Article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » Le droit à la protection de la vie privée est une notion aujourd’hui profondément ancrée dans notre mentalité. Le développement de cette notion tient sans doute à des raisons qui étaient bonnes à l’origine ; mais aujourd’hui, l’idée de la « vie privée », nourrie de notre individualisme exacerbé, a peut-être été sacralisée au point de devenir un rempart absolu derrière lequel on peut, en fin de compte, cacher ce qu’on veut. Il existe un site internet dont le titre est : « vieprivée.com », et le sous-titre : « parce qu’elle ne regarde que vous ». Ma vie privée ne regarde que moi. Quoi de plus normal ? En réalité, cette affirmation est un mensonge. C’est un mensonge pernicieux dont les répercussions sont grandes dans la vie chrétienne en particulier. Nous pensons naturellement qu’en ce qui concerne notre vie privée, nous n’avons des comptes à rendre à personne. Mais le texte que nous allons lire va nous aider, je l’espère, à nous rendre compte que Dieu n’a pas du tout égard aux frontières de notre vie privée. En fait, c’est même pire que ça. Dieu a conçu l’histoire du monde pour que les chrétiens occupent le devant de la scène, pour que leur vie soit exposée aux feux de la rampe, et cela pour le meilleur comme pour le pire ! Ce texte va peut-être provoquer en nous un véritable changement de perspective. Tenez-vous bien : dans ce texte, Dieu nous invite à vivre, en tant que chrétiens, comme si nous étions le centre de l’attention du monde entier ! En fait, que vous le vouliez ou non, que vous le sachiez ou non, on vous observe, jusque dans votre « vie privée ». Ce texte nous invite à en prendre conscience, et à mesurer les enjeux de cette réalité voulue par Dieu. Mais lisons le texte, et voyons comment le prophète Amos en parle.
La première parole d’Amos dans ce passage est une véritable provocation. Dieu fait comprendre à son auditoire qu’il compte prendre les païens à témoin de la corruption de son peuple. Dieu envoie un appel solennel aux pires ennemis d’Israël (les Philistins et les Égyptiens) pour qu’ils viennent assister à ce qui se passe à Samarie et constater l’incroyable injustice sociale qui règne dans le royaume. La situation est tellement grave que même les païens seront d’accord pour dire qu’il y a un problème ! Dieu prend donc les nations païennes à témoin de la corruption de son peuple.
Par ces paroles provocatrices, Dieu compte rappeler à son peuple une réalité importante, et très ancienne. C’est que les nations sont spectatrices de l’alliance. Autrement dit, la relation particulière qui existe entre Dieu et son peuple se déroule aux yeux du monde. Le monde entier assiste à l’histoire de Dieu qui se constitue un peuple, qui intervient en sa faveur, et parfois, qui le châtie. Déjà, lorsque Dieu est intervenu de façon miraculeuse pour libérer son peuple d’Égypte, Moïse a pu faire le constat suivant : « Les peuples l’ont appris, et ils tremblent » (Ex 15.14). Plus tard, lorsque les Israélites reçoivent la loi de la part de Dieu, Moïse leur fait comprendre que s’ils devaient se détourner de Dieu, les conséquences seraient fâcheuses, et il ajoute : « Toutes les nations diront : Pourquoi l’Éternel a-t-il ainsi traité ce pays ? Pourquoi l’ardeur de cette grande colère ? Et l’on répondra : C’est parce qu’ils ont abandonné l’alliance conclue avec eux par l’Éternel, le Dieu de leurs pères, lorsqu’il les fit sortir du pays d’Égypte » (Dt 29.23-24).
