Malheur à vous, conducteurs aveugles !

Par Alexandre Sarranle 18 septembre 2016

Ce n’est pas la première fois que je vous pose cette question, mais : c’est quoi, pour vous, un bon chrétien ? Imaginez que je vous présente quelqu’un, disons qu’il s’appelle Jean-Pierre ; et Jean-Pierre vient à l’église tous les dimanches, il est fidèle à l’étude biblique en semaine, il a une très bonne connaissance de la Bible et de la théologie. Ses enfants sont très respectueux et obéissants, Jean-Pierre leur enseigne le catéchisme toutes les semaines, et avec sa femme, ils sont très soudés. Jean-Pierre a beaucoup réfléchi à beaucoup de sujets, et comme il est très intelligent, il a une opinion précise sur beaucoup de ces sujets, que ce soit sur le déroulement du culte, sur la politique, sur l’éducation des enfants, sur l’art et la culture, et il est capable de défendre ses opinions avec beaucoup de persuasion et de fermeté. Un homme de caractère !

Mais surtout, Jean-Pierre impressionne par sa consécration : il est très discipliné, il semble mener une vie irréprochable, il chante fort au culte, et quand vous avez l’occasion de l’entendre prier, waouh. Ses prières sont tellement éloquentes et puissantes et pétries de théologie biblique et de dévotion à Dieu ! Il ne manquerait plus que Jean-Pierre ait fait des études de théologie et qu’il soit pasteur, et qu’il ait écrit quelques livres et animé quelques conférences, et on se dirait : ah, Jean-Pierre c’est vraiment quelqu’un d’impressionnant. Un homme vraiment pieux, bref, un bon chrétien ! N’est-ce pas ?

Et vous savez quoi, il y en a parmi nous qui aimeraient ressembler un peu plus à Jean-Pierre ; mais il y en a d’autres, à l’inverse, qui sont plutôt repoussés par, vous savez, ces gens impeccables, qui semblent être des donneurs de leçon de morale, spirituellement supérieurs aux autres, et apparemment complètement sanctifiés—et peut-être que c’est même une pierre d’achoppement pour vous par rapport à la foi chrétienne.

Quoi que vous en pensiez, écoutez bien : dans le texte qu’on est sur le point de lire, ce sont des gens qui ressemblent à Jean-Pierre, que Jésus va maudire et traiter de fous, d’aveugles et de serpents ! Vous allez voir que ce passage, c’est un passage qui décape, où Jésus va livrer un véritable réquisitoire contre les responsables religieux de son époque, contre les gens qui, aux yeux de la population, incarnent cette espèce d’élite religieuse garante de la théologie et de la morale, j’ai nommé : les scribes et les Pharisiens. Et tout ce passage est destiné à avertir les croyants contre la tentation de suivre ces gens-là. C’est un passage virulent, qui va vous surprendre peut-être, mais dont le but est de nous faire comprendre une idée simple, c’est que la sophistication religieuse n’équivaut pas à la fidélité à Dieu.

Et permettez-moi d’ajouter que je pense que notre église est particulièrement concernée par ce message. Pourquoi ? Parce que les gens qui sont les plus enclins à ressembler aux scribes et aux Pharisiens (et à Jean-Pierre !), ce sont justement ceux qui ont une théologie solide et précise, un attachement robuste à l’autorité de la Bible, un goût pour l’argumentation et le débat (pour ne pas dire, parfois, la polémique), qui ont un positionnement clair sur toutes sortes de questions éthiques en particulier, et qui valorisent ce qu’on appelle la sanctification, c’est-à-dire la mise en conformité de la vie des croyants avec la volonté morale de Dieu. Et ça, c’est tout nous, Église Réformée Évangélique de Lyon Gerland !

