Le casse-tête d'Habaquq

Par Alexandre Sarranle 3 septembre 2017

Il y a des périodes comme ça, où on a l’impression que l’actualité est particulièrement difficile. Il y a eu les attentats terroristes en Espagne. L’ouragan Harvey au Texas. La Corée du Nord qui envoie un missile au-dessus du Japon. La canicule, la sécheresse, les incendies, dans plusieurs départements. La petite Maëlys qui disparaît lors d’un mariage en Isère. Les conflits en Birmanie qui font au moins 400 morts en une semaine et des dizaines de milliers de déportés. Un député LREM qui met des coups de casque à un responsable socialiste et qui l’envoie en soins intensifs. Le Bois de Vincennes qui aménage un espace de 7300 m² pour accueillir les naturistes. Etc. Peut-être que l’état du monde qui vous entoure, ou son évolution, vous inquiète ! Et la question que soulève le texte qu’on va lire et étudier aujourd’hui, c’est : comment vivre dans un monde qui va mal ? C’est une question qui concerne aussi bien les croyants que les non-croyants. Si vous êtes non-croyant, j’imagine que vous devez vous dire par moment : « Mais quel gâchis ! Ce monde pourrait être tellement meilleur, si seulement il y avait moins de haine, moins d’avidité, moins d’égoïsme, moins de pollution, moins de microbes, moins de religion… ». Et des fois, vous devez avoir du mal à voir quel est le sens de cette existence, si c’est juste pour naître, observer la souffrance, et mourir. Comment vivre dans un monde qui va mal ? Et si vous êtes croyant, ça ne vous aide peut-être pas tant que ça ; peut-être même que ça rend les choses plus compliquées ! « Le monde va mal… et je suis censé croire qu’il y a un Dieu ? Alors qu’est-ce qu’il fait, Dieu ? Je veux bien croire qu’il est tout-puissant, et qu’il est bon, mais c’est quand même pas évident. Comment est-ce que ma foi doit se traduire dans ma vie, quand j’ai l’impression que le monde part en cacahuète ? » Eh bien mes amis, on est au cœur de la perplexité du prophète Habaquq, un prophète que Dieu a suscité à une période de l’histoire d’Israël où l’actualité était vraiment, vraiment difficile. Et je crois que le message d’Habaquq est destiné aux quelques personnes lucides qui restaient, à cette époque, et qui se demandaient en toute sincérité : « Comment vivre dans ce monde qui va si mal ? » Et la réponse ? Il faut vivre en espérance. Alors vous vous dites peut-être : « Pff, encore un poncif évangélique, un lieu commun qui ne veut rien dire, en fait ! » Mais Habaquq, j’en suis persuadé, va nous prouver le contraire.

Le fardeau du fidèle (ch. 1)

Ce premier chapitre sert essentiellement à nous faire comprendre la problématique qui est au cœur de la prophétie d’Habaquq. Qu’est-ce qui se passe ? Habaquq est accablé par l’état de la société en Israël (v. 2-4). Les gens ne sont pas fidèles à Dieu, et du coup, il y a de la violence, de l’oppression, des conflits, et beaucoup d’injustice. Habaquq se lamente auprès de Dieu, et Dieu lui répond en lui faisant comprendre qu’il va châtier son peuple par l’intermédiaire d’un peuple beaucoup plus méchant, puissant et sanguinaire : les Chaldéens (v. 5-11). Du coup Habaquq, qui était déjà catastrophé au début, est encore plus catastrophé par cette nouvelle, et il se lamente de plus belle auprès de Dieu (v. 12-17) : « Seigneur, je comprends encore moins ce qui se passe ! Tu réponds à l’injustice… par une plus grande injustice encore ! »

C’est comme si vous consultiez le médecin parce que vous souffrez terriblement des orteils, et qu’il vous dise : « Il n’y a qu’une chose à faire, c’est vous amputer les pieds ». Ce n’est pas ce que vous espériez entendre ! Et le texte ici nous fait comprendre quel est le fardeau d’Habaquq, cet homme qui est sensible à l’état du monde qui l’entoure. Et ce fardeau ressemble à un casse-tête impossible à résoudre ! Ceux qui sont censés être justes font le mal, du coup celui qui est censé être bon va détruire ceux qui sont censés être justes par le moyen de gens encore pires qui, eux, étaient censés être détruits. Règle du jeu : vous ne pouvez poser qu’une seule question à un seul des protagonistes pour pouvoir résoudre cette énigme ! Et Habaquq, il pose la bonne question à la bonne personne, au verset 13 : « [Dieu], gardes-tu le silence quand un méchant engloutit un plus juste que lui ? »