Vous voyez que les nations sont spectatrices de l’alliance, et cela, depuis le début. Dieu l’a voulu ainsi. Ce que Dieu est en train de faire dans ce texte, c’est d’organiser une conférence de presse. Il convoque les journalistes du monde entier pour faire un point avec eux sur l’état de sa relation avec son peuple ! Mais ce n’est pas une nouveauté. Depuis le départ, la relation entre Dieu et son peuple est censée se dérouler aux yeux du monde ; elle est censée occuper la une des journaux. Même lorsque le peuple de Dieu n’était constitué que d’une modeste famille, Dieu a dit à Abraham : « Toutes les nations de la terre se diront bénies par ta descendance, parce que tu as écouté ma voix » (Gn 22.18).
Les nations sont donc spectatrices de l’alliance. C’est cela que Dieu veut rappeler dans un premier temps. Pourquoi ? Pour que son peuple se rende compte qu’il occupe le devant de la scène. Le peuple de Dieu continue aujourd’hui d’occuper le devant de la scène. Ce n’est pas forcément en regardant les gros titres des journaux qu’on peut s’en rendre compte. Mais notre vision du monde et de l’histoire ne doit pas d’abord être conditionnée par ce qu’on voit à la télévision, mais d’abord par ce qu’on lit dans l’Écriture sainte. Et nous y voyons que pour Dieu, c’est l’Église qui, aujourd’hui, est censée être le centre de l’attention du monde.
Saviez-vous que le monde vous observait ? En tant que chrétien, vous vivez sous les feux de la rampe, parce que vous appartenez au peuple de Dieu, et parce que la relation entre Dieu et son peuple est un témoignage offert au monde entier. Cela doit nous faire réfléchir à ce que nous appelons notre « vie privée », et qui, pour Dieu, n’est pas si privée que ça. Et cela doit nous faire trembler dans nos bottes, d’autant plus que la suite du texte n’est pas là pour nous rassurer. Regardons plutôt.
Après la première provocation, Dieu en ajoute une deuxième. Il a donc convoqué les ennemis d’Israël, il leur montre la grande corruption qui règne au milieu du peuple, et ensuite, il leur fait cette annonce solennelle et fracassante : « Ils ne savent pas agir avec droiture, oracle de l’Éternel » ! Dieu déclare au monde que son peuple ne sait pas faire le bien, et il en veut pour preuve la grande cupidité des Israélites, rendue manifeste par la violence et la rapine, et tous ces revenus malhonnêtes entassés dans les donjons.
Devant les nations païennes, Dieu est en train de confesser les péchés de son peuple ! Il est même en train de révéler en plein jour les intentions mauvaises du peuple, et les fruits détestables de leur péché, censés rester cachés à l’intérieur de leurs donjons. On a l’impression que Dieu est en train de désavouer son peuple, mais pas du tout. Dieu ne désavoue pas son peuple, mais il désavoue les actes de son peuple. Dieu ne se désolidarise pas de son peuple, mais il se désolidarise des actes de son peuple. Tout le monde constate que le peuple de Dieu est injuste, mais Dieu reste juste et il le fait savoir.
Il n’y a rien de pire qu’un parent qui, en public, prend la défense de son enfant alors que celui-ci a fait une énorme bêtise. Imaginez la maîtresse qui vient vous voir à la sortie de l’école pour vous dire que votre enfant a jeté des boulettes de papier en classe, a cassé la règle de son voisin, et a tenté de voler des livres à la bibliothèque. Quelle devrait être votre réaction en tant que parent juste ? « Vous l’avez puni pour ça ? Mais c’est rien du tout ! Le pauvre, il n’a rien fait de mal ! » Ne devriez-vous pas plutôt dénoncer vous aussi, devant la maîtresse, les bêtises de votre enfant ? En le faisant, vous ne désavouez pas votre enfant, mais vous vous désolidarisez de ses actes et vous montrez à la maîtresse que vous êtes un parent juste.
De la même façon, Dieu montre au monde qu’il est juste. Il reconnaît publiquement les fautes de son peuple. Il confesse au monde les péchés de son peuple, jusqu’aux produits de la cupidité abrités dans les donjons. Pourquoi fait-il savoir cela au peuple ? Pour que le peuple se rende compte que son injustice ne peut en aucun cas écorner la justice de Dieu. Autrement dit, Dieu ne cesse pas d’être juste aux yeux du monde, quand bien même son peuple serait injuste. La Bible ne cesse pas de dire ce qu’elle dit, quand bien même je désobéirais à ce qu’elle dit tout en portant le nom de chrétien.
