S'intéresser en vain à l'Évangile

Par Alexandre Sarranle 24 mai 2009

Introduction

Nous tous, ce matin, nous avons au moins un point commun : nous aurons passé une heure et demie au même endroit, à faire globalement les mêmes choses : à chanter les mêmes chants, à dire amen aux mêmes prières, à entendre le même message, et même à manger le même pain et à boire la même coupe. Quelle chance et quel privilège que de pouvoir faire cela librement, dimanche après dimanche. Mais quel est, et quel sera, l’effet de ce culte dans votre vie quotidienne ? Si vous êtes présent dans ce lieu ce matin, cela veut probablement dire que vous vous dites chrétien. Vous vous intéressez, au moins un peu, au message de l’Évangile et à la Parole de Dieu. Mais pourquoi ? Pourquoi vous intéressez-vous à l’Évangile ? Et qu’est-ce que cela change pour vous d’entendre la Parole de Dieu ? Le texte de ce matin nous parle de quelqu’un qui s’est beaucoup intéressé à l’Évangile, mais en vain. C’est l’histoire du gouverneur Félix ; et l’auteur nous raconte cette histoire quelque peu négative pour nous mettre en garde, justement, contre ce danger : celui de nous intéresser en vain à l’Évangile. L’auteur va nous montrer que toutes les conditions extérieurement favorables possibles ne garantissent pas notre réceptivité à l’Évangile ni l’effet bénéfique de ce message dans notre vie. L’auteur veut inciter son lecteur à l’examen de soi, car le problème fondamental auquel nous devons faire face, nous le verrons, c’est celui de nos motivations.

Les conditions favorables ne garantissent rien

Paul est prisonnier à Césarée, mais les conditions de son emprisonnement sont souples. Et il y a une relation qui va s’établir entre Paul et le gouverneur romain, Félix. Celui-ci a un accès privilégié au message de l’Évangile et à la Parole de Dieu : sa femme Drusille est juive, Paul est à sa disposition 24h/24, il l’écoute au sujet de la foi en Christ et peut lui poser toutes les questions imaginables, cela fréquemment, et pendant longtemps. Mais au bout des deux ans, rien n’a changé chez Félix. Son intérêt pour l’Évangile a été vain, en dépit de conditions très favorables. Manifestement, il y a un problème quelque part !

On a beau réunir toutes les conditions les plus favorables possibles, parfois il y a un problème plus fondamental, qui n’est pas apparent. Il y a quelque temps, Candia a rappelé des briques de lait frelaté, à cause d’un problème de stérilité des machines de fabrication. C’était le même weekend que notre dernier repas d’église, à la suite duquel plusieurs personnes ont eu des troubles digestifs pendant la nuit et le lendemain matin. Les conditions du repas, pourtant, semblaient parfaites : qualité des ingrédients, qualité des plats, confort, compagnie agréable… mais cela ne garantissait pas l’absence d’un problème plus fondamental.

Les conditions favorables ne garantissent rien. C’est ce que l’auteur veut nous montrer dans un premier temps. Vous venez peut-être à l’église tous les dimanches ; vous vous intéressez intellectuellement à la Bible ; vous avez été baptisé et vous participez à la Sainte-Cène ; vous appréciez la compagnie des frères et sœurs chrétiens ; et peut-être même que vous êtes ami avec le pasteur (peut-être même êtes-vous le pasteur !)… mais saviez-vous que toutes ces conditions favorables et privilégiées ne garantissaient pas votre réceptivité à l’Évangile ni l’effet bénéfique de la Parole de Dieu dans votre vie ?

L’auteur appelle dans un premier temps à la prudence et à la lucidité. Un emballage de qualité, et une marque réputée, ne garantissent pas que le lait à l’intérieur n’est pas frelaté. Alors prenons un peu de recul, mettons de côté toutes ces conditions extérieures privilégiées, et amenons le lait au laboratoire, ou plutôt notre cœur, et posons-nous la question que ce texte nous fait poser, et qui est celle de nos motivations.