Alors, il faut comprendre que ce texte d’Habaquq est destiné au peuple d’Israël, parce qu’au sein du peuple, malgré le règne de la violence et de l’injustice, il y a des gens qui se posent les mêmes questions. En recevant cette prophétie, ils découvrent qu’ils ont un porte-parole, quelqu’un qui les comprend. Et puisque c’est un prophète, que Dieu a suscité, et qui parle sous l’inspiration de Dieu, ils doivent se rendre compte aussi que Dieu les comprend. Dieu n’est pas indifférent à leur perplexité, même si Dieu est l’auteur de ce casse-tête. Déjà en suscitant Habaquq, Dieu prouve qu’il ne garde pas le silence « quand un méchant engloutit un plus juste que lui ». Dieu a répondu à la question avant qu’elle ne soit posée !

On peut donc dire, déjà, que si l’état du monde qui vous entoure vous préoccupe, vous êtes en bonne compagnie ! Si vous avez le même fardeau qu’Habaquq, c’est bon signe ! Dans un monde qui va mal, c’est le fardeau de quelqu’un qui se préoccupe de ce qui préoccupe Dieu. C’est vrai qu’on a l’impression que les choses vont de mal en pis. Que le monde est pris dans un irrémédiable engrenage. Et si on est croyant, on peut être découragé, en plus, par l’évolution de l’Église, prise entre deux feux, semble-t-il, qui perd du terrain d’un côté sous les attaques ouvertes de tous les ennemis déclarés de l’Évangile, et de l’autre côté sous l’opposition subtile, sournoise, du libéralisme théologique et du pluralisme religieux. « Jusques à quand, Éternel, appellerai-je au secours sans que tu écoutes ? » (v. 2).

L’espérance du fidèle (ch. 2)

Dans ce chapitre, on a la solution de Dieu au casse-tête du prophète. Habaquq se dispose à écouter Dieu (v. 1), et la première chose que Dieu lui déclare, comme préambule à sa réponse, c’est que ce qu’il a décidé de faire s’accomplira de façon inéluctable (v. 2-3). S’ensuit un verdict (v. 4-6a) et une sentence terrible prononcée à l’encontre du méchant (« Malheur à celui qui… », répété 5 fois, v. 6, 9, 12, 15, 19). Mais Dieu met en contraste deux choses avec cette sentence. Au début, la caractéristique du juste (par opposition au méchant), c’est qu’au milieu de tout ça, il « vivra par sa foi » (v. 4). Et à la fin, à l’issue de tout ça, on a la suprématie de l’Éternel et l’invocation de son triomphe à venir et de son règne universel (v. 14, 20). La solution au casse-tête d’Habaquq est donc la suivante : il y a une réalité présente, et il y a une réalité future. La réalité présente, c’est que nous vivons dans un monde déchu, et dans ce monde déchu, Dieu exerce déjà des jugements temporels, contre son peuple en particulier pour le corriger, et contre les humains en général qui souffrent naturellement des conséquences de leurs péchés. La réalité future, c’est que Dieu va un jour parfaitement corriger toute injustice, et qu’il va triompher définitivement du mal, et établir son règne bienfaisant pour toujours dans tout l’univers. En attendant, il y a deux types de personnes ici-bas : ceux qui vivent présentement en fonction du projet inéluctable de Dieu, et les autres. Les premiers sont appelés ici les « justes » qui vivent « par leur foi » (v. 4).

Ce que Dieu donne à Habaquq (et à ceux qui s’identifient à lui), c’est donc une espérance. L’espérance, c’est quand on sait que quelque chose va se passer dans l’avenir, et qu’on en tire des conséquences pour maintenant. Quand on prévoit un barbecue pour un 16 septembre, on regarde la météo quelques jours avant, et s’il est prévu du beau temps, on bloque son samedi et on s’organise pour venir ! On le fait « en espérance ». Si vous devez acheter des fournitures pour la rentrée de vos enfants, et que normalement ça n’entre pas dans votre budget, mais vous savez que dans une semaine, l’allocation de rentrée va vous être versée par la CAF, vous pouvez d’ores et déjà faire vos courses de rentrée « en espérance ». Si vous attendez un bébé (et que tout le monde est en bonne santé), vous devriez savoir à peu près quand c’est qu’il va naître, et en fonction de cela, vous allez aménager une chambre dans votre maison, acheter des petits vêtements appropriés en fonction de la saison, et peut-être même choisir un prénom, tout cela… « en espérance » !