1. Une apparence trompeuse (v. 13-15)

Le premier point qu’on peut tirer de ce texte, c’est qu’on peut être pieux en apparence et en même temps ennemi du royaume de Dieu. Ce texte est donc constitué d’une série de paroles de malédictions, en quelque sorte, à chaque fois introduites par l’expression : « Malheur à vous ». Et les trois premières de ces paroles concernent un problème d’apparences trompeuses. Au v. 13, il est question de ces responsables religieux qui sont reconnus comme tels, qui ont les clefs du royaume des cieux, mais qui utilisent ces clefs pour en fermer les portes ! Au v. 14, Jésus dit que ces responsables religieux exploitent les vulnérables en se dissimulant derrière de grandes prières impressionnantes. Et au v. 15, Jésus affirme que ces responsables déploient un énorme zèle religieux, mais—et peut-être sans le savoir—ils sont en train de servir le diable.

Jésus est donc en train de dire qu’il est possible d’avoir un statut respectable et une consécration religieuse apparente, tout en causant, en réalité, d’importants dégâts au royaume de Dieu, c’est-à-dire en ne servant pas les intérêts de Dieu mais en nuisant aux intérêts de Dieu. On peut sembler être très dévot, et être en réalité, en même temps, très destructeur. On peut être pieux en apparence et en même temps ennemi du royaume de Dieu. L’habit ne fait pas le moine, et c’est le premier point soulevé par ce texte.

Imaginez qu’on vous serve à manger un plat extrêmement bien présenté. Vous savez, comme ce qu’on voit dans les grands restaurants gastronomiques : une petite pyramide de nourriture ici, bien symétrique, avec un peu de verdure au sommet, et un magnifique motif dessiné sur l’assiette à l’aide de la sauce. De belles formes et de belles couleurs, servies par un garçon en costume immaculé ; c’est magnifique et c’est super appétissant ! Mais ça ne veut pas dire que le plat est forcément bon. Peut-être que vous seriez incapable d’en avaler une seule bouchée ! Un plat bien présenté n’est pas forcément un plat qui a bon goût. Mais on peut aller plus loin encore. Un plat bien présenté et qui a bon goût n’est pas forcément un plat qui est bon… pour votre santé ! On peut tout-à-fait imaginer une assiette magnifiquement présentée, remplie d’aliments délicieux dans la bouche, mais très mauvais pour la santé, voire même empoisonnés !

Et c’est pareil en matière de religion, si j’ose dire. Les apparences peuvent être trompeuses, et le texte veut d’abord souligner cette réalité. Et de ce premier point, on peut tirer une première application, c’est qu’il nous faut relativiser la valeur des manifestations extérieures de piété. On est naturellement impressionné par les gens qui prient « bien », ou qui prêchent « bien », qui consacrent leur vie à un service chrétien particulier, comme les pasteurs, ou les profs de théologie, on admire ces gens qui ont de bonnes connaissances théologiques et bibliques, qui ont des diplômes, qui ont écrit des livres, qui ont un statut et une reconnaissance dans la société ou dans l’Église, et qui ont des titres comme « docteur », « révérend », « président », ou « professeur émérite ». Et rien de tout cela n’est mauvais en soi ! Mais il nous faut en relativiser la valeur. Ne pas nous fier à cela par-dessus le reste, ni rechercher cela par-dessus le reste. Car la réalité, c’est qu’on peut être pieux en apparence et en même temps ennemi du royaume de Dieu. L’habit ne fait pas le moine.

2. Un ritualisme néfaste (v. 16-22)

Maintenant que ce principe a été établi, Jésus va entrer un peu plus dans le détail ; et donc le deuxième point qui apparaît dans ce passage, c’est qu’il ne faut pas s’attacher scrupuleusement aux choses moins importantes, au détriment des choses plus importantes. Il y a ici une quatrième parole de malédiction, un peu plus longue cette fois, où Jésus dénonce une attitude semble-t-il typique des scribes et Pharisiens, qui consistait à accorder plus d’importance spirituelle à certains détails du culte de l’époque qu’aux éléments essentiels. Ils insistaient beaucoup sur la valeur de l’or du temple, au détriment du temple lui-même ; et sur la valeur de l’offrande placée sur l’autel, au détriment de l’autel lui-même, au point d’engager la conscience des croyants vis-à-vis de ces détails de leur religion, plutôt que vis-à-vis des éléments beaucoup plus importants de leur religion.