Le problème des motivations

Le texte nous explique en effet quel était le problème chez Félix. C’était, clairement, un problème de motivations. Il s’intéressait beaucoup à l’Évangile, et il valorisait sa relation privilégiée avec Paul, seulement parce qu’il espérait que Paul (ou les chrétiens) lui proposerait de l’argent en échange de sa libération. Félix est motivé par ses intérêts personnels, ce qui est confirmé par la suite, lorsque le texte nous dit qu’il laisse Paul en prison parce que, en tant que politicien, il veut plaire aux Juifs.

Nos motivations profondes agissent comme un filtre qui conditionne notre réceptivité à la Parole de Dieu. Quand on écoute les résultats sportifs à la radio, on ne retient que les résultats qui concernent notre équipe ou le classement de notre équipe. On oublie très vite les autres résultats. Pourquoi ? Parce que notre égocentrisme sportif agit comme un filtre vis-à-vis de ces informations. Tandis que si on n’était pas égocentrique mais, disons, « fooballo-centrique », on se passionnerait pour tous les résultats, et pas seulement pour les résultats mais aussi pour les actions, les incidents de match, les stratégies de jeu, etc.

Vous voyez que le problème est un problème d’égocentrisme : le souci que nous avons de notre intérêt personnel, souvent inconsciemment mais en tout cas naturellement, Alors quelles sont nos motivations profondes à l’écoute de la Parole de Dieu ? C’est la question que je posais en introduction : pourquoi vous intéressez-vous à l’Évangile ? Pourquoi venez-vous à l’église ? Est-ce pour vous donner bonne conscience ? Est-ce pour vous donner une bonne image ? Est-ce un besoin de sociabilité ? Est-ce pour plaire à quelqu’un en particulier ? Le problème de toutes ces motivations égocentriques, c’est qu’elles filtrent la Parole de Dieu.

Alors que le message de l’Évangile n’est pas destiné à flatter notre égocentrisme, mais plutôt à le pulvériser. L’Évangile nous parle de notre péché profond et de notre incapacité profonde à avoir les bonnes motivations et à faire les bons choix. Mais Dieu a manifesté son amour inconditionnel, en prenant sur lui le poids de notre péché en la personne de Jésus, qui a payé le prix de notre délivrance à la croix. Se confier en Jésus pour le pardon de nos péchés, et maintenir en même temps des motivations égocentriques, c’est une profonde contradiction. C’est incompatible. Jésus nous a sauvés pour remettre au centre de notre vie ce que nous n’aurions jamais dû rejeter : Dieu lui-même. Jésus veut remplacer notre intérêt et notre passion pour nous-mêmes par un intérêt et une passion pour Dieu. Tout comme nos motivations profondes, qu’elles soient fondées sur notre amour de notre équipe ou sur notre amour du sport, conditionnent notre écoute et notre appréciation des résultats sportifs, de même nos motivations profondes, qu’elles soient fondées sur notre amour pour nous-mêmes ou sur notre amour pour Dieu, conditionnent notre écoute et notre appréciation de la Parole de Dieu. Et c’est ce que le reste de l’histoire nous montre au sujet de Félix.

L’effet de la Parole est parfois négatif

Le texte raconte que Paul, tout en exposant la Parole de Dieu à Félix, lui parle des exigences de la sainteté de Dieu et du jugement à venir auquel tous les hommes seront soumis. Mais cela dérange profondément Félix (v. 25). Pourquoi ? Parce qu’il comprend que recevoir l’Évangile implique le fait de renoncer à son autonomie et d’accepter que Dieu veuille corriger ses défauts. Mais Félix tient trop à ses défauts. Il a bâti son pouvoir sur une cruauté notoire. Il mène une vie licencieuse qui lui convient bien. Alors en entendant Paul parler de justice, de maîtrise de soi et de jugement, Félix préfère changer de sujet, trouver un prétexte pour mettre un terme à la conversation, et la remettre à plus tard.