En fait, au quotidien, on vit très souvent « en espérance », c’est-à-dire qu’on fait des choix dans le présent en fonction de réalités qui sont à venir. Et c’est ça, la foi biblique. L’auteur de l’épître aux Hébreux définit la foi, en disant : « La foi, c’est l’assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas » (Hé 11.1). La foi consiste à croire que Dieu va réellement réaliser son projet, et même si cette réalité future n’est pas encore visible, elle se démontre dans notre vie parce qu’on en tire les conséquences logiques et pratiques. C’est ça, « vivre par la foi », et c’est ça qui distingue le juste aux yeux de Dieu.

Mais si la foi commence par une « ferme assurance », il faut donc être convaincu que Dieu va réellement faire ce qu’il a promis. Chez Habaquq, c’est la raison pour laquelle Dieu rappelle le caractère inéluctable de ses décrets, au début de sa réponse (cf. la belle redondance, v. 3 !). Mais dans l’histoire, Dieu a ajouté des actes à ses paroles. Et notamment plusieurs siècles plus tard, par la venue de Jésus, sa mort et sa résurrection. Là on voit que Dieu, non seulement il a promis de combattre le mal et de délivrer ceux qui lui font confiance, mais il a aussi agi, dans l’histoire, pour le faire. Et finalement, c’est Jésus la réponse au casse-tête d’Habaquq ! Jésus, c’est Dieu fait homme qui vient volontairement détourner sur lui-même les conséquences de nos péchés, de façon à les combattre et à les vaincre à notre place par sa mort et sa résurrection. Celui qui est bon substitue à ceux qui sont censés être justes mais qui font le mal celui qui est juste et qui a toujours fait le bien, de façon à exercer sa justice contre le mal en celui qui est juste mais qui a été considéré comme injuste, et de façon en même temps à délivrer de la destruction ceux qui font le mal, en les rendant justes à ses yeux ! C’est simple, non ? L’Évangile, la « bonne nouvelle » de la mort et de la résurrection de Jésus, fonde la « ferme assurance » que nous pouvons avoir des choses qu’on espère, en nous attestant à la fois du triomphe de Dieu sur le mal et du salut éternel des croyants. C’est pourquoi l’apôtre Paul dit : « La justice de Dieu se révèle [dans l’Évangile] par la foi et pour la foi, selon qu’il est écrit : Le juste vivra par la foi » (Rm 1.17). Et un peu plus loin dans cette épître, l’apôtre Paul ajoute : « C’est en espérance que nous avons été sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance » (Rm 8.24-25). Et c’est en gros ce que Dieu fait comprendre à Habaquq, et qui provoque sa prière au chapitre 3 (annoncée en 2.1).

La piété du fidèle (ch. 3)

Dans ce dernier chapitre, on a donc la réponse finale d’Habaquq, sous la forme d’un poème ou d’un cantique. Ici, on a Habaquq qui incarne le « juste », c’est-à-dire le fidèle, celui qui, dans ce monde qui va mal, vit en espérance, c’est-à-dire « par sa foi ». Cette prière finale constitue en quelque sorte la conclusion pratique de la prophétie d’Habaquq, où le prophète illustre à l’attention de ceux qui se posaient les mêmes questions que lui, quelle devrait être notre piété, c’est-à-dire ce qui devrait caractériser notre vie présente et notamment notre relation à Dieu, si nous sommes croyants. Autrement dit, voici à quoi ça devrait ressembler, « d’attendre avec persévérance » ce que nous espérons mais ne voyons pas. Et il y a trois choses en particulier qui caractérisent la piété du fidèle, ici : il se rallie au projet de Dieu, il n’oublie pas la grâce de Dieu, et il fonde sa sécurité en Dieu.