Et Jésus remet les choses à leur juste place en rappelant (v. 20-22) le rapport « hiérarchique » entre tous ces éléments, et en montrant que c’est vis-à-vis de Dieu avant tout que la conscience des croyants doit être engagée, et que tout le reste en découle. Le problème des scribes et des Pharisiens, c’est qu’ils ont inversé cet ordre de priorité. La leçon pour nous, c’est donc, en effet, qu’il ne faut pas s’attacher scrupuleusement aux choses moins importantes, au détriment des choses plus importantes, sous peine de lier notre conscience à des éléments secondaires qui vont finir par conditionner notre relation à Dieu, alors que c’est l’inverse qui devrait se produire. Notre relation à Dieu devrait conditionner notre rapport à tout le reste.

En réfléchissant à ce point cette semaine, je me suis dit que beaucoup d’entre nous avons nos propres petites manies, pour ne pas dire des troubles obsessionnels compulsifs, en tout cas sous une forme bénigne. Et ce qui caractérise ces petites manies que nous avons, c’est que nous accordons une importance démesurée à des petites choses, au point, parfois, d’être liés par ces petites choses.

Je vous donne en exemple une petite manie que j’ai personnellement. Il se trouve qu’à chaque fois que je suis sur le point d’utiliser une petite cuillère, je suis obligé de l’essuyer. C’est bizarre, non ? Je me suis rendu compte de ça il y a quelques années. C’est pas bien méchant, ni très contraignant, mais voilà : qu’est-ce qui est plus important, essuyer superstitieusement la petite cuillère, ou manger le yaourt ? Et s’il m’était impossible d’essuyer la cuillère, serais-je capable de manger et d’apprécier le yaourt ? C’est comme ça que fonctionnent les manies ou les TOC. De petits détails qui ne sont pas mauvais en soi finissent par nous contrôler. C’est comme les jeunes enfants qui exigent leur petit rituel avant de se coucher, sans quoi ils sont incapables de s’endormir. Les câlins, les bisous et les petites histoires, c’est rien de mal ! Mais on peut se demander s’il n’y a pas une inversion de l’ordre de priorité, lorsque le sommeil d’une personne dépend de ces choses.

Et c’est pareil avec la foi. Il ne faut pas que les choses les plus importantes se retrouvent suspendues à des choses moins importantes. Et nous avons beaucoup de mal à maintenir cet ordre de priorité. Honnêtement, est-ce que vous n’auriez pas plus de mal à adorer Dieu d’un cœur sincère si vous alliez dans une église où l’on ne chante que des psaumes a cappella ? Ou à l’inverse, si vous alliez dans une église où il y a une guitare électrique et une batterie ? Vous voyez que notre adoration est déjà conditionnée en partie par des aspects pratiques secondaires !

Or, les premiers protestants au 16ème siècle (en accord avec ces paroles de Jésus) ont beaucoup insisté sur l’importance de protéger la conscience des croyants, c’est-à-dire de ne pas lier la conscience des gens à des détails secondaires qui sont généralement des préceptes humains, notamment dans le culte, au point que ces gens aient l’impression de ne pas pouvoir adorer Dieu correctement indépendamment de ces choses. On doit éviter de penser nous-mêmes, et de faire penser aux autres, par exemple, qu’on doit se lever pour chanter dignement, qu’on doit s’agenouiller pour confesser dignement ses péchés, qu’on doit lever les mains pour recevoir dignement la bénédiction, qu’on doit fermer les yeux pour prier, qu’on doit se signer à l’entrée d’une église, qu’on doit faire le culte dans un certain ordre, qu’on doit utiliser du pain azyme et du vin rouge pour la sainte-cène et non de la baguette ou du jus de fruit, que pour être un chrétien digne de ce nom, on doit s’habiller d’une certaine façon, éduquer les enfants de telle manière, voter pour tel parti politique, etc.

Tous ces sujets, évidemment, sont importants, et ils méritent qu’on en parle, et sans doute qu’on peut même parvenir à déceler une certaine sagesse biblique dans tous ces domaines. Mais l’or du temple ne doit pas prendre la place du temple. Il faut être avant tout attaché aux choses les plus importantes, et le reste trouvera naturellement sa juste place dans notre conscience et dans notre pratique. Il ne faut pas s’attacher scrupuleusement aux choses moins importantes, au détriment des choses plus importantes.