Étrange, non, que la Parole de Dieu, exposée par l’apôtre Paul en personne, produise un effet aussi négatif… On se serait attendu à quelque chose d’autre. Mais dans la vie, les mêmes ingrédients produisent parfois des effets très différents : qu’est-ce qu’on peut faire, par exemple, avec du beurre, de la farine, du lait et des œufs ? On peut faire soit un soufflé, soit des crêpes. Et pourtant ce sont exactement les mêmes ingrédients.

La Parole de Dieu aussi, c’est la même pour tout le monde. C’est la même Parole (le même message, les mêmes ingrédients) que Paul a annoncée à Chypre, à Antioche, à Iconium, à Lystre, à Derbe, en Syrie, en Cilicie, en Macédoine, en Grèce, bref, partout où il est allé, et où de nombreuses personnes ont été converties et de nombreuses églises ont été établies. Mais sous l’effet de cette même Parole, de nombreuses autres personnes ont froncé les sourcils, se sont bouché les oreilles, se sont endurcies et parfois même ont attaqué le témoignage chrétien. La Parole de Dieu est une épée à double tranchant qui pénètre là où ça dérange, et qui révèle les dispositions de notre cœur, dans un sens ou dans l’autre.

L’auteur nous montre à travers cette histoire, que la parole de Dieu est efficace, c’est-à-dire qu’elle produit de toute façon un effet, qu’il soit positif ou négatif. L’invitation qui nous est faite, évidemment, c’est que nous nous examinions nous-mêmes, que nous considérions nos motivations profondes, et que nous nous laissions éprouver par cette Parole. La parole de Dieu est vivante et efficace, plus acérée qu’aucune épée à double tranchant ; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle est juge des sentiments et des pensées du cœur. Il n’y a aucune créature qui soit invisible devant [Dieu] : tout est mis à nu et terrassé aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte (Hé 4.12-13).

Conclusion

Je terminerai en posant une question toute simple : est-ce que vous ressemblez plutôt à un soufflé, ou plutôt à une crêpe ? Nous tous, nous sommes au bénéfice des mêmes ingrédients : la Parole de Dieu, la prière, le culte, les sacrements, la communion fraternelle… Mais la recette, elle, est conditionnée par nos motivations profondes. Pourquoi vous intéressez-vous à l’Évangile ? Pourquoi venez-vous au culte ? Est-ce par intérêt personnel, en cherchant ce que vous pouvez en retirer pour votre confort et votre bien-être ? Ou bien est-ce par intérêt pour Dieu lui-même, qui est le premier et le dernier (Ap 1.8), de qui, par qui et pour qui sont toutes choses (Rm 11.36), en vous demandant comment vous pouvez mieux connaître, et mieux servir celui qui vous a sauvé par pur amour et à grand prix ? L’Évangile en effet, nous parle de l’œuvre de grâce que Dieu a accomplie pour nous, de sa propre initiative, pour nous racheter de nos fautes et pour nous restaurer. Dieu pulvérise notre égocentrisme. Dieu compte maintenant nous transformer par la puissance du Saint-Esprit, sous l’effet de sa Parole, tout au long de notre vie chrétienne. Prions donc le Seigneur de sanctifier nos motivations profondes ; qu’en plus du privilège que nous avons de pouvoir étudier librement sa Parole, celle-ci puisse avoir un effet bénéfique dans notre vie ; qu’au lieu de ressembler à des crêpes, nous accueillions le souffle vivifiant du Saint-Esprit qui fait lever en nous la pâte, et qui permettra que nous ne nous intéressions pas à l’Évangile en vain, mais que nous portions du fruit à la gloire de notre Créateur et que nous trouvions en lui notre bonheur éternel !

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