Entre le début et la fin de sa prophétie, Habaquq a changé de perspective et d’attitude. Le monde qui l’entoure n’a pas changé, objectivement, mais c’est Habaquq qui a changé suite à ce que Dieu lui a dit (et qu’il a écouté attentivement, cf. 2.1). La foi change notre perspective et notre attitude. Vous avez peut-être déjà entendu parler d’une dame qui s’appelait Corrie Ten Boom, une chrétienne hollandaise qui cachait des Juifs et des résistants chez elle sous l’occupation allemande. Un jour, elle a été dénoncée, arrêtée, et envoyée dans camp de concentration avec sa grande sœur, qui est morte dans ce camp de concentration. Plus tard, elle a dit ceci :

« En contemplant le monde, tu n’en seras qu’angoissé. En contemplant ton propre cœur, tu n’en seras que découragé. Mais en contemplant Christ, tu en seras apaisé. »

Sa propre sœur, peu de temps avant de mourir dans ce camp de concentration, lui avait dit : « Il n’y a pas d’abîme si profond que Dieu ne puisse pas nous y atteindre ».

Vous voyez, la foi, ça change notre perspective et notre attitude, alors même que le monde qui nous entoure va toujours aussi mal objectivement. C’est vrai que nous vivons dans un monde déchu, un monde abîmé. L’humanité supporte les conséquences logiques du péché, de la séparation d’avec Dieu ; mais en même temps, Dieu est intervenu dans ce monde par Jésus-Christ, et il offre le pardon et la vie éternelle à tous ceux qui se confient en lui, et il nous annonce un jour à venir, bientôt, où toute injustice sera définitivement corrigée, et où les méchants seront punis, et où les justes (ceux qui sont justifiés en vertu de Jésus) entreront dans le royaume bienfaisant de Dieu pour y passer l’éternité.

Question : est-ce que vous vous ralliez à ce projet ? Est-ce que vous y pensez avec émotion, est-ce que vous priez dans ce sens, est-ce que vous en parlez autour de vous ? Et est-ce que vous vous souvenez quotidiennement de la grâce de Dieu ? Est-ce que le pardon que Dieu vous offre en Jésus, au prix de ses souffrances et de sa mort, vous fait relativiser vos autres problèmes ? Est-ce que vous « contemplez Christ » ? Est-ce que cette grâce produit de la reconnaissance, de l’humilité, de la joie ? Et est-ce que vous fondez votre sécurité en Dieu, lorsque le monde semble partir à la dérive, et lorsque vous avez l’impression de perdre le contrôle, qui sait, peut-être même de votre propre vie ? Est-ce que cette sécurité éternelle, que Dieu vous offre en son Fils Jésus-Christ, fait naître en vous des louanges irrépressibles, un culte enthousiaste, une paix qui dépasse toute intelligence ?

Alors oui, il y a des périodes comme ça, où on a l’impression que l’actualité est particulièrement difficile. Le monde va mal, et en fait, ce n’est rien de nouveau. Si on est croyant, en plus, on peut être découragé de voir l’état de l’Église. Et tout ça, ça nous inquiète. Dans une chanson récente, le groupe Metallica fait un constat lucide :

« Au nom du désespoir, au nom de la souffrance, au nom de toute la création qui est devenue complètement folle : nous sommes tordus, complètement fichus, comme si nous étions programmés pour nous auto-détruire ! »

C’est un peu l’attitude d’Habaquq à la fin du premier chapitre. Il n’est pas très optimiste ! Sauf qu’en posant la question : Comment vivre dans un monde qui va si mal, Habaquq, lui, écoute la réponse de Dieu. Et la réponse de Dieu, comme on l’a vu, c’est la suivante : Il faut vivre en espérance. Oui, le monde va mal, parce que le monde est déchu, et Dieu le sait, et Dieu s’en inquiète puisqu’il a suscité Habaquq, et qu’il écoute Habaquq, et qu’il répond à Habaquq. C’est déjà bien de le savoir. Nous avons un Dieu qui est présent, attentif et compatissant. Mais notre Dieu est aussi un Dieu qui a fait des promesses, et qui a agi et qui agira pour les accomplir. Nous le savons pour sûr, parce que Jésus est passé par là, et parce qu’il est mort, et parce qu’il est ressuscité, et parce qu’il reviendra. Voilà ce qui fonde notre espérance et qui change notre perspective et notre attitude, et qui nous permet de vivre « par la foi » et d’être qualifié de « juste » par Dieu. « N’abandonnez donc pas votre assurance qui comporte une grande récompense ! Vous avez en effet besoin de persévérance, afin qu’après avoir accompli la volonté de Dieu, vous obteniez ce qui vous est promis. » Et ensuite l’auteur de l’épître aux Hébreux fait référence au livre d’Habaquq, en ajoutant : « Car encore un peu de temps, bien peu ! Et celui qui doit venir viendra, il ne tardera pas. Et mon juste vivra par la foi » (Hé 10.35-38).

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