Cette réalité doit nous pousser à une grande lucidité, et à une grande humilité. On nous regarde. Et Dieu fait savoir au monde que nos péchés, même ceux que nous protégeons derrière le rempart de notre « vie privée », contredisent sa justice. À nous d’être honnêtes et d’admettre ouvertement le regard que Dieu porte, d’après la Bible, sur toutes ces choses que nous entassons dans nos « donjons ». Il faut appeler un chat un chat, et un péché un péché. Dieu le fait de toute façon ; à nous de l’admettre en ce qui concerne notre propre vie. C’est le point de départ de la repentance. Mais regardons la suite et la fin du texte.
Malheureusement, le peuple de Dieu, dans ce contexte, n’est pas vraiment enclin à la repentance. Cela fait plusieurs siècles que Dieu avertit son peuple, et l’invite à revenir à lui dans la repentance, mais dès le début de la prophétie d’Amos, nous avions appris que c’en était assez. Que la coupe avait débordé et que la patience de Dieu avait atteint son terme (2.6). Les Israélites ont dépassé les bornes, en allant jusqu’à interdire aux prophètes d’exercer leur métier (2.12) ! Dieu annonce donc à son peuple la venue d’un jugement qui sera visible aux yeux de tous. À travers l’invasion d’un peuple ennemi, Dieu va littéralement dépouiller son peuple de toute sa force et de toutes les richesses iniques entassées dans ses donjons.
Dieu va exercer son jugement en public. Normal, puisque les nations sont spectatrices de l’alliance. Normal, puisque Dieu, qui ne cesse pas d’être juste, doit condamner devant tout le monde l’injustice de son peuple. Et une trentaine d’années après la prophétie d’Amos, les troupes Assyriennes vont venir, et vont assiéger Samarie pendant trois ans, le temps pour le peuple d’épuiser toutes ses ressources et de tomber, totalement affaibli, entre les mains de l’ennemi. Le monde regarde. Les Philistins et les Égyptiens observent le peuple de yhwh se faire déporter en grand nombre dans une terre étrangère, et le royaume d’Israël se faire rayer de la carte. Quelques générations plus tard, ce sera au tour du royaume de Juda. Dieu a dépouillé son peuple, aux yeux de tous, conformément à ce qu’il avait annoncé.
600 ans plus tard, le décor est pratiquement le même. Les Babyloniens ont laissé la place aux Perses, les Perses aux Grecs, et les Grecs aux Romains. Mais pour Dieu, son peuple occupe toujours le devant de la scène, même s’il est dispersé et dépouillé de ses forces. Mais si Dieu a désavoué le péché de son peuple, il n’a pas désavoué son peuple. Conformément à ses promesses, Dieu envoie un libérateur, et ce libérateur, c’est Jésus-Christ, le Fils de Dieu. Mais chose surprenante, plutôt que d’organiser une révolution, ce libérateur va totalement s’identifier au peuple dans sa faiblesse ; il va se dépouiller lui-même, prendre la condition d’un esclave et s’humilier lui-même au point de prendre la place du peuple sous le jugement de Dieu (Ph 2.7-8). Et devant tout le monde, élevé sur une croix romaine, aux yeux de tous, Jésus-Christ, Dieu le Fils, va succomber sous le poids de péchés qui ne sont pas les siens. Dieu prend sur lui, en public, le jugement ultime que méritent les péchés de son peuple.