3. Une piété superficielle (v. 23-28)

Mais passons à la suite. Le troisième point qui apparaît dans ce réquisitoire de Jésus, c’est que la religion peut servir de déguisement efficace à l’infidélité. Paroles de malédiction n° 5, 6 et 7. Jésus dénonce ici la piété superficielle des scribes et des Pharisiens qui leur sert de prétexte ou de diversion pour ne pas se préoccuper du mal qui est en eux, caché dans leur cœur. Versets 23-24 : ces responsables religieux payent scrupuleusement leur dîme, ils prélèvent 10% de tout ce qu’ils ont, même de leurs épices ! Mais c’est pour se donner bonne conscience, alors qu’ils n’obéissent pas aux instructions essentielles de Dieu concernant l’amour du prochain, la compassion envers les faibles, et la contrition devant Dieu. Versets 25-26 : ils se consacrent aux rites extérieurs de la religion, sans jamais humilier leur cœur. Versets 27-28 : ils se préoccupent de leur apparence et de leur réputation aux yeux des gens plutôt que de l’injustice et de l’impureté cachées en eux, qui les rendent détestables aux yeux d’un Dieu trois fois saint. Mais ils s’en fichent, parce qu’au fond, ils s’intéressent plus à eux-mêmes qu’à Dieu, et c’est beaucoup plus facile ! Jésus les traite par conséquent d’hypocrites, car ils prétendent être des hommes de foi, mais ils trahissent la vraie foi.

Vous voyez que la religion peut servir de déguisement efficace à l’infidélité. Cela ne devrait pas nous surprendre, parce que dans bien des circonstances différentes de la vie, il nous est beaucoup plus facile de soigner les apparences que de traiter le vrai problème. Par exemple, ces derniers temps vous le savez, nous avons mis en vente la maison dans laquelle nous avons vécu pratiquement dix ans. Rapidement, nous avons été sous pression parce que l’agent immobilier a dû venir faire l’estimation de la maison, ensuite revenir faire des photos, et ensuite les visites d’acquéreurs potentiels ont commencé. Le problème, c’est qu’avec six enfants turbulents dans la maison et deux parents débordés, c’est compliqué de garder la maison propre et bien rangée. Du coup, dans l’urgence, qu’est-ce qu’on fait ? On ramasse les duplos et les kaplas et on les fourre dans des tiroirs, on cache le bazar sous les lits, on passe un rapide coup d’aspirateur et de serpillère et on espère de tout notre cœur que personne ne va nous demander d’ouvrir les placards ou de soulever les tapis ! C’est une façon facile et efficace d’avoir une maison qui paraît belle au-dehors, « mais qui au-dedans est pleine d’ossements de morts et de toute espèce d’impureté » !

Est-ce que j’ai besoin de vous expliquer comment ce point s’applique à notre vie chrétienne ? Je crois que nous sommes très forts dans ce domaine, celui de soigner les apparences et de faire diversion pour ne pas révéler le mal qui est en nous et pour ne pas nous en occuper. Je suis capable de consacrer beaucoup d’énergie et de temps à parler en détail de pleins d’aspects de la foi, à faire étalage de ma super théologie, à vous montrer comme je prie bien, à vous donner l’impression d’être un gars fidèle et consacré. Je peux vous expliquer en long, en large et en travers comment, en pratique, vous devez vivre votre foi chrétienne, vous et tous les autres, et petit à petit je m’élève au-dessus de vous, je m’enorgueillis, et je commence à juger, et j’entraîne des gens à ma suite.

Alors que la réalité, c’est quoi ? C’est qu’à la maison, je ne respecte pas ma femme ; je m’emporte contre mes enfants ; je ne prie que rarement ; je bois trop ; je suis paresseux ; mes pensées sont remplies de convoitise ; je me montre sarcastique, cynique, et médisant. Et puis il y a cette autre personne dans l’église, fraîchement convertie, qui n’a jamais lu Calvin, qui ne comprend pas grand-chose à la théologie… mais qui a le désir irrépressible de prendre du temps chaque jour pour être avec Dieu, qui est dévouée à ses enfants, qui est remplie de compassion pour les vulnérables, qui est sensible à son propre péché… Qui c’est le « meilleur » chrétien entre les deux ? Qui c’est la personne qui est vraiment pieuse ? Jésus l’a dit : « Celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l’autre » (Lc 18.14). Donc la religion peut servir de déguisement efficace à l’infidélité.

4. Un détournement coupable (v. 29-39)

Mais le dernier point qui est soulevé par ce passage, c’est peut-être le plus poignant ; c’est qu’il est possible de se réclamer de la fidélité à la Parole de Dieu, tout en trahissant cette Parole, et c’est très grave. On en arrive à la huitième et dernière parole de malédiction prononcée par Jésus à l’encontre des scribes et des Pharisiens, et cette parole concerne le rapport de ces responsables religieux aux prophètes que Dieu a envoyés dans l’histoire. Ce que Jésus reproche à ces responsables religieux, c’est qu’ils s’approprient les prophètes tout en rejetant leur message.

Et en effet, le message principal des prophètes au fil de l’histoire a été d’appeler les hommes à reconnaître leurs péchés, à se repentir, et à revenir à Dieu qui est riche en pardon. Les scribes et les Pharisiens disent qu’ils n’auraient pas mis à mort les prophètes s’ils avaient vécu à leur époque, or précisément, s’ils reconnaissaient qu’ils étaient pécheurs eux-mêmes, ils diraient plutôt : « Seigneur, nous aussi nous aurions persécuté tes prophètes, car nous sommes profondément pécheurs et nous rejetons ton autorité. Pardonne-nous, aie pitié de nous ! ».

L’ironie (tragique), c’est que lorsque Jésus vient avec ce même message, et que les apôtres ensuite vont prêcher le même appel à la repentance et à la foi, ces fameux responsables religieux vont faire exactement ce que leurs prédécesseurs ont fait : ils vont les persécuter et les mettre à mort. Jésus dit que cette façon de se réclamer de la fidélité à la Parole de Dieu, tout en trahissant cette Parole, est extrêmement grave. Parce que cela consiste à détourner le seul message qui présente aux hommes perdus le secours de Dieu. En rejetant ce message de façon hypocrite et présomptueuse, il n’y a plus d’espoir possible, c’est pourquoi Jésus prononce la condamnation de ces gens.

Ce que font ces responsables religieux constitue en fait un affront terrible à l’encontre de Dieu. Dans des proportions très, très, très différentes, cela me fait penser un peu au fait qu’à l’occasion des commémoration du 8 mai qui marque la fin de la deuxième guerre mondiale, on a plein de responsables politiques qui se rendent à des cérémonies qui ont lieu devant les monuments aux morts, pour, en quelque sorte, se réclamer de l’héritage de cette victoire contre le fascisme et la dictature nazie. Ce que je trouve un peu amusant, c’est qu’on a là des responsables politiques de tous bords, qui le reste du temps s’acharnent les uns contre les autres. Je suis sûr que tous ne sont pas en même temps les dignes héritiers de la résistance et de la lutte contre le totalitarisme. Dans le tas, il doit bien y en avoir qui font de la récupération !

C’est un peu comme tous ces politiques, qui se disent tous « gaullistes » ! Ah bon, ben ils n’ont qu’à former un seul parti, si c’est vraiment le cas ! Or, on sait très bien que tout le monde se dit gaulliste parce qu’ils ne peuvent pas vraiment faire autrement s’ils veulent avoir un minimum de crédibilité. Mais pour ce qui concerne beaucoup d’entre eux, on peut être sûr que le général De Gaulle se retourne dans sa tombe !

Et ce qui se passe dans le texte, c’est qu’on a des responsables religieux qui se réclament de l’héritage des prophètes, tout en trahissant leur message, et en faisant se retourner ces prophètes dans leur tombe ! La leçon pour nous, c’est qu’il nous est possible de faire cela, c’est-à-dire de se présenter comme étant les fidèles dépositaires de la Parole de Dieu et les vrais héritiers des héros de la foi qui nous ont précédés, des pères de l’Église, des Réformateurs et des grands prédicateurs et théologiens des siècles passés, mais de manière présomptueuse, en travestissant complètement leur message et leur héritage. Quand on s’approprie les Écritures mais qu’on en trahit le message, ce qu’on est en train de faire c’est du détournement d’Évangile au profit de nos idées et de nos intérêts, et c’est super grave, parce que c’est cet Évangile, cette bonne nouvelle, qui pointe notre péché, notre véritable nature coupable, et qui pointe en même temps, et heureusement, la grâce qui nous est présentée en Jésus-Christ.

Le message de la Bible, c’est que nous sommes des êtres déchus, et que nous ne pouvons pas nous fier à nous-mêmes, à notre propre intelligence ou à nos propres capacités pour rétablir ce qui est dysfonctionnel en nous. Fondamentalement, nous sommes séparés de Dieu qui nous a créés, mais Dieu est venu nous secourir et pour cela, il a envoyé son Fils Jésus-Christ régler la dette de nos péchés par ses souffrances, sa mort sur la croix, et sa résurrection. Maintenant, Dieu s’adresse à nous, en nous disant, justement, par les prophètes, par les apôtres, et de façon suprême par Jésus-Christ : « Venez à moi ; reconnaissez votre misère, confessez vos péchés, demandez-moi pardon, et je vous pardonnerai, je vous recevrai dans mon royaume, je vous prendrai pour mes propres enfants et mes héritiers, j’échangerai votre condamnation pour la vie éternelle en ma présence glorieuse ».

Mais vous voyez, si nous travestissons ou détournons ce message, il n’y a plus d’espoir, parce que nous nous coupons nous-mêmes, et nous coupons les autres, de la seule issue à notre misère. Nous fermons les portes du royaume des cieux, nous n’y entrons pas nous-mêmes et nous n’y laissons pas entrer ceux qui voudraient. C’est pourquoi nous devons faire l’effort conscient de nous souvenir (et cela, d’autant plus que nous avons de bonnes connaissances bibliques et théologiques) que nous ne sommes pas les maîtres de la Parole de Dieu, mais que c’est elle qui doit nous maîtriser. Nous devons toujours aborder la Parole de Dieu « par en-dessous », et nous laisser instruire, corriger, et transformer. Nous devons accueillir volontiers cette humilité et cette contrition, qui vont à leur tour produire en nous un véritable amour pour notre prochain, une véritable compassion pour les faibles, et une foi authentique en Dieu notre bienveillant Sauveur.

Je conclus rapidement. C’est quoi un « bon chrétien » pour vous ? Qui sont les modèles que vous admirez et auxquels vous souhaitez ressembler ? Ce qui vous attire, est-ce que c’est la connaissance théologique et biblique ? Est-ce que c’est la discipline religieuse ? Est-ce que c’est un statut particulier dans l’Église ? Ou bien ces choses, peut-être, vous repoussent-elles ? Quoi qu’il en soit, au risque de vous décevoir ou de vous rassurer, voici la leçon de ce passage, c’est que la sophistication religieuse n’équivaut pas à la fidélité à Dieu.

La sophistication religieuse n’est pas fondamentalement mauvaise, et les disciplines de la vie chrétienne sont bonnes, et les connaissances bibliques et théologiques, et la piété et le zèle, et la beauté dans le culte, et un certain nombre de rites et de cérémonies, tout cela n’est pas mauvais en soi ! Mais tout cela n’est pas équivalent à la fidélité à Dieu, et tout cela peut quand même s’opposer à l’Évangile et devenir un piège mortel pour l’âme, si nous ne restons pas attachés à ce qui est de loin le plus important, comme nous y exhortent les prophètes, les apôtres et Jésus, et comme le dit le roi David :

« Les sacrifices agréables à Dieu, c’est un esprit brisé : un cœur brisé et contrit ; ô Dieu, tu ne le dédaignes pas. » (Ps 51.19)

Copyright ©2025 Église Lyon Gerland.