Qui c'est qui commande ?

Par Alexandre Sarranle 26 juillet 2009

Introduction

J’ai un problème avec l’autorité. C’est une notion qui me crispe. J’ai un problème avec l’autorité, parce que je suis le produit de la culture individualiste dans laquelle je suis né et dans laquelle j’ai grandi. L’autorité ressemble à une violence faite à l’encontre de ma liberté d’opinion, de parole et de choix. L’autorité menace ma vie privée dont je suis, jusqu’à preuve du contraire, le maître. Non mais dites-donc : qui peut prétendre m’imposer les choix que je dois faire, concernant mes mœurs, mes goûts, mes croyances… ? J’ai un problème avec l’autorité, mais j’ai un plus grand problème encore : je m’intéresse à la foi chrétienne. Aïe. Je me rends compte que la Bible donne des réponses à beaucoup de mes questions, mais je me rends compte aussi qu’il y a dans la Bible des tas de choses qui me prennent à rebrousse-poil. Des tas de choses qui menacent mon autonomie. Alors vous savez ce que j’ai fait ? J’ai pris le meilleur des deux mondes : je suis devenu un chrétien autonome. Comme ça, je peux accepter tout ce qu’il y a de bénéfique dans l’Évangile, et laisser de côté les choses qui sont un peu plus gênantes. En parfait individualiste que je suis, je me suis fait ma propre petite recette ; un christianisme personnalisé, sur mesure, qui me va bien et qui me fait du bien. Mais le texte que nous avons lu ce matin, si nous nous y arrêtons un instant, c’est un de ces textes qui nous prend à rebrousse-poil. C’est un texte qui va dénoncer, et même pulvériser, cette mentalité individualiste dans laquelle nous baignons et qui influence si fortement notre pensée même en tant que chrétiens. Je pense que ce texte jette une lumière particulière sur la foi chrétienne, une lumière peut-être nouvelle pour vous ce matin, en tout cas une lumière qui va nous faire comprendre que l’individualisme est incompatible avec la foi véritable, et cela à partir d’une idée toute simple : c’est que la foi véritable consiste en une capitulation totale devant une autorité suprême. On n’aime pas entendre ça. Mais regardons le texte.

Paul avait personnellement choisi son camp (v. 9-12)

Paul raconte sa conversion. Il rappelle qu’avant sa conversion, il était un fervent persécuteur de chrétiens. La manière dont il le raconte n’est pas anodine : il dit qu’il s’opposait « au nom de Jésus de Nazareth » (v. 9), c’est-à-dire à tout ce que ce nom représentait, c’est-à-dire à l’autorité même que l’on attribuait à ce nom. Paul explique qu’il a exercé son propre jugement pour se positionner (v. 9, 10), non sans le soutien et l’appui, l’incitation et l’approbation d’une autre autorité, celle des responsables religieux (v. 10, 12). Paul explique que sa démarche, avant sa conversion, s’inscrivait dans le cadre d’une lutte de pouvoir. Comme un parfait individualiste, il avait personnellement, volontairement, choisi son camp, et par conséquent, il s’opposait, vigoureusement, à un autre camp (v. 11).

Pour Paul, c’était une opposition entre deux pouvoirs, entre deux autorités. Un genre de guerre civile où deux pouvoirs prétendent à une autorité supérieure, et où chaque personne est obligée de se positionner. Si vous aviez été un jeune homme d’une vingtaine d’années et que vous habitiez en Virginie, aux États-Unis, dans les années 1860, pendant la fameuse guerre de Sécession, il vous aurait été impossible de ne pas vous rallier à un camp : soit aux nordistes, soit aux confédérés. Soit aux tuniques bleues, soit aux tuniques grises.

Je crois que cette analyse rétrospective de Paul sur ce qu’il était et sur ce qu’il faisait avant sa conversion, et qu’il présente comme une opposition virulente entre deux autorités rivales (celle de Christ d’un côté, et celle qui s’oppose à Christ de l’autre), sert à nous rappeler que nous aussi, nous vivons dans le cadre d’une lutte de pouvoir. Nous sommes nés sur un champ de bataille, et nous y menons notre existence, et il n’y a pas de terrain neutre entre les bleus et les gris. Jésus a dit : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mt 12.30). Depuis le troisième chapitre de la Genèse, nous savons qu’il y a un serpent, que Dieu a un contradicteur ; et toute l’histoire du monde depuis ce troisième chapitre de la Bible, c’est l’histoire de l’opposition entre l’autorité de Dieu et l’autorité prétendue de l’ennemi de Dieu. C’est une lutte de pouvoir, et nous ne pouvons pas l’esquiver. Mais est-ce que nous en avons conscience ? Est-ce que j’ai conscience, en tant qu’individualiste, que l’autonomie et l’indépendance que je recherche, c’est une forme d’autorité, et ce n’est pas une autorité neutre, mais une autorité qui s’oppose à celle de Dieu ? Aucun domaine de notre vie n’échappe à cette lutte de pouvoir. Paul a compris que sa vie s’inscrivait dans une lutte de pouvoir, et il va nous expliquer comment, tout d’un coup, il s’en est rendu compte.

Paul a dû s’incliner devant la suprématie de Jésus (v. 13-16)

Vous connaissez l’histoire. Jésus se révèle à Paul, sur la route de Damas. Mais regardez comment Paul le raconte. « Vers le milieu du jour », c’est-à-dire lorsque le soleil brille de toute sa force, Paul et ses compagnons sont entourés d’une lumière « venant du ciel, plus brillante que le soleil » (v. 13). C’est-à-dire une lumière plus brillante que l’équivalent de 386 milliards de milliards de mégawatts (ce qui correspond à l’énergie du soleil). Paul tombe par terre devant la manifestation d’une telle puissance. Il comprend qu’il est devant le pouvoir suprême, devant le Maître du monde en personne, celui qui tient les commandes, et qui fait comprendre à Paul que celui-ci est en train de s’opposer à ses plans (v. 14). Mais Paul ne comprend pas qui c’est (v. 15). Jésus se présente donc, et il explique à Paul que sa vie est entre ses mains et qu’il a décidé de l’enrôler à son service, que cela lui plaise ou non (v. 16) !

Quel choc pour Paul, qui s’est rendu compte, tout d’un coup, qu’il s’opposait au Maître du monde, à celui qui détient le pouvoir suprême ! Il n’y a pas si longtemps, vous avez sans doute entendu parler de ces escrocs qui ont volé les coordonnées bancaires d’un certain nombre de personnes pour subvenir à leurs magouilles. Les sommes prélevées n’étaient jamais bien élevées. Sur l’un des comptes, ils avaient prélevé moins de 200 euros. Une petite escroquerie, quoi. Ils ne risquaient pas grand-chose. Sauf que ces escrocs se sont retrouvés bien bêtes lorsqu’ils ont découvert que ce compte bancaire en question… était celui de Nicolas Sarkozy en personne ! Celui-ci a déposé plainte, et je peux vous dire que ces escrocs à la petite semaine se sont fait tout petits face à la brigade financière et à la brigade criminelle qui ont été sollicitées pour résoudre cette affaire, qui eût été plutôt anodine en d’autres circonstances. Quel choc pour ces escrocs, qui se sont rendus compte, tout d’un coup, qu’ils s’étaient mis à dos, sans s’en rendre compte, le président de la République lui-même !

Paul aussi se rend compte, tout d’un coup, qu’il est en train de persécuter, non pas Nicolas Sarkozy, mais le Maître suprême de tout l’univers, qui lui donne momentanément un petit aperçu de sa puissance. Paul s’effondre par terre, et il ne peut que reconnaître, que dans cette lutte de pouvoir, les forces ne sont pas égales. « Il est dur pour toi de regimber contre les aiguillons » (v. 14). Tu regimbes, tu résistes, tu protestes contre mon autorité, mais ma puissance est sans égale pour faire valoir mon autorité. Et tu ne peux que le reconnaître. Paul découvre la suprématie de Jésus. Et il en tombe à la renverse. Est-ce que nous pensons souvent à Jésus comme au Christ exalté, glorifié, magnifié, celui qui a été souverainement élevé et qui a reçu le nom qui est au-dessus de tout nom (Ph 2.9), celui à qui toutes choses ont été soumises (Hé 2.8), celui dont la tête et les cheveux sont comme laine blanche, dont les yeux sont comme une flamme de feu, dont les pieds sont comme du bronze rougi au four, dont la voix est comme le bruit des chutes du Niagara, dont le visage est comme le soleil à Marseille entre midi et 14h, et dont il sort de la bouche une épée à deux tranchants, aiguisée comme une lame de rasoir (Ap 1.14-16) ? J’ai un problème avec l’autorité, je suis un individualiste, peut-être même un « chrétien autonome », et bien j’ai besoin de cet éclair de lucidité : dans cette lutte de pouvoir, les forces ne sont pas égales. J’ai besoin de découvrir la suprématie de Jésus, et de tomber par terre, terrorisé par sa puissance. Est-ce que ça vous est déjà arrivé ? C’est arrivé à Paul, et regardez la suite.

Jésus compte déployer son autorité bienveillante (v. 17-20)

Jésus a donc fait comprendre à Paul qui c’est qui commande. C’est Jésus. Et sans demander l’avis de Paul, Jésus fait de lui un messager dont la mission est de proclamer aux gens la suprématie du Roi des rois, l’établissement de son royaume, et l’intention qu’il a de déployer son autorité bienveillante (v. 17-18). À travers le ministère de Paul, Jésus annonce qu’il a l’intention d’ouvrir les yeux des gens (que ce soit des Juifs ou des païens), de les transférer d’un royaume à un autre, d’une autorité (celle du serpent, du contradicteur de Dieu) à une autre (l’autorité suprême et bienveillante de Dieu). Jésus annonce qu’il a l’intention d’offrir à tous ceux qui se confient en lui le pardon de leurs péchés, et non seulement le pardon des péchés, mais un héritage dans le ciel et dans l’éternité. Tout cela, Jésus l’a acquis pour eux au prix fort de sa vie qu’il a donnée à la croix, et il l’a garanti par la victoire éclatante qu’il a gagnée sur le péché et sur la mort, par sa résurrection.

Paul est donc envoyé comme un messager qui doit proclamer ces choses. Il doit proclamer que le Roi des rois a établi son règne, et que le royaume du monde est passé au Seigneur et à son Christ qui règnera aux siècles des siècles (Ap 11.15-17). Toutes choses lui ont été soumises, et il compte maintenant déployer son autorité (Ép 1.20-22). Mais c’est une autorité bienveillante ! Le Roi des rois promet un héritage à tous ceux qui se confient en lui. Se confier en lui, ça ressemble à quoi ? À notre capitulation. À notre repentance, à notre conversion à Dieu, avec la pratique d’œuvres découlant de cette repentance (v. 20).

La mission de Paul ressemble à celle d’un policier qui va au-devant d’un groupe de malfaiteurs embusqués dans une cachette quelque part, et qui leur crie par le moyen d’un mégaphone : « Rendez-vous, vous êtes cernés » ! Vous ne pouvez pas vous échapper. Il n’y a pas d’autre issue possible à cette situation que votre défaite, alors rendez-vous pendant qu’il en est encore temps. Ou encore, avec les paroles du psalmiste : « Embrassez le fils, de peur qu’il ne se mette en colère, et que vous ne périssiez dans votre voie, car sa colère est prompte à s’enflammer. Heureux tous ceux qui se réfugient en lui ! » (Ps 2.12).

Conclusion

Jésus nous invite donc à déposer les armes devant lui. La foi qu’il demande de nous, c’est une capitulation totale devant son autorité suprême. Nous pouvons le faire sans crainte car nous savons que ce Roi est bienveillant : il l’a prouvé en mourant à notre place. Alors certes, j’ai un problème avec l’autorité, parce que je suis le produit de la culture individualiste dans laquelle je suis né et dans laquelle j’ai grandi ; je cherche à préserver mon autonomie ; je voudrais recevoir tout ce qu’il y a de bénéfique dans l’Évangile, et laisser de côté les choses qui sont un peu plus gênantes ; mais je dois savoir que dans tous les domaines où je résiste à l’autorité de Jésus-Christ, dans tous les domaines où je pense avoir le droit de commander parce que c’est ma vie privée et qu’elle ne regarde personne d’autre, je ne me trouve pas en territoire neutre, mais dans le camp de l’ennemi. Je dois savoir que dans le cadre de cette lutte de pouvoir, personne ne va pouvoir rivaliser avec le pouvoir suprême de Jésus-Christ (Mt 28.18). Plutôt que de faire de la résistance, je dois savoir que Jésus m’invite à changer radicalement d’allégeance, à renoncer à mon autonomie, à tourner le dos à toute autorité autre que la sienne, et à entrer dans son royaume. La culture du rejet de l’autorité est particulièrement exacerbée dans notre société, et je crois que ce fléau déborde dans nos églises et dans notre vie chrétienne d’autant plus facilement que nous avons tendance à sous-estimer la profondeur de l’abîme qui existe entre la foi et la non-foi. J’ai remarqué que nous parlons parfois de la foi comme de quelque chose qui vient s’ajouter à une vie qui, autrement, est normale. « Regarde cet homme : il a une vie équilibrée, il est talentueux, il est gentil… Il manque juste Dieu dans sa vie. » Ce n’est pas du tout comme ça que l’Apôtre Paul parle de la foi. Pour Paul, si je n’ai pas la foi, ce n’est pas qu’il manque Dieu dans ma vie, c’est plutôt qu’il me manque… la vie, que Dieu peut me donner ! « Vous étiez morts par vos fautes et par vos péchés… Mais Dieu est riche en miséricorde et… il nous a rendus à la vie avec le Christ » (Ép 2.1, 4, 5) ; « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature » (2 Co 5.17) ; « Il nous a délivrés du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé » (Co 1.13) ; et Jésus lui-même qui dit : « En vérité, en vérité… si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu » (Jn 3.3), etc. La foi véritable, ce n’est pas accepter Jésus dans mon cœur, comme s’il y avait là un petit espace qui n’attendait que sa venue, mais c’est changer de cœur (Éz 36.26). C’est changer d’allégeance. C’est changer de perspective. C’est changer de valeurs et de priorités. C’est même changer de goûts (Ph 4.8) ! Un chrétien autonome, c’est un oxymore ; c’est une contradiction dans les termes. La foi véritable, c’est une capitulation totale devant l’autorité suprême et bienveillante de Jésus-Christ.

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