Sur la croix, lors d’une exécution publique dont témoignent l’histoire, la Bible et tous les chrétiens depuis des siècles, Dieu montre qu’il condamne l’injustice de son peuple, mais qu’il ne désavoue pas son peuple. Nous aimons tous ces histoires formidables où les gentils se retrouvent presque anéantis sous les assauts de l’ennemi, mais où soudain, par un acte héroïque, un libérateur retourne totalement la situation : le héros de l’histoire gagne une victoire d’autant plus éclatante sur l’ennemi que l’ennemi exultait d’avoir pensé remporter la bataille par le déploiement de sa puissance maléfique. Nous aimons ces histoires, n’est-ce pas ? Lorsque Jésus expire sur la croix, l’ennemi exulte. Il pense avoir remporté la bataille ultime. Mais la victoire remportée par Jésus, le libérateur, au profit de tous ceux qui se confient en lui, éclate en plein jour lorsqu’il sort triomphant du tombeau, et qu’il apparaît, vivant, à des centaines de personnes qui à leur tour, vont témoigner au monde de cette totale victoire sur le péché et sur la mort.
Dieu a totalement retourné la situation. Le peuple était dépouillé, aux yeux de tous, sous l’effet du juste jugement de Dieu, et l’ennemi exultait. Mais l’apôtre Paul explique qu’en Jésus, Dieu a cloué la dette de nos offenses à la croix ; « il a dépouillé les principautés et les pouvoirs, et les a publiquement livrés en spectacle, en triomphant d’eux à la croix » (Col 2.14-15). Dieu exerce son jugement en public. La croix est un événement public. Dieu a pris la place de son peuple devant tout le monde. « C’est [Jésus] que Dieu a destiné comme moyen d’expiation pour ceux qui auraient la foi en son sang, afin de montrer sa justice. Parce qu’il avait laissé impunis les péchés commis auparavant au temps de sa patience, il a voulu montrer sa justice dans le temps présent, de manière à être reconnu juste, tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus » (Rm 3.25-26).
Le texte que nous avons lu nous a donc rappelé que Dieu avait conçu l’histoire du monde pour que son peuple occupe le devant de la scène. Les nations sont spectatrices de l’alliance. Dieu dénonce devant tout le monde les péchés de son propre peuple. Et Dieu exerce son jugement en public. Pour Dieu, ce qui occupe les gros titres des journaux, ce qui compte dans le monde, c’est d’abord la relation qu’il y a entre lui et son peuple. Tout ce qu’il a réalisé dans l’histoire au profit de son peuple, il l’a fait aux yeux de tous. Il a appelé Abraham, il lui a fait des promesses, il a multiplié sa descendance, il a libéré son peuple d’Égypte, il lui a donné sa loi, il a châtié son peuple pour son infidélité, et il est venu en personne libérer son peuple de ses péchés. Il a fait tout cela aux yeux de tous, et aujourd’hui encore, l’Église occupe le devant de la scène, que vous le sachiez ou non, et que vous le vouliez ou non. Alors quelle est votre perspective sur le monde ? Vous êtes venu à l’église, et vous avez assisté, à travers le témoignage de l’histoire et de l’Écriture, au dépouillement de l’ennemi qui a été publiquement livré en spectacle à la croix, et au triomphe de Jésus sur le mal et sur la mort. Avez-vous déposé les armes devant ce prince victorieux qui est intervenu, publiquement, en faveur de tous ceux qui se confient en lui ? En tant que chrétien, saviez-vous que le monde vous regardait ? Saviez-vous que votre relation à Dieu était exposée aux feux de la rampe, et cela pour le meilleur comme pour le pire (Jn 13.35, 17.21, Ph 4.5…) ? Si vous êtes un chrétien, si vous appartenez au peuple de Dieu, vous n’êtes pas un figurant dans l’histoire du monde, mais vous êtes un personnage principal. Dieu n’a pas égard aux frontières de votre « vie privée », mais il vous invite à vivre, en tant que chrétien, comme si vous étiez le centre de l’attention du monde entier. Les enjeux sont immenses, car il s’agit du témoignage, devant le monde, à la justice de Dieu et à sa grâce.