Le rugissement du Lion

Par Alexandre Sarranle 13 décembre 2009

Introduction

On n’a pas besoin de Dieu pour être bien-portant, pour être riche, pour connaître le confort, la sécurité, la santé et le bonheur ! Franchement : la France subit la crise économique mondiale à un degré un peu moindre que les autres pays, et ce n’est pas parce que Nicolas Sarkozy organise des réunions de prière chaque matin à l’Élysée. Vous-mêmes, vous recevez des indemnités maladie, des allocations familiales, vous bénéficiez de congés payés, peut-être d’une pension pour la retraite, ou peut-être du RMI, ou du RSA, ou de l’APA, de l’APL, de l’API, de l’ASI… et les chèques que vous recevez ne sont pas tirés sur le compte du paradis. En cas de conflit civil ou militaire, les forces qui sont déployées pour votre défense, qu’elles soient habillées de bleu, de noir, de vert ou de gris ne sont pas des armées d’anges. On n’a franchement pas besoin de Dieu pour connaître le confort, la sécurité, la santé et le bonheur. Pourquoi s’intéresser à lui ? Cette attitude n’est pas très éloignée de celle que l’on peut avoir même en tant que croyant. Nous vivons dans un tel contexte qu’il est possible que nous nous installions dans un confort qui nous fasse imaginer, bien malgré nous peut-être, qu’au fond… on peut très bien se passer de Dieu. Cette tendance, en fait, n’est pas nouvelle pour les croyants. Vers l’an 750 av. J.-C., le peuple de Dieu en a fait l’expérience. Le peuple est alors divisé en deux royaumes : Israël au Nord et Juda au Sud. Et à cette époque, les deux royaumes connaissent une certaine prospérité économique et une vraie sécurité militaire. Au Nord, il y a un mauvais roi, du nom de Jéroboam, un roi idolâtre, totalement infidèle à Dieu ; mais cela ne l’empêche pas de renforcer les frontières du territoire et de faire connaître la croissance au pays (2 R 14). Au Sud, il y a un bon roi, du nom d’Ozias, mais l’histoire nous raconte que la prospérité économique qu’il a connue, ainsi que sa puissance militaire, ont fini par le faire tomber dans la présomption et la suffisance, ce qui a entraîné sa perte (2 Ch 26). Au Nord comme au Sud, les gens connaissaient le confort et la sécurité indépendamment d’une relation fidèle à Dieu. Au fond, les gens se disaient qu’on pouvait très bien se passer de l’Éternel. C’est dans ce contexte que débarque le prophète Amos, que Dieu envoie vers son peuple pour faire prendre conscience au peuple de la situation dangereuse dans laquelle celui-ci se trouve. Le texte que nous avons lu, c’est l’introduction au discours prophétique d’Amos, et comme toute bonne introduction, son but est de capter l’attention des auditeurs. Le message de ces deux premiers versets, est relativement simple, en définitive ; c’est que si nous ne nous intéressons pas à Dieu, cela ne veut pas dire pour autant que Dieu ne s’intéresse pas à nous. Ce n’est pas parce que nous pensons pouvoir couper les ponts avec Dieu que Dieu nous laisse tomber. On va voir ce matin que ce texte cherche à nous secouer dans notre indifférence, à nous ramener à la réalité, à nous faire prendre conscience du caractère néfaste et illusoire du confort dans lequel nous sommes installés, et à tourner notre attention vers Dieu. Dieu a des choses importantes à nous dire ! Mais comment s’y prend-il pour se faire entendre ?

Dieu n’utilise pas les moyens du monde (v. 1a)

Le livre d’Amos commence avec une affirmation étonnante. « Paroles d’Amos, l’un des éleveurs de Téqoa, visions qu’il eut sur Israël ». Téqoa, c’est une ville du royaume de Juda située une vingtaine de kilomètres au Sud de Jérusalem. La phrase d’introduction du livre d’Amos nous apprend donc qu’un obscur berger des campagnes de Juda a reçu des révélations de la part de Dieu au sujet du pays voisin. Cette première affirmation a pour but de montrer par quels moyens incongrus Dieu se fait connaître. Les moyens de Dieu pour se faire connaître ne sont pas les moyens du monde.

Imaginez que quelqu’un vienne taper à votre porte et prétende avoir des choses à vous dire de la part de Dieu. Est-ce que vous prêteriez plus de crédibilité à celui qui se présenterait en habits d’ouvrier tachés de plâtre et de peinture, et qui parlerait avec un accent portugais et de nombreuses fautes de conjugaison, ou à celui qui se présenterait en costard cravate, avec un diplôme en théologie, des papiers en règle, et une maîtrise parfaite de la langue française ?

Dans ce texte, c’est « l’ouvrier portugais » qui est chargé de dire des choses de la part de Dieu. Si l’origine d’Amos est précisée, c’est donc bien pour nous faire comprendre que les moyens de Dieu pour se faire connaître ne sont pas les moyens du monde. Si j’avais voulu rappeler à l’ordre les habitants du royaume d’Israël, je ne leur aurais pas envoyé un étranger, un vulgaire éleveur, pour leur parler, mais j’aurais sans doute choisi un éminent sacrificateur spécialiste de la loi, ou un prince de la lignée de David !

Qu’est-ce qui est propre à attirer notre attention aujourd’hui ? N’est-ce pas ce qui est spectaculaire, ce qui est scintillant, ce qui en impose, ce qui reflète nos propres aspirations à la richesse, au pouvoir, à l’intelligence, à la célébrité, en un mot, ce qui est mondain ? Mais Dieu n’est pas mondain. Dieu n’est pas dans les paillettes. Dieu ne fait pas dans la démonstration de richesse et de célébrité. Dieu a choisi un pauvre berger, un étranger, pour se faire entendre. Pour Élie, au mont Horeb, Dieu n’était ni dans le vent violent, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais il était dans « le son doux et subtil » (1 R 19). Pour les mages venus d’Orient, Dieu n’était pas dans le palais somptueux du roi Hérode, mais il était, sous forme de petit bébé, dans une étable à Bethlehem (Mt 2). Pour les foules qui ont acclamé Jésus lorsqu’il est arrivé à Jérusalem, Dieu, finalement, n’était pas dans une puissante révolution militaire contre l’occupant romain, mais il était dans la mort du serviteur souffrant et obéissant, qui a donné sa vie sur la croix. Les moyens de Dieu ne sont pas les moyens du monde. Dieu s’intéresse à nous, mais il ne va pas nous faire une annonce à la télé, ni écrire ses messages dans le ciel ; peut-être nous parle-t-il à travers ce vieux livre poussiéreux (avec "La Sainte Bible" marqué dessus), ou à travers le témoignage de cet humble collègue ou camarade de classe que personne n’aime mais dont vous avez entendu dire qu’il était chrétien, ou peut-être encore dans une petite salle un peu incongrue au pied d’un immeuble dans la rue Mazenod… Mais regardons la suite du texte.

Dieu parle depuis l’Église (v. 2a)

Après cette petite introduction, la première parole d’Amos consiste à insister sur un point précis : « C’est de Sion que l’Éternel rugit ; c’est de Jérusalem qu’il donne de la voix ». Quand un lion rugit, c’est généralement pour signaler sa présence, soit pour rameuter, soit pour intimider, soit pour marquer son territoire. Amos insiste sur le fait que l’Éternel, Yahvé, le Dieu de l’alliance, signale sa présence et se fait entendre depuis un endroit précis : Jérusalem, qui est la capitale historique du peuple élu, et le centre de gravité de la relation particulière entre Dieu et son peuple, puisque c’est là que se trouve le temple. La première parole d’Amos consiste donc à rappeler au peuple que Dieu demeure fidèle à son alliance, et que Dieu n’a pas déserté son peuple, malgré l’indifférence, et l’infidélité de celui-ci.

Qu’est-ce que ça veut dire pour nous aujourd’hui ? En étudiant la Bible, on découvre que le temple de Jérusalem était censé préfigurer la relation privilégiée et perpétuelle que le Messie devait établir une fois pour toutes entre Dieu et son peuple (1 Ch 17). Jésus est venu dans l’histoire comme ce Messie, et il a accompli ce que le Temple annonçait : Jésus est venu de la part de Dieu pour régler une fois pour toutes le problème qui faisait obstacle à la relation entre Dieu et son peuple, c’est-à-dire le problème du péché. Jésus a réglé ce problème en prenant sur lui le châtiment des fautes de son peuple, afin que tous ceux qui se confient en lui puissent recevoir, par grâce, le pardon de leurs fautes et être réconciliés avec Dieu. Jésus est ensuite ressuscité comme gage de sa victoire sur le mal et de sa suprématie sur tout l’univers. Il nous invite, par la foi, à devenir sujets de son royaume éternel. Quelques années après la résurrection de Jésus et son ascension auprès du Père, le Temple de Jérusalem a été entièrement détruit et il n’a pas été reconstruit à ce jour. En revanche, l’apôtre Paul dit que le temple de Dieu ici-bas, aujourd’hui, c’est l’Église, en tant que peuple (1 Co 3.16). Parce que Dieu demeure au milieu de son peuple, et parce que l’Église est appelée le Corps de Christ. Vous voulez savoir quel est le centre de gravité ou la capitale géographique, ici-bas et aujourd’hui, de la relation entre Dieu et son peuple ? Sachez que c’est l’Église.

L’offre de grâce que préfigurait le temple de Jérusalem en 750 av. J.-C. vous est proposée aujourd’hui, en 2009. Jésus, le lion de Juda, est venu en personne tout accomplir à votre place pour que vous puissiez entrer dans cette relation privilégiée et perpétuelle avec Dieu. Aujourd’hui, le lion continue à rugir depuis Sion, c’est-à-dire depuis l’Église, parce que Dieu n’a pas déserté le genre humain, malgré notre rébellion. Le lion rugit depuis l’Église pour signaler sa présence et marquer son territoire ; il rugit pour rameuter les membres de sa famille ; il rugit également pour menacer les ennemis et pour repousser l’adversaire.

Tout cela a lieu lorsque l’Église locale proclame la Parole de Dieu. « De Jérusalem, l’Éternel donne de la voix ». Malgré l’indifférence et l’infidélité du peuple, Amos, le sombre berger d’une contrée étrangère, débarque avec un message clair et insistant : vous pensez, peut-être inconsciemment, que vous pouvez très bien vous passez de Dieu, mais sachez que ce n’est pas parce que vous ne vous intéressez pas à lui que lui a cessé de s’intéresser à vous ; il n’a pas déserté son peuple, et il continue de se faire entendre depuis l’Église. Est-ce que vous prêtez attention au son de sa voix ? Est-ce que vous avez répondu à son invitation de grâce ? Est-ce que vous l’avez accueilli personnellement comme votre Seigneur et Sauveur ? Mais il reste encore un point dans ce texte que je voudrais souligner.

Dieu appelle à la lucidité (v. 1b, 2b)

Dans l’introduction au livre d’Amos, au premier verset, le rédacteur a pris soin de préciser que les paroles d’Amos sont venues « deux ans avant le tremblement de terre ». Ensuite, Amos lui-même va annoncer, dans sa propre introduction, que le jour vient où « les pâturages des bergers seront dans le deuil, et le sommet du Carmel sera desséché ». Ces paroles ont pour but d’appeler le lecteur à la lucidité et à reconnaître que le confort matériel est précaire et de toute façon éphémère. Dieu prévient son peuple concernant la fragilité de leur situation.

Si vous doutez du caractère précaire et éphémère du confort matériel, regardez Johnny Halliday. La célébrité, la richesse, le pouvoir. Le 26 novembre, il se fait opérer d’une hernie discale. Ses cent millions de disques vendus n’ont pas empêché que l’opération ait des complications, qu’elle entraîne une infection qui a commencé à toucher sa moelle épinière et à mettre sa vie en danger au point où Johnny a dû être réopéré et placé dans un coma artificiel !

L’exemple des soucis de santé de Johnny devrait suffire pour nous faire prendre conscience, ou reprendre conscience, que le confort matériel est précaire et de toute façon éphémère. Quelle présomption que de penser que notre vie tient à autre chose qu’à la volonté souveraine de Dieu ! De temps en temps, il y a une catastrophe naturelle, ou un accident, ou un acte de terrorisme qui pourrait nous ébranler et remettre en question la confiance que nous plaçons dans notre carrière professionnelle, dans nos compagnies d’assurance ou dans l’État-providence. Mais tant que ça ne nous touche pas personnellement, j’ai l’impression que nous sommes bien facilement happés de nouveau dans l’illusion que nous vivons dans une sécurité qui tient à autre chose qu’à Dieu seul.

Amos prend la parole deux ans avant qu’un tel tremblement de terre ramène, concrètement, le peuple à la réalité (cf. Za 14.5). Amos prend la parole et dès le début de son message il appelle les gens à la lucidité : ce n’est pas parce que vous pensez que vous vous en sortez très bien comme ça, que le deuil et la disette ne vont pas vous toucher. Tout le confort, la sécurité, la prospérité, la santé et le bonheur que vous pensez avoir peut disparaître du jour au lendemain, et d’ailleurs c’est sûr, tout cela disparaîtra bien un jour. Jésus a répété ce même appel à la lucidité quand il a dit : « Que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier s’il perd son âme ? » (Mt 16.26).

Conclusion

Alors que doit-on retenir de ces deux premiers versets du livre d’Amos ? La situation qu’a connue le peuple de Dieu à l’époque du prophète est une situation récurrente ; nous la connaissons aussi aujourd’hui. Nous vivons dans un contexte qui nous permet de nous installer dans un confort qui, à son tour, peut nous faire imaginer, bien malgré nous peut-être, qu’au fond… on peut très bien se passer de Dieu. Cette idée peut se manifester par différents symptômes : la présomption et la suffisance lorsque les choses vont bien, mais la dépression lorsque les choses vont mal ; le fait de négliger la prière, de négliger la lecture de la Parole de Dieu, ou de négliger l’assistance au culte d’une église où la Bible est fidèlement enseignée ; ou encore le fait d’attribuer plus de crédibilité et de poids aux messages étincelants et agréables de nos médias modernes qu’aux affirmations sobres, radicales et souvent dérangeantes de la foi chrétienne authentique. Mais si nous nous désintéressons de Dieu, Dieu quant à lui n’a pas cessé pour autant de s’intéresser à nous. Il veut que nous sachions qu’il continue à vouloir se faire connaître, mais peut-être pas par les moyens tonitruants que nous aurions imaginés. Il continue à se faire entendre, oui, et principalement depuis le peuple qui porte son nom, lorsque l’Église locale proclame fidèlement sa Parole. Et il veut que nous prenions conscience du danger qui nous guette, celui de s’installer dans un confort matériel qui est, en réalité, précaire, et de toute façon, éphémère. Alors quelle attention portez-vous au son de sa voix ?

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