigt, mais de piquer notre propre conscience.

Imaginez une grosse entreprise présidée par un PDG et gérée par un conseil d’administration. Il se trouve qu’un jour, le conseil d’administration sous l’initiative d’un homme en particulier, le vice-président, décide de prendre de très mauvaises décisions qui conduisent l’entreprise au bord de la faillite. Et il se trouve que cet homme, principal responsable du déclin de l’entreprise, est noir. Finalement, le PDG reprend les choses en main, cet homme se fait renvoyer, et vous prenez sa place en tant que vice-président de l’entreprise. Est-ce que vous allez vous dire : « Bon, je ne risque pas de faire les mêmes erreurs que ce gars, puisque moi je ne suis pas noir ! ». Ou pire encore : « Les noirs sont coupables du déclin de mon entreprise ». Non, ce serait absurde. Ce n’est pas en tant que noir, que cet homme a fait des erreurs, mais en tant que vice-président. Et puisque vous êtes vice-président à votre tour, vous feriez mieux de tirer des leçons des erreurs de votre prédécesseur, et cela devrait vous inciter à vous examiner vous-même et à vous appliquer dans votre travail.

De la même façon ici, lorsque Matthieu écrit ce texte, il le fait à l’attention de gens qui se disent croyants et pratiquants, et d’ailleurs qui sont pour la plupart des Juifs de naissance ! Son but n’est pas de jeter l’opprobre sur les Juifs, mais bien plutôt de pointer notre propre péché. Au v. 18, il nous est précisé la motivation qui a conduit ces responsables religieux à chercher à faire tuer Jésus : la « jalousie », c’est-à-dire l’envie, la recherche et la protection d’un intérêt personnel, et n’est-ce pas là en effet la force puissante, profondément ancrée en nous, qui conditionne beaucoup de nos actes et de nos paroles ? Le péché des croyants qui sont dans ce texte, c’est le péché des croyants qui sont dans cette salle aujourd’hui : leur jalousie, c’est la nôtre, leur hypocrisie, c’est la nôtre, leur aveuglement, c’est le nôtre, leur obstination irrationnelle dans la défense de leur intérêt personnel (au détriment de la dépendance de Dieu et de l’obéissance à Dieu), c’est la nôtre.

Oui, nous sommes aussi mauvais que ça par nature ; et non, le mal qui est en nous n’est pas différent du mal qui était en eux. Nous sommes pires que nous le pensons, et c’est notre péché qui a tué Jésus. Et de ce point, on peut tirer une première application, c’est que quand on lit ce type de passage où l’on découvre une telle méchanceté, même irrationnelle et violente, il serait facile de pointer du doigt les autres. « Ces disciples, qu’est-ce qu’ils sont bêtes. Ces Pharisiens, qu’est-ce qu’ils sont rigides et hypocrites. Ces responsables religieux, qu’est-ce qu’ils sont aveugles et obstinés. Tiens, ça me fait penser à Bernard. Ah là là, Brigitte aurait vraiment besoin d’entendre cette prédication… » En fait, nous devrions prendre à notre compte ce type de passage, et jeter un regard lucide sur notre propre cœur. Je suis capable d’une telle méchanceté.

2. L’innocence de l’accusé

Mais le texte nous présente un contraste frappant entre la culpabilité des accusateurs, d’une part, et… l’innocence de l’accusé d’autre part. Ce passage souligne en effet l’innocence de Jésus, par différents moyens. D’abord, il y a la confession de Judas qui reconnaît avoir livré « le sang innocent » (v. 4) ; ensuite, il y a Madame Pilate qui conseille à son mari, le gouverneur, de ne pas se mêler de « l’affaire de ce juste » (v. 19) ; ensuite, il y a le témoignage de Ponce Pilate lui-même qui demande : « Mais quel mal a-t-il fait ? » (v. 23) et qui déclare enfin de manière très solennelle : « Je suis innocent du sang de ce juste » (v. 24), renvoyant aux responsables religieux la balle qu’ils avaient eux-mêmes renvoyée à Judas (cf. v. 4). Il y a clairement un contraste, ici, entre l’exceptionnelle culpabilité des accusateurs de Jésus et l’exceptionnelle innocence de Jésus lui-même. Pourquoi Matthieu juge-t-il important de souligner ce point ?

Eh bien il veut tout simplement nous émouvoir. Nous avons pu voir que la méchanceté des responsables religieux (et celle de la foule complice) était la nôtre ; et maintenant nous voyons l’innocence de notre Sauveur, que nous avons crucifié. Ce qui est frappant, c’est que Jésus ne se défend pas contre ses accusateurs (v. 13-14), ce qui montre que Jésus prend sur lui la méchanceté de son peuple. Autrement dit, c’est notre péché qui a tué Jésus, et Jésus, étant innocent, assume d’être tué par notre péché. Et on est censé être bouleversé par ce constat.

Alors, on est régulièrement touché émotionnellement par des procès qui ont lieu dans notre pays. Cette semaine, par exemple, il y a deux affaires judiciaires qui ont fait l’actualité. Dans les deux cas, le verdict qui a été prononcé a beaucoup fait parler. D’un côté, la cour d’appel de Paris a rejeté la demande de libération conditionnelle formulée par Jacqueline Sauvage, qui a assassiné son mari violent en 2012 ; et beaucoup de gens ont pris la parole pour dire : « C’est pas juste, elle n’a fait que se défendre, elle mérite de sortir de prison ». De l’autre côté, on a le verdict dans le procès de la mère et du beau-père de la petite Fiona qui a disparu en 2013 : le procureur avait requis trente ans de prison pour le couple, finalement la mère est condamnée à 5 ans, et le beau-père à 20 ans. Là aussi, des gens ont pris la parole pour dire : « C’est pas juste, ils ont martyrisé une petite fille de 5 ans, ils méritent la peine maximale ».

Parfois, un procès en bonne et due forme peut aboutir sur un verdict qui peut sembler injuste à certains, n’est-ce pas ? Et quand c’est le cas, on a du mal à l’accepter. Maintenant, imaginez que vous ayez un lien personnel, de parenté ou d’amitié, avec un ou plusieurs protagonistes dans un tel procès ; vous vous sentiriez encore plus impliqué émotionnellement. À combien plus forte raison devrions-nous nous sentir impliqués émotionnellement dans le procès… de Jésus, où le texte est en train de nous dire que c’est notre culpabilité qui a fait exécuter le messie Jésus-Christ, le juste !

Et il se passe un truc tout-à-fait remarquable dans cette histoire, et c’est à la fois providentiel, et d’une certaine manière prophétique : c’est qu’il y a une substitution qui s’opère entre Jésus-Christ l’innocent, et Barabbas le criminel notoire. Jésus prend la place de Barabbas. Et c’est une image évidente de la raison pour laquelle Jésus a assumé d’être « tué par notre péché », bien qu’il fût parfaitement innocent. C’était pour prendre notre place sous le jugement de Dieu, pour que nous soyons délivrés de la dette de nos péchés et réconciliés avec Dieu. L’apôtre Pierre en parle ainsi :

« Christ est mort […] pour les péchés, lui juste pour des injustes, afin de vous amener à Dieu. » (1 Pi 3.18)

Il y a donc ici une invitation solennelle adressée à tous les hommes qui n’ont pas encore placé leur confiance en Jésus, une invitation parfaitement résumée par l’apôtre Paul :

« Soyez réconciliés avec Dieu ! Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » (2 Co 5.20-21)

(Le film Barabbas [1961, avec Anthony Quinn] imagine la vie de ce criminel après ces événements, et montre que Barabbas ayant été gracié, ne peut plus être condamné à mort par Pilate.)

Alors il y a une application à tirer aussi de ce point : c’est que bien que notre méchanceté soit vraiment profonde et sérieuse, cette méchanceté qui nous caractérise peut être remplacée, aux yeux de Dieu, par l’innocence de Jésus, et pas seulement par son innocence, mais par sa justice (sa parfaite obéissance), à condition que nous ayons foi en lui. C’est-à-dire à condition que nous reconnaissions ce qu’il a fait par sa mort et sa résurrection, et que nous lui fassions entièrement confiance.

Voilà pourquoi je disais en introduction qu’il y a vraiment deux choses à tirer, principalement, de ce passage : c’est que nous sommes pires que nous le pensons ; mais que Jésus est aussi un meilleur Sauveur que ce que nous pourrions être tentés de croire ! Nous avons tous plus ou moins conscience du mal qui est en nous ; et que nous nous considérions comme plutôt moyens ou plutôt mauvais, nous devons reconnaître qu’en réalité, nous sommes capables de, et même par nature enclins à, faire preuve d’autant d’hypocrisie, d’aveuglement et d’obstination furieuse à l’encontre de Dieu, que les « croyants pratiquants » de cette histoire, au point même de prononcer notre propre malédiction, tellement nous sommes empêtrés dans la défense de nos propres intérêts !

Mais Jésus le juste a pris sur lui la méchanceté de son peuple, il a accepté d’être tué par le péché de son peuple, et de se substituer à son peuple sur la croix ! Et donc nous devons grandir à notre tour dans la conscience du mal qui est en nous, mais pas pour que cela nous pousse au désespoir ; plutôt pour que cela nous fasse grandir dans notre appréciation de ce que Dieu a fait pour nous délivrer du mal, par Jésus-Christ.

Et vous vous demandez peut-être comment tout ça s’est terminé : un mois et demi plus tard, l’apôtre Pierre est en train de prêcher la bonne nouvelle de la résurrection de Jésus, auprès de la population de Jérusalem, et parmi les gens qui sont présent, beaucoup étaient là lorsque Jésus a été crucifié, et beaucoup avaient joint leur voix à la foule qui criait : « Crucifie-le ! Et que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! ». Pierre leur déclare, maintenant, sur la base de la résurrection de Jésus :

« Que toute la maison d’Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. » (Ac 2.36)

Et un peu plus tard, il ajoute :

« Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate qui avait jugé bon de le relâcher. Mais vous, vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé comme une faveur qu’on vous remette un meurtrier. Vous avez fait mourir le prince de la vie, que Dieu a ressuscité d’entre les morts ; nous en sommes témoins […] ».

Est-ce qu’il y a de l’espoir pour ces gens ?

« Et maintenant, frères, je sais que vous avez agi par ignorance, ainsi que vos chefs. Mais Dieu a de la sorte accompli ce qu’il avait annoncé d’avance par la bouche de tous les prophètes, c’est-à-dire les souffrances de son Christ. Repentez-vous donc et convertissez-vous, pour que vos péchés soient effacés. » (Ac 2.36 ; 3.13-19)

Alors tu veux savoir à quel point ton péché est grand ? C’est simple : c’est ton péché qui a tué Jésus-Christ. Mais tu veux savoir à quel point ton Sauveur est grand ? C’est simple : Jésus-Christ, étant innocent, est mort pour le coupable que tu es. Prenons conscience, simultanément, de ces deux réalités : « Là où le péché s’est amplifié, la grâce a surabondé » (Rm 5.20). Merci Seigneur